20 décembre 2005

La malédiction des biscuits

J’avais toujours cru que je saurais résister à l’hystérie des fêtes de fin d’année, mais moi aussi, je suis tombée dans le panneau: j’ai décidé de faire des biscuits de Noël avec mes enfants. J’ai même trouvé un motif peudo-freudien pour justifier mon élan pâtissier à la mode du petit Jésus: ma mère n’a jamais fait de biscuits de Noël avec moi.

Je suis donc allé au supermarché m’équiper en pâte à milanais riche en agents conservateurs. A l’intention de tous ceux qui m’objecteront que c’est pas du jeu quand la pâte n’est pas maison, je cite la confession de mon amie Isabel: «J’ai commis l’énorme erreur de faire la pâte moi-même, racontait-elle l’an dernier. Marion s’est renversé une livre de farine sur la tête et m’a éclaffé deux œufs sur les pieds, cette saloperie de pâte collait... J’ai frôlé la crise de nerfs.»

Mes petits chéris ont glapi de joie à l’idée de jouer de l’emporte-pièce. Le cadet s’est aussitôt mis à pétrir sa portion de pâte en clamant avec extase «Pâte à moler jaune!!!» Quant à l’aîné, il a taillé dans la sienne une bonne dizaine de lunes en criant «Aah!» comme un guerrier viking. J’en avais les yeux humides de bonheur.

Le problème, c’est que douze minutes plus tard, ils en ont eu assez – notamment l’aîné que les 150 grammes de pâte crue avalés entre deux taillages de lune avaient rendu nauséeux. J’ai donc dû assurer le reste en solo, ce qui m’a pris deux heures au bas mot. Verdict de mes bébés d’amour: «Ils sont pas très bons, tes biscuits. On peut avoir un Kinder Surprise à la place?»

13 décembre 2005

Première impression

La scène représente une place de jeux, avec M (une mère) et E (son fils de 5 ans), debout entre la balançoire et le toboggan.

E: Maman! M (l’air las): Oui? E: Maman, tu peux m’aider à aller sur la balançoire? M: Mais tu sais te balancer tout seul… E (geignard): Naaaan!! Chuis fatigué. Faut que tu pousses. M (soupirant): Bon, mais juste un tout tout petit moment. E (ravi): D’accord!

M pousse E sur la balançoire. E glousse chaque fois qu’il s’envole, visiblement enchanté. M semble se détendre.

E: Maman! M (la voix pleine d’amour): Oui, chéri? E: Maman, tu sais… M: Quoi mon cœur? E: Tu sais, ça me fait une impression la balançoire. Mais chais pas comment dire… M (qu’on sent soudain attentive, désireuse d’aider E à «trouver les mots»): Ça te fait une impression comment, mon cœur? E: Ça me fait une impression… dans le zizi. M (interdite): Euh… Je …Tu sais, ça peut arriver … Ça vient tout seul … E: C’est ça maman, une impression? Quand ça vient comme ça tout seul dans le zizi? M: Non, pas tout à fait… (le ton soudain dynamique, essayant manifestement de faire diversion) Alors là, je crois ce serait vraiment super d’aller sur le tobog… E (l’interrompant): Hé maman, regarde! C’est la maîtresse avec son chien, là-bas (descendant de la balançoire et criant à tue-tête) Ma-dame! (à M): Je vais aller lui demander pour l’impression! M (paniquée): Non, reviens… E (courant et hélant toujours): Ma-dame! J’ai une impr…

Il détale, M sur ses talons qui tente de l’arrêter. Leurs voix se perdent, couverts par les aboiements du chien.

6 décembre 2005

Powterite aiguë

Je fais une inquiétante pop-fixette sur Daniel Powter, l’échalas canadien qui pousse la chansonnette mélodique-sussure et porte toujours un bonnet sur la tête. Sa miouze me rend toute fondante et je suis irritable si je ne peux pas l’écouter. C’est indigne de mon grand âge, c’est moi à 15 ans, fan du groupe Téléphone.

Quoique à l’époque, avoir écrit les paroles de «Cendrillon» sur mon plumier et réussi à choper une fraction de seconde Jean-Louis Aubert par les baskets pendant un concert suffisaient à mon extase. Rien à voir avec aujourd’hui, où l’on peut aller boire aux intarissables sources du web.

Je suis donc allé googler Powter. J’ai surfé sur la propagande de sa maison de disque qui distille partout la même story touchante (et suspecte à force): Powter a les yeux verts et c’est un mec suuuper timide, il est dyslexique et se faisait castagner quand il était petit... J’ai aussi pu constater que Powter a salement perturbé la santé mentale d’une certaine Marie qui lui écrit sur tous les forums de la toile de très, très longs poèmes dont le sujet est presque toujours Powter jouant du piano sur son corps… Enfin, il y a les rumeurs: Powter trouverait Vanessa Paradis canon, un site japonais hébergerait des photos de lui nu (sans bonnet?)…

Bref, je suis revenue du web riche d’infos majeures. Mais j’ignore toujours pourquoi «Song 6» est devenu mon narcotique anti-stratus, la potion magique que je me passe en boucle. Conclusion: il faut que je chope Powter par les baskets. Quelqu’un sait s’il sera bientôt dans le coin?

29 novembre 2005

Deux ans?!

Juan a fait une rencontre au Kieser Trainging qui lui a sapé le moral: il a croisé son voisin Frank, un maigrichon incurable dont la valeur muscle est proche de zéro. Juan a donc été stupéfait, choqué, outré d’appendre que ce dernier fréquente régulièrement le Kieser depuis… deux ans. Il a failli glapir comme un mari cocu: «Deux ans? Et c’est tout?»

Le truc, c’est que Juan soulève de la fonte au Kieser depuis un mois pour freiner l’atrophie musculaire et l’avancée du gras, typiques des années qui passent. C’est un fan: il vénère comme autant de gages d’efficacité le concept Kieser, son personnel austère et ses machines numérotées façon «technologie santé». Avant de voir Frank, Juan était persuadé d’avoir trouvé avec Kieser le bon plan pour restituer leur galbe «naturel» à ses muscles dans un laps de temps raisonnable. Alors découvrir ce Frank encore et toujours maigrichon après DEUX ans de musculation au Kieser Training, ça a été pour lui comme la cruelle mise à nu d’une scandaleuse imposture. Surtout que Juan avait vraiment l’impression d’avoir sensiblement regonflé ses triceps grâce à la machine D5. Une illusion? Il fallait qu’il en ait le cœur net.

Aux grands maux les grands remèdes: Juan est allé discrètement voler dans la carterie Kieser le programme de Frank. Il n’a pu y jeter qu’un bref coup d’œil à cause d’une monitrice en débardeur de laine qui venait dans sa direction. Mais il a quand même eu le temps de repérer une info décisive: Frank ne fait pas la D5.

Pour Juan, c’est une raison d’espérer. 

22 novembre 2005

Diagnostic BBQ

Sean nous a invité pour un «dernier BBQ avant l’hiver». Nous l’avons trouvé à 18 heures (il faisait déjà nuit noire) dans son jardin noyé de brume, avec col roulé, bonnet et moufles, en train de s’affairer au-dessus de son grill et de cinquante spare ribs qui rissolaient dans le faisceau lumineux de sa lampe frontale. Le chéri, pourtant transi de froid, a décidé de tenir compagnie à Sean en dansant d’un pied sur l’autre, histoire de comprendre comment Lumi et lui avaient fait pour ne pas mourir entre «Katrina» et «Rita» lors de leurs dernières vacances au bord du Golfe du Mexique. J’ai rejoins Lumi qui était à la cuisine en train de popoter – c’est-à-dire de sortir la bouteille de «garlic dressing» du frigo.

Lumi est terriblement enceinte: elle a le ventre colossal, le souffle court, les chevilles gonflées et l’accouchement qui menace. «J’en peux plus, m’a-t-elle dit en s’écroulant sur son tabouret. Heureusement, c’est pour vendredi: j’ai pris rendez-vous pour une césarienne.» Ça m’a coupé la chique. Pour moi, Lumi et son mètre 85 avaient toujours incarné cette archaïque puissance de la femme nordique qui accouche comme elle enfile une paire de chaussures et allaite en faisant du ski.

«Il y a juste Sean que ça perturbe à mort, a ajouté Lumi d’un air préoccupé. Il ne dit rien mais je suis sûre que s’il allait bien, il n’aurait jamais organisé ce barbecue moufles et lampe frontale. Je sais pas, il aurait fait un truc de saison.» «Comme une raclette?» ai-je hasardé. «Par exemple», a dit Lumi d’un air éloquent. 

15 novembre 2005

Desperate T-shirt

Les Romands qui ont Canal+ sont des veinards qui se délectent chaque semaine de la série «Desperate Housewives».

Les héroïnes désopilantes de cette saga, ce sont quatre femmes au foyer parquées en banlieue américaine chicos (entre nous, un peu trop bien conservées pour être crédibles, mais bon): Susan, divorcée, un concentré de maladresse abonné au débol; Lynette, anciennement cadre et aujourd’hui mère constamment débordée; Gabrielle, ex-top-model accro à tout ce qui est cher, qui trompe son mari et son ennui avec son jardinier de 16 ans; et enfin Bree, bourgeoise obsédée de perfection et championne des révélations qui tuent («Rex, mon mari, sanglotte lorsqu’il éjacule»).

J’avoue avoir un faible pour Lynette, qui court toute la journée après ses gosses et n’a jamais le temps de se laver les cheveux. Gabrielle a trop le fric dans l’ADN, Susan est trop tarte et même si je trouve la monstruosité de Bree touchante, j’abonde dans le sens de Rex qui dit: «Elle vit dans une pub pour détergent.»

En vraie fan je suis aussi allée voir sur le Net. Et j’ai découvert qu’on peut acheter des T-shirts avec les inscriptions «I’m a Susan», «I’m a Bree», etc. J’étais sur le point de commander un «I’m a Lynette» quand j’ai décidé de faire le test «Quelle desperate housewive êtes-vous?» Rien de bien méchant, me suis-je dit. Sauf que le web m’a finalement affiché un triomphant «You’re a Bree!». Entre nous, ça m’a ébranlée. Et je crains le pire: le chéri, qui regardait par-dessus mon épaule au moment fatidique, m’a d’ores et déjà promis un «desperate T-shirt» pour Noël. 

8 novembre 2005

Chute de civilisation?

Une consœur a constaté récemment avec humour – mais aussi pas mal de condescendance réprobatrice – que les parents frais sortis du four développent une tendance prononcée à l'exhibitionnisme. Elle appelle d’ailleurs «chute de civilisation» cette période durant laquelle ces derniers se laissent complètement aller et oublient d’avoir des égards pour autrui.

A priori, des millions de faits lui donnent raison. Par exemple ces couples que le choc, l’émotion, l’euphorie (ou le traumatisme) désinhibent totalement et qui détaillent par le menu la mise au monde («Là on voyait la tête, mais ça rentrait et ça ressortait») ou les efforts digestifs de la petite merveille («Son caca est un peu granuleux, tu vois»). Tout ça en vous servant une tranche de cake.

Il y a aussi toutes ces accouchées et mères allaitantes, qui auparavant n’auraient jamais imaginé enlever le haut à la plage et qui maintenant se dépoitraillent hardiment. Que ce soit pour présenter à l'ensemble de leur carnet d'adresse électronique leur minuscule bébé blotti contre leurs nénés en format *.JPG. Ou pour sustenter sur-le-champ la petite chose qui réclame sa tétouille, peu importe où elles se trouvent (dans le bus, au bistrot…)

Il y a évidemment de quoi se sentir un peu perplexe – surtout lorsqu’on n’est pas encore passé par là. Mais c’est étrange que notre civilisation craigne de chuter à cause d’un nouveau-né qui repose entre deux seins. Surtout si l’on songe que tous les nichons publicitaires dont ladite civilisation est constellée ne l’ont pas encore fait couler. 

1 novembre 2005

Mâle malade

Le chéri est malade depuis samedi, ce qui est pire que nos deux enfants flirtant simultanément avec une fièvre à 39,8, la toux glaireuse et le sommeil genre délire Dogma filmé caméra à l’épaule. Parce que les enfants, eux, sont francs de collier quand ils sont la proie des virus. Ils se sentent mal et ne demandent qu’à se sentir mieux – par exemple en regardant le DVD de «Spirit». Leur père, lui, se sent d’abord obligé de jouer au héros qui souffre en silence – mais quand même ostensiblement.

Et puis chez les enfants, les symptômes sont sans équivoque: c’est croûté de moque, ça vomit, ça hurle «naaaan!» à la vue du suppositoire. Alors que le mal du chéri se présente comme un insondable désert des Tartares d’où menace de débouler le pire. Car le chéri n’a ni rhume, ni toux, ni fièvre, juste «le crâne qui va exploser», «une sensation étrange au fond de la gorge» et «les jambes tellement douloureuses qu’elles me portent à peine». Mais il refuse de prendre du paracétamol, préférant «laisser faire le corps» - et me laisser faire seule avec les enfants. Puis, après 24 heures, il endosse le rôle du mâle anéanti qui zone en training, lampe d’un air souffreteux de la tisane Sidroga, goûte à peine aux spaghettis de l’air du mourant qui a perdu tout appétit (avant d’aller une heure plus tard se tailler de belles tranches de salami).

Mais ce matin, comme il ne se sentait toujours «un peu faible et frissonnant», le chéri a décidé que ça suffisait. Il a pris 500 mg de Dafalgan et regardé le DVD de «Kill Bill 2». Sûr que demain, il sera guéri. 

25 octobre 2005

Wellness Kieser

Juan a admis qu’il avait pris un coup de vieux. Il a scruté sans complaisance sa tronche qui s’affaisse, son ventre un peu ramollo, ses muscles qui s’atrophient... Puis il a réagi et décidé de se rendre deux fois par semaine au Kieser Training pour se remuscler.

Le Kieser est exactement ce qu’il fallait à Juan. L’aura quasi médicale des lieux les départit de la vulgarité des salles de fitness. On y vient pour «renforcer son dos», pas pour faire de la gonflette. L’ambiance est sereine, recueillie. Pas de musique, pas de coaches beau-gosse-musclé qui vous renvoient un humiliant miroir, mais des monitrices quadra en pantalon Securitas et en débardeur de laine. La clientèle Kieser (seniors et éclopés) permet également à Juan de se sentir en super forme – par comparaison.

Mais le Kieser a surtout donné à Juan la possibilité de mettre en application le canon de la rubrique «Style» de la «NZZ am Sonntag». Qui fustigeait comme un crime de lèse-savoir-vivre tous les ringards pour qui la tenue fitness se résume à leurs chaussettes, une paire de cuissettes douteuses et un T-shirt I LOVE CANCUN. Car lorsque l’homme de goût vient faire de l’exercice, il revêt des chaussures de sport sombres, des pantalons longs sombres également et un maillot neutre, le tout d’une propreté irréprochable.

Juan suit ces conseils à la lettre. Et peut désormais se délecter chaque fois qu’il aperçoit une paire de vieilles guiboles prise en sandwich entre des cuissettes fripées et des chaussettes à carreaux. Les voies du wellness sont impénétrables.

18 octobre 2005

Parce que moi aime!

Notre cadet traverse une phase hurleuse remarquablement nourrie et polyvalente: le matin, le soir, en promenade, en allant à la crèche, en revenant de la crèche, à la maison, en visite, sur la place de jeu, au supermarché, à table, dans la baignoire… du haut de ses 3 ans, notre bébé d’amour semble prendre un plaisir éperdu à hurler. Incroyablement longtemps et incroyablement fort. Ce qui, outre la mutilation auditive infligée, peut devenir particulièrement embarrassant: toute la rue se retourne sur notre passage, le regard tantôt soupçonneux («Peut-être qu’elle le bat?») tantôt plombé de réprobation («Quel affreux marmot!»)Cette période est donc une véritable épreuve pour les nerfs – surtout lorsqu’elle s’assortit de commentaires comme celui qu’a hasardé ma belle-mère l’autre jour: «Peut-être que ça lui fortifie les poumons?»

Nous avons évidemment essayé toute une gamme de stratégies pour endiguer les décibels: l’explication calme (les manuels de puériculture disent que l’alpha et l’oméga, c’est de rester calme même quand la tempête domestique prend des allures d’ouragan Katrina), la menace (les manuels de puériculture disent que l’alpha et l’oméga dans la famille, c’est le respect des limites), le chantage (faut pas déconner, y’en a marre de se faire vriller les tympans), les vociférations (en désespoir de cause). Résultat: les hurlements se poursuivent avec une régularité édifiante.

Et lorsque je demande au cadet pourquoi il hurle, il répond avec un lumineux sourire: «Parce que moi aime!»

11 octobre 2005

Vieillir dignement

Quand j’ai reçu l’invitation de Juan par la poste, ça m’a fait un choc: 40 ans, déjà? Le chéri, qui a déjà cette épreuve derrière lui, a commenté le carton d’un «jolie l’invite. Très Juan, d’ailleurs». Et c’est vrai qu’avec son design interpellant et son libellé ironico-chaleureux, ledit carton ressemblait à Juan: merveilleux, mais inavouablement angoissé à l’idée de virer ringard – donc de vieillir.Une angoisse qui le fait lire assidûment la rubrique «Style» de la «NZZ am Sonntag» et lutter de toutes ses forces pour ne pas sombrer dans ce qu’il appelle «le laisser-aller parental typique». Le fait de n’avoir qu’un enfant permet d’ailleurs à Juan de jouer encore à l’adulte non amoindri par la vie de famille et de s’offrir un loyer centre-ville.

Le chéri et moi, nous nous sommes donc rendus à sa petite fiesta. Une réussite. Ça grouillait de monde, les pinards étaient super, la bouffe «saveurs vraies». Et Juan avait élégamment paré au dilemme musical «je mets des tubes de ma jeunesse qui font vieux con ou je fais venir un DJ qui scratche une miouze que je déteste mais que je feins d’aimer?» en engageant un quintette tzigane kusturicesque qui jouait des choses balkaniques et tonitruantes.

Tout ça a dû me tourner la tête. Parce qu’il m’a fallu quatre verres de rouge pour remarquer que tous ceux qui étaient là avaient pris un sacré coup de vieux depuis la dernière fois où je les avais vus. Juan y compris. C’est à ce moment que le chéri a lâché à mon attention un discret mais irrévocable «T’inquiète pas, nous aussi!» 

4 octobre 2005

Le poids des héroïnes (2)

Je vous racontais la semaine dernière le faux-pas majeur et incompréhensible qu’avaient commis le scénariste de «Lost» et Dennis Lehane: sous-entendre que quelque part, leur irrésistible héroïne respective était irrésistible parce qu’elle taillait 34. C’était comme si le tube cathodique et les pages de <em>Ténèbres, prenez-moi par la main</em> m’avaient lâché en pleine poire «Hé la grosse, tu seras jamais comme elles!» Un sacré coup.

Mon moral avait cru reprendre du poil de la bête avec «Enough». Dans ce nanar, sur lequel j’étais tombée un soir de zapping, Jennifer Lopez joue le rôle d’une femme battue qui décide d’apprendre à boxer, histoire de casser la gueule à son salaud de mari. Le film est moyen, mais JLo-je-sors-mes-fesses y a une réplique délicieuse: elle dit qu’il lui faut une doublure qui «mesure 1m63 et pèse 62 kilos», comme elle. Ça, c’est du scénario! me suis-je dit avec enthousiasme. Enfin un truc crédible! Et pour me convaincre un peu plus, j’ai néantisé le fait que JLo a failli épouser Ben Affleck, que sa zique est atroce et j’ai décidé de regarder le film jusqu’au bout.

Tout ça, c’était avant que notre Latina calliphyge lâche un pet au visage d’une serveuse (authentique). Depuis, même en toute mauvaise foi, je ne peux plus me dire: «Les maigrichonnes, je m’en tamponne, moi, je suis comme Jennifer Lopez.» Alors j’ai recommencé à lire Lehane et je me repasse «Lost». En caressant l’espoir qu’un jour, peut-être, un auteur de génie imaginera une héroïne que sa troublante façon de dégainer les crackers rend totalement irrésistible.

27 septembre 2005

Le poids des héroïnes (1)

Je suis fan de «Lost» et des polars de Dennis Lehane. A ma gauche, une épatante série frisson façon «Twin Peaks» à Hawaï (la TSR, bénie soit-elle, nous a offert un mémorable été avec trois épisodes hebdomadaires). A ma droite, les aventures noires à souhait d’un couple de privés bostoniens, cyniques, hypersexuels et amoureux.

Dans «Lost» comme chez Lehane, il y a une héroïne d’enfer: sur l’île maudite, c’est Kate (la belle naufragée ambiguë qui a toujours les cheveux mouillés) et dans les quartiers mal famés de Boston, Angie (la souple championne du flingue qui coupe la chique même aux caïds les plus tordus). Deux super nanas qui piétinent de leurs santiags le cliché de la nunuche et savent dire aux butors qu’ils peuvent toujours aller se brosser. La classe.

Alors dites-moi, qu’est-ce qui leur a pris, au scénariste de «Lost» et à Lehane, de venir nous casser les pieds avec cette info franchement pas vraiment décisive pour le déroulement des intrigues: à savoir que Kate la belle aventurière et Angie la somptueuse flingueuse pèsent «moins de 50 kilos»? Pourquoi un brillant auteur capable de raviver nos angoisses les plus intimes fait-il de la pub pour le yaourt 0%? Comment Lehane peut-il avoir écrit Mystic River et régresser au niveau «régime de l’été»?

Ça m’a donné l’impression qu’on venait de réduire mes héroïnes à de simple fitnetteuses diététiquement correctes et trucideuses de graisse. Il m’a fallu tout un paquet de snacketti paprika et même Jennifer Lopez pour me remettre. Mardi prochain, vous comprendrez pourquoi. 

20 septembre 2005

L’envers du Robby-Dog

Julie estime qu’il est impératif d’inculquer aux enfants le respect des animaux. Parce que les animaux ne sont pas des jouets juste bons à assouvir les caprices de marmots insensibles. Après tout, Julie sait de quoi elle parle: elle a un chien. Et en femme de conviction, elle ne s’est jamais gênée de remettre à l’ordre «ces parents totalement irresponsables» qui laissaient courir en liberté leur marmaille. Avec des remarques bien senties du genre: «Retenez donc un peu votre gosse! Il fait peur à mon chien!»

Mais ente-temps, Julie a eu un bébé. Qui comme nombre de ses contemporains, approche les animaux avec force glapissements suraigus, filets de bave exaltés et galipettes de cascadeur. Si bien qu’aujourd’hui, Julie estime que le problème dans la relation chien-enfant est «en fait du côté des maîtres».

Elle en veut pour preuve un spécimen dont elle a découvert avec dégoût qu’il venait faire déféquer son clébard tous les matins dans le carré de gravier où joue son fils. Certes, ce «porc» comme l’appelle désormais Julie, ramassait chaque fois l’étron dans un Robby-Dog. Mais écœurée à l’idée que les «bactéries fécales de ce clebs dégueulasse» puissent grimper sur les mimines de son fils, Julie a fini par haranguer le type depuis son balcon: «Ça ne vous est jamais venu à l’idée qu’il y a des enfants qui jouent ici? Il pourrait pas chier ailleurs votre chien?»

Depuis, Julie dénonce volontiers ces «tarés limite zoophiles qui mettent leur animal à égalité avec un enfant». Pas de doute, la maternité l’a fait évoluer. 

13 septembre 2005

Retombées de la taille basse

Mon armoire m’a fait savoir que nous avions atteint le point de non-retour et déclaré ma garde-robe zone sinistrée. J’ai donc rempli deux sacs Texaid et suis allée faire du shopping. Pour constater que les pantalons taille basse ont encore au moins une saison devant eux. Tout comme le lavage de cerveau auquel la gent féminine a souscrit depuis que quelqu’un a décidé que la taille n’était plus située à la taille, mais au niveau des hanches et de la raie des fesses.

Anatomiquement parlant, le pantalon taille basse a été conçu pour habiller des extraterrestres. Pourtant, la femelle humaine s’acharne à croire qu’il est fait pour elle. Et que si elle n’arrive pas à l’enfiler, c’est de sa faute. Alors elle pousse, elle tire à hue et à dia. Et constate, une fois dedans, que ce ses gambettes sont devenues des jambonneaux hideusement courtauds et ses petites poignées d’amour un pneu de semi-remorque. Mais elle est vaillante et se dit: «Le froc est adorable. Faut juste que je maigrisse.»

En fait, le pantalon taille basse est une poule aux œufs d’or. Il fait phénoménalement augmenter la probabilité qu’on se trouve obèse et qu’on dépense de l’argent pour être enfin digne de lui: en régimes, fitness, conseils diététiques, plats weight watchers

Mais tout espoir n’est pas perdu. Après tout, nos mamans s’étaient bien révoltées en mettant leurs soutifs au bûcher. Alors qui sait, un jour peut-être, nous déciderons nous aussi de griller des kilos de marshmallows vengeurs sur un feu de strings et de jeans Miss Sixty. 

6 septembre 2005

Système D

J’ai rencontré Cora l’autre jour, précédée de sa poussette trekking à roues mobiles individuelles et à pneus profilés. Nous nous sommes fait des becs, congratulées sur nos «super mines» respectives et racontées nos vacances autour d’un verre sur une terasse.

Ses vacances, Cora les a passées – hors-saison et hors-«troupeau», évidemment – avec son mari Sam et leur exquise petite Tessa sur un îlot croate «magnifique» où «le cousin de la femme d’un copain» possède une maison «incroyable», à deux pas d’une eau «hypercristalline». Leur quotidien s’est joué durant deux semaines entre barbotte, playa de galets, barbecue et verres de rouge (Cora peut enfin se la jouer un peu pochtronne, elle n’allaite plus). En un mot, le paradis.

Mais Dame Nature est venue coller une imperfection majeure sur ce tableau enchanteur (et presque DINK, il faut bien l’admettre), en faisant un come back inopiné dans l’organisme de Cora via… le retour de couches. «Et évidemment je n’avais rien pris, a poursuivi Cora en se mettant tout à coup à chuchoter. Pas même un vieux Tampax qui aurait traîné au fond de la valise. Et tu penses bien que sur cette île plantée dans le cul du monde, zéro magase à l’horizon!»

«Alors tu as fait comment?» ais-je voulu savoir en chuchotant moi aussi et en me penchant par-dessus la table. Cora a alors fait une petite grimace embarrassée et regardé autour d’elle avant de faire un aveu pas DINK du tout: «Ben j’ai pas eu d’autre choix que de prendre les Pampers de Tessa et de les découper aux ciseaux à ongles.» 

30 août 2005

Les enfants du jet lag

Pour les vacances, le chéri, les enfants et moi avons mis les bouts vers les côtes italiennes juste avant le rush de juillet. Et profité pour la dernière fois du hors-saison, de ses plages vides et de ses prix planchers. Comme notre aîné commence l’école enfantine, nous sommes en effet condamnés dès les prochaines vacances – et pour les dix prochaines années - à partir en même temps que «le troupeau», comme disent avec mépris les DINK (Double Income No Kids). «Le troupeau» étant, vous l’aurez compris, ces femmes et ces hommes que la société et l’économie s’acharnent à punir d’avoir fait des enfants en les entassant dans des bouchons autoroutiers et en les rackettant.

Comme nos bambins ont roupillé tous les jours jusqu’à 11 heures, nos vacances ont pris des allures d’éblouissante réussite. Notre secret? La méthode du jet lag, qui devrait figurer dans tous les manuels de puériculture en tant que sésame de la grasse mat. Jet-laguer un enfant est assez simple, il suffit de lui interdire au moins deux soirs de suite d’aller se coucher avant 22 heures. Et s’il a besoin de soutien, ne pas hésiter, céder à tous ses caprices, le gaver de gelati...

Après deux jours de ce régime, il est bien décalé, dort ferme et vous aussi. En plus, votre estime de soi fait un bon colossal. Parce que réussir à faire dormir ses enfants jusqu’à 11 heures, cela permet de se sentir aussi fortiches que les DINK. Et de croire de nouveau à des assertions illusoires du genre: «On peut très bien avoir des enfants sans devenir leur esclave.»

29 juin 2005

A nous l'été!

Il faut s’y résoudre, l’été est définitivement là. Et avec lui, l’obligation pour les femmes de clamer «C’est super ce soleil! Moi, j’adore la chaleur! Et puis ça fait un bien d’enlever toutes ces couches, de respirer, quoi!» Obligation, parce que celle qui n’affiche pas régulièrement son enthousiasme estivophile finit forcément par passer pour une rabat-joie en voie de mémétude.

Et c’est bien connu: seules celles qui exhibent hédonistement leur corps (spontanément ferme et hâlé of course) rayonnent de joie de vivre. «Etre bien», c’est «revivre» sous les canicules, «se régaler» de crudités et de séré maigre… L’équilibre, quoi. Voilà pour le mythe. Moi, je fais partie de celles qui n’ont rien contre l’hiver – surtout vu sous l’angle de ses plats délicieusement riches. Et l’été, je pourrais même aimer si on voulait bien lâcher les chlappettes à mon sexe. Car pour les femmes, la belle saison est juste une suite d’injonctions subliminales du genre «Traque le bourrelet qui est en toi!» ou «Humilie-toi dans ce bikini qui te boudine!»

Alors que l’été pourrait être une saison merveilleuse. Il suffirait de troquer le lycra qui fait suer contre une chose maxi-aérée genre tunique XXL, de rester vautrée au frais sous les arbres et de se taper voluptueusement de grosses caipirinhas avec des bols entiers de pistaches au sel. On cesserait de se sentir saucisse, on s’aimerait comme on est, ni hâlée ni ferme. Ça, ce serait l’équilibre, non?

Les filles, c’est à nous: il reste six semaines pour transcender le bikini et réinventer l’été. 

22 juin 2005

Savoir s'y prendre

Cora traverse une phase euphorique. Sa fille Tessa a 6 mois, fait ses nuits, sourit au monde entier, goûte avec enthousiasme aux purées de légumes et joue seule en gazouillant sur son tapis d’éveil quand sa maman papote avec les copines. Un vrai bébé modèle.En fait, Cora a un bol d’enfer. Mais elle est convaincue que si ça se passe aussi bien, c’est avant tout grâce à elle. Parce qu’elle, elle sait s’y prendre.

Cora évoque ainsi régulièrement «ces gosses qui vous interrompent sans arrêt et balancent tout par terre parce que leurs parents ne savent pas poser de limites». Mais elle omet de mentionner la seule véritable différence qu’il y a entre sa fille et «ces gosses»: 12 mois. Car à l’inverse de sa fille, «ces gosses» sont déjà capables de se mouvoir. Seuls. Et d'enclencher la guirlande de catastrophes qui va avec. Mais pour Cora, l’idée d’un bébé qui quitte seul son tapis d’éveil est aussi abstraite que la théorie des cordes. Et elle refuse de croire que bientôt, il ne suffira plus de dire «Oooh, mais regarde plutôt le joli maracas! Tsk tsk tsk!» pour avoir la paix.

Alors bien sûr, quand je raconte à Cora que mes enfants jouaient eux aussi paisiblement sur un tapis d’éveil à l’âge de 6 mois, je lis dans son regard: «Donc ma vieille, c’est que tu as dû entre-temps te planter quelque part.» Evidemment, je ricane intérieurement et me réjouis de reprendre cette conversation dans un an, quand l’adorable bébé aura découvert la marche et l’opposition.

Mais je dois admettre que l’hypothèse me traverse parfois l’esprit. 

15 juin 2005

Pinard ou café?

Pour la première fois de sa vie, Lumi est fatiguée par un bébé à venir. «J’ai juste la force de me goinfrer de glaces et j’ai pris huit kilos en dix jours», m’a-t-elle confié l’autre jour en se servant son douzième mug de café de la journée. Je lui ai dit alors que ce qu’il y a de bien, quand on mesure 1 mètre 85 comme elle, c’est que ça ne se voit pas. Ragaillardie, elle nous a mis une nouvelle cafetière en route et pioché deux cornets dans son congélo.«Lumi est l’être au monde qui boit le plus de café», dit volontiers Sean. C’est ce que dit aussi son gynécologue et il le lui reproche. Lumi trouve ça «révoltant». «Sutout, souligne-t-elle, quand je vois ces Suissesses qui se descendent du blanc pendant leur grossesse avec la quasi-bénédiction du corps médical.»

En fait, d’Helsinki à l’Helvétie, les femmes savent que le pinard et le café sont des ennemis des bébés qui poussent. Pourtant, Lumi et moi avons relevé que chaque culture coupe la poire en deux à sa manière. Ici, un nombre écrasant de femmes enceintes trouvent spontanément le café répugnant mais lèvent volontiers le coude à l’apéro. Lumi, elle, c’est l’idée du ballon de rouge qui la révulse, alors que l’odeur de son grand noir la ramène à la vie.

Mais heureusement, il y a la glace: un met merveilleux et réconciliateur autour duquel les futures mères se retrouvent toutes latitudes confondues. Et qui à l’inverse du café ou du Mont-sur-Rolle, n’a été mis à l’index que par les diététiciennes. Or là, je pense comme Lumi: leur avis ne compte pas. 

8 juin 2005

Ligotez-moi!

L’objectif des chaînes de télé, c’est de réussir à ligoter le téléspectateur sur son fauteuil afin de lui interdire tout zapping vers la concurrence – même pendant la pub. Pour réussir ce tour de force, il faut évidememnt un programme en béton. Mais dans le fond, les télépahges incurables, dont je suis, ne demandent que ça: qu’on les scotche au poste avec de d’opium catodique de premier choix.

Sur ce chapitre, en tant que Romande, je vis actuellement un véritable conflit de loyauté. Car en ce moment, la seule chaîne qui me ligote est alémanique. Je sais, c’est douloureux, ça ravive le röstigraben et tout le bazar... Mais disons-le tout de go: le programme du lundi soir sur SF2 frôle la perfection avec deux bijoux venus du pays merveilleux des séries inédites: «Desperate Housewives» et «Lost».

Ça me fait mal au cœur pour la TSR, parce qu’avant, c’était elle la pionnière. Grâce à son flair avant-gardiste, nous avons eu «Urgences», «Sex and the City», «Six Feet Under» ou «Nip/Tuck» avant tout le monde.Mais aujourd’hui, c’est presque le déclin. La 3 de «24» était déjà sur SF2 en janvier alors que la TSR la diffuse seulement maintenant. «Lost» fait flipper les Alémaniques depuis début avril mais sa diffusion romande n’est prévue que pour «vraisemblablement d’ici cet été» annonce vasouillardement tsr.ch. Quant aux fabuleuses «Desperate Housewives», «Canal+ a la priorité», donc on sait pas…

Sérievores romands, il est temps de réagir. Et de rappeler ses obligations à la TSR en clamant haut et fort «Ligotez-moi!» 

1 juin 2005

Lâcher prise

Pour Lumi et Sean, les choses sont au beau fixe. Sean a retrouvé du travail et Lumi est enceinte de leur troisième enfant, donc définitivement sur la voie du «lâcher prise». Enfin presque, car depuis qu’elle se sait enceinte, Lumi est frénétique. Elle s’est inscrite pour un postgrade à l’Université qui démarrera lorsqu’elle aura atteint son septième mois de grossesse et suit en attendant un cours de photo à l’Ecole-club Migros. Elle a aussi pris un autre chien et décidé de poncer elle-même le plancher de son grenier – à la main. «Histoire que les choses soient lancées au moment où j’accoucherai» explique-t-elle.

Heureusement, Lumi est mariée à Sean. Un mâle de l’espèce rare et remarquable qui ne se contente pas de dire «Je ne sais pas comment elle fait», mais investit autant de flair stratégique pour trouver des solutions domestiques que pour manœuvrer dans les nébuleuses boursières. La preuve, il a réussi à démontrer à Lumi qu’il ne manquait qu’une chose à son enthousiasmant tableau: une jeune fille au pair.

Lumi a finir par dire «D’accord» et Sean peut se vanter d’avoir réalisé là un véritable coup de maître. Il a en effet renforcé les chances que Lumi ne finisse pas sa grossesse complètement zinzin, mais sans lui faire perdre la face dans son combat contre le «dogme féministe finlandais». Parce qu’accueillir une nounou laponne pour que les enfants restent proches de leurs racines, ce n’est pas du tout la même chose que de les faire garder par quelqu’un d’autre, pas vrai? 

29 mai 2005

X-File épidermique

J’ai attrapé une rougeur au visage. Une inflammation aussi discrète et seyante qu’une lampe de chantier, à vous flanquer des coups au moral chaque fois que vous vous regardez dans la glace. J’ai quand même essayé de prendre sur moi pendant dix jours en me disant «ça finira bien par passer tout seul».

Mais cette recette pétrie de sagesse populaire est restée totalement inefficace. Si bien que j’ai fini par aller voir mon généraliste, qui m’a longuement scruté le visage en plissant les yeux, et a achevé de m’humilier en décrivant ce qu’il voyait: «C’est vraiment très rouge, hein? Et ça s’étend là… Vous avez remarqué vous aussi ces petites pustules sur le bord, hein? Tsss… Bon! On va mettre un peu de cortisone. Mais il se peut que ça revienne.»

Mon généraliste est aussi prophète: il s’est produit exactement ce qu’il avait dit, c’est revenu. En pire. Si bien qu’il m’a envoyée chez un dermatologue. Ce fascinant personnage chaussé de baskets lamées argent et assis dans un bureau design baigné de musique easy listening m’a balayé le visage de son œil au laser. Avant de déclarer lapidairement «Ce n’est pas de l’acné» et de me faire une ordonnance… pour un traitement anti-acné.

Les voies de la dermatologie sont impénétrables: ma rougeur s’est envolée. Peut-être parce que ce traitement contre l’acné est secrètement efficace contre ce qui «n’est pas de l’acné». Ou alors, ce sont les baskets en papier d’alu. Dommage que Mulder et Scully aient définitivement raccroché: j’aurais bien aimé avoir leur point de vue. 

18 mai 2005

Gros rires

Mon beau-frère m’a envoyé l’autre jour par voie électronique d’adorables photos de mes enfants avec leurs cousins. On y voit ces quatre petites merveilles vêtues de leur déguisement préféré: un épatant costume de chevalier Ikea qui englobe une cape bleu roi 100% synthétique, une cagoule imitation cote de maille avec gants assortis, une épée en mousse et un bouclier. L’accoutrement idéal pour se sentir invincible et traverser à toute vitesse le salon en hurlant «A l’attaaaaque!!!!»Sur lesdits clichés, nos petits compagnons du roi Arthur en herbe sont juchés tous les quatre sur un lit. Ils brandissent leurs épées en direction de l’objectif et rient aux éclats. Des images qui font fondre le cœur d’une mère, surtout lorsqu’elle les reçoit sur son mail alors qu’elle était en train de se débattre dans un labeur particulièrement ingrat. Là, d’un coup, la vie a sens.

Débordante d’amour et de tendresse, je les ai forwardées derechef à mon chéri qui m’a aussitôt répondu que oui, décidément, c’était des photos épatantes, à vous faire oublier les récents levers nocturnes de notre cadet, qui vient nous avertir à 3 heures du matin, que là, maintenant, il « doit jouer au garage et aux dinosaures».

Bien sûr, nous avons montré ces photos le jour même à nos enfants dès leur retour de la crèche. C’est là que j’ai demandé à mon aîné: «Au fait, qu’est-ce qui vous faisait rire comme ça?» Il s’est esclaffé et a répondu en désignant l’un de ses cousins hilares: «C’est lui! Il arrêtait pas de dire caca!» 

11 mai 2005

La choco-vérité

Le chocolat noir jouit en ce moment d’une cote d’enfer, au détriment de son cousin au lait que d’aucuns n’hésitent plus à traîner dans la boue. Les médias relaient ainsi avec enthousiasme les propos d’experts qui affirment que «si c’est au lait, pire si c’est blanc, ce n’est pas du chocolat». Un journaliste alémanique n’a d’ailleurs pas hésité à démasquer dans une story baptisée «Le choco-mensonge» cet infâme usurpateur qu’est le chocolat au lait suisse. Car en matière de goût, seul le «couverture Fechlin» sauve l’honneur helvétique, disent les cacaopontes. Pour eux, le meilleur choc du monde vient d’Italie, de France, d’Espagne, de Belgique. Et il est noir.

Cette vague de dénonciation a considérablement ébranlé la fan de Chocmel que je suis. J’ai donc décidé de me reprendre en main et je suis allée chez Globus faire mes emplettes en «bon chocolat». J’ai adoré. Et surtout craqué pour les chocolats belges à cause de leurs emballages. Impossible de résister aux étuis façon pochette à tabac de Dolfin et aux papiers kraft rétro de Café Tasse. Et puis ces mélanges insensés! Au confit d’orange, au thé Earl Grey, au poivre rose, à l’anis… Je les ai tous pris.

J’ai étalé la dégustation sur une bonne semaine. Bilan: exquis et gustativement à des années-lumière de la galaxie Chocmel. Mais ces noirs si raffinés ont un gros défaut: impossible de s’envoyer d’un coup une tablette entière. Alors qu’avec le Chocmel, c’est un jeu d’enfant. Et quand on a besoin de réconfort-délice express, c’est un argument décisif.

4 mai 2005

Roulo et Tristan à la Migros

L’autre jour à la Migros, mes enfants ont décidé d’improviser une course entre leurs machines Bob le Bricoleur sur le tapis roulant de la caisse. Avant que j’aie pu intervenir, Roulo le rouleau-compresseur et Tristan le tracteur étaient dans les starting-blocks entre les fraises et le jambon. Et mes bambins de clamer: «VROUM! VROUM!! AAAH! ROULO ÉCRASE LES FRAISES! VROUM!TRISSS-TAN SHOOTE SIROP! VROUM!!»

Dans mon esprit, tous les voyants lumineux ont aussitôt indiqué «Red Alert, Evacuation immédiate». Mais pour la galerie, j’ai enfilé mon costume de mère posée et tout en bataillant avec le contenu du caddie, tenté de maîtriser mes fils d’un ton qui se voulait serein mais ferme. En vain: contre un rouleau-compressage de mozzarella, je n’avais aucune chance.J’ai alors tendu ma carte Cumulus à la caissière d’un air désolé. Laquelle caissière m’a foudroyée du regard avant de lâcher: «Bon Dieu, ce sont JUSTE DES GOSSES! Faut les laisser un peu! Alors, montre-moi ce super rouleau-compresseur, a-t-elle dit en minaudant à mon aîné qui lui a retourné un sourire radieux. Vroum vroum vroum, hein? Comme il roule vite! Et toi, tu en as un beau tracteur! Comment il s’appelle, hein?» «Triss-tan», a répondu le cadet. «Oooh, Triss-tan», a répété la caissière, la voix dégoulinante d’attendrissement. Avant de me filer le ticket de caisse sans un regard.

Et pour cause: je suis une mère lamentable, qui ignorait que pour les enfants, une M-Bob-course représente une étape fondamentale du développement. 

27 avril 2005

Just do it!

Sean, le mari de Lumi, est un Américain comme les Européens les aiment: ni Républicain ni inculte ni obèse, mais svelte, brillant, polyglotte et doté d’un humour exquis très Côte Est. C’est aussi un as de la finance. Jusqu’à récemment, Sean bossait dans une banque privée pour un salaire mirobolant – qu’il estimait d’ailleurs parfaitement mérité. Et puis, il s’est produit un truc scandaleux, inexplicable à ses yeux: il a été viré.

Mais Sean ne s’est pas avoué vaincu et a fait honneur à ses origines: on est un self made man made in America ou on ne l’est pas. Son licenciement est devenu un «stimulant défi» et le chômage «une simple parenthèse» pendant laquelle il aurait «enfin plus de temps pour les enfants». Dans son fort intérieur, il était convaincu que ça lui prendrait six semaines à tout casser avant d’être réembauché. Car Sean est un adepte de la religion «Just do it!», dont la liturgie dit «Si on veut, on peut». Or lui, il se donne, il y croit et il en veut à mort. Donc ça ne peut que marcher. CQFD.

Mais les six semaines ont passé et rien. Malgré un dossier nickel et des entretiens béton. Après trois après-midi en forêt, ses enfants lui ont fait comprendre qu’ils en avaient marre de griller des saucisses. Et après trois après-midi de pluie passés avec eux chez Ikea, Sean a avoué à Lumi qu’il n’en pouvait plus, qu’il les aimait mais qu’il n’en pouvait plus, et qu’avec la lessive, il était dépassé.

«Il est un peu au fond du trou, conclut Lumi. Mais ça le rend meilleur: il ne dit plus just do it.» 

20 avril 2005

Héritage féministe

Lumi est Finlandaise et tente en Suisse une expérience qui lui vaudrait illico l’opprobre de ses compatriotes: elle est femme au foyer. Non qu’elle ait la fibre ménagère. Les fées du logis la laissent perplexe, ses talents culinaires se résument à suivre les indications qui figurent sur l’emballage des plats précuisinés et elle a trouvé ses études universitaires passionantes. Alors quoi?Eh bien Lumi est femme au foyer par protestation contre ce qu’elle appelle le «dogme féministe finlandais qui définit une femme exclusivement par son boulot». Elle est convaincue qu’on peut faire les choses «différemment». Le problème, c’est qu’elle n’a pas encore trouvé comment. Par exemple, ses enfants lui courent sur le fil avec la même régularité qu’ils courent sur celui de mères qui bossent au moins à temps partiel.

Mais Lumi est plus finlandaise qu’elle ne veut bien l’admettre. La preuve par la dernière party où je l’ai vue. Une soirée assez branchée où elle a débarqué sans make-up vêtue d’un velours côtelé stretch taille haute et d’un col roulé bûcheron. Il faut avoir reçu une éducation 100% féministe pour oser ça. Elle a gentiment salué l’assemblée incrédule avant d’aller raffler au bar une bouteille de Prosecco et une autre de Coca (elle aime bien boire les deux en alternance «pour équilibrer» dit-elle). On s’est assises et après quelques flûtes &amp; Coke, elle m’a dit qu’elle tenait peut-être la solution: «Je crois qu’on va faire un troisième enfant. Il paraît que là, tu lâches totalement prise et que tu deviens définitivement cool.» 

13 avril 2005

Obsession substitution

C’est un truc que j’ai depuis petite: je découvre une recette, elle me fait envie et paf, me voilà limite obsessionnelle. C’est comme une urgence. Là, tout de suite, même si je n’ai pas les ingrédients, il faut que je cuisine, que je prépare ça.

A 11 ans déjà, je ne pouvais pas lire la recette de la tarte au citron par Freddy Girardet sans courir aussitôt à la cuisine pour la préparer en me contenant du contenu anti-cholestérol de notre frigo familial. Avec du séré maigre à la place de la double-crème, le résultat était granuleux, mais l’urgence apaisée.

Ça me reprend régulièrement. Dernière en date: la baguette fusion, dont je dois la recette au «Tages-Anzeiger». Le met témoigne, dixit l’auteur, de la «double empreinte culinaire laissée par les Français en Indochine: la baguette et la Vache-qui-rit». Il paraît qu’au Viêt-Nam – je dis il paraît parce que je n’y ai jamais mis les pieds – on en fait des tartines garnies de viande rôtie ou de saucisson, le tout parsemé d’herbes aromatiques hachées.

L’évocation de cette rencontre croustille-graisse-poivre m’a fait saliver illico. J’ai rongé mon frein toute la soirée en me repassant mentalement le contenu du frigo jusqu’au coucher des enfants. Et puis, j’ai attrapé le Pain Paillasse (pas de baguette sous la main), je l’ai copieusement enduit de Tartinette (j’avais pas de Vache-qui-rit), garni de saucisson fribourgeois (à la guerre comme à la guerre) et de menthe (coriandre décidément trop racornie)... Extraordinaire! Et vous savez quoi? Je trépigne à l’idée de recommencer.

4 avril 2005

Mères slims

La grossesse était jusqu’à récemment le seul épisode de la vie d’une femme où son corps avait le droit d’être enrobé et moelleux. Mais aujourd’hui, gynécologues et guides pour «Neuf mois en pleine forme» vous enjoignent à ne pas dépasser 12 kilos côté prise de poids. Heureusement, notre cerveau reptilien nous fait ignorer cette punition diététique. Si bien qu’en règle générale, on pèse plutôt 20 kilos de plus la veille d’un accouchement et presque autant le lendemain.

Mais les corps tendres et charnus des accouchées pourraient bien être une espèce en voie de disparition face à l’invasion des mères slims. Comme celle qui partageait ma chambre à la mat et qui deux jours après la naissance de sa fille enfilait avec désinvolture des jeans taille 36, alors que les vêtements de grossesse continuaient de m’aller presque comme un gant. Pourtant cette négation incarnée du bidon post-partum affirmait avoir «craqué sans arrêt» quand elle était enceinte. Là, je la suivais totalement – la grossesse, c’est fantastique et planant parce que justement n’arrête pas de craquer pour des choses délicieuses. Mais alors que moi j’avais craqué durant trente-huit semaines pour des spaghetti carbonara ou des pâtisseries, elle, elle avait régulièrement craqué… pour des pommes.

Comment peut-on «craquer» pour des pommes? Rien que l’énoncé est suspect et symptomatique d’un mensonge collectif. Ça me met d’ailleurs tellement en rogne que je vais me faire une carbonara archi-riche ce soir. Et tant pis pour le 36. 

30 mars 2005

Sexe, re-sexe et cinéma

Marc Forster a raconté pendant la promo de son film «Finding Neverland» qu’il s'était repassé toutes les scènes de sexe de l’histoire du cinéma. Il a évidemment omis de dire dans quel état ça l’avait mis. Mais on connaît aujourd’hui son tiercé gagnant: «Don’t Look Now» de Nicolas Roeg, «Out of Sight» de Steven Soderbergh et «Jungle Fever» de Spike Lee. Pas mal, mais j’ai deux outsiders.

D’abord «The Piano» de Jane Campion, où tout n’est que jeu subtil, détail affolant du grain de peau, effleurements, violence contenue… un monument. Ensuite, il y a «8 Mile» de Curtis Hanson, le film où Eminem rappe et a les tifs désoxygénés, que j’ai vu récemment lors d’une séance de rattrapage DVD. Je sais, ça fait des lustres qu’il est sorti. Mais alors que j’ai pu lire partout le dossier de presse recopié («C’est un peu la vraie vie d’Eminem mais pas vraiment…», «Le tabou du Blanc dans l’univers hip-hop…») assorti de dithyrambes sur l’«étonnant charisme» du rappeur-acteur, personne ne semble avoir remarqué que Curtis Hanson a tourné dans ce film une scène de sexe prodigieuse et bouleversante. Je veux parler de celle où Eminem et Brittany Murphy font l’amour à la sauvette dans une usine. La scène dure 115 secondes à peine, 115 secondes d’une extraordinaire intensité où Hanson réussit à filmer l’abandon de soi dans une proximité à peine soutenable. C’est à couper le souffle.

Au point que je me demande si Marc Forster ne raconte pas des salades quand il affirme qu’il les a toutes vues…

23 mars 2005

La force du Chi

Anke est infirmière et adore dépenser l’argent qu’elle n’a pas. Lasse des intrigues hospitalières, elle a décidé l’an dernier d’ouvrir un cabinet d’esthéticienne. Elle a loué à cet effet des locaux pas chers, s’est fait faire un joli logo gratuit par une copine graphiste. Et puis, elle a pété les plombs et euphoriquement dépensé la quasi-totalité de sa caisse de pension en équipements, en déco, en cartes de visites, en prospectus, en Smart porte-enseigne et surtout en consultations feng shui – histoire de placer tout ça sous les meilleurs auspices.Le jour de l’inauguration, flûte de champagne à la main, Anke rayonnait dans son cabinet flambant neuf et totalement feng shui. Sauf que les clientes ont presque toutes oublié de venir. Si bien qu’elle a fini par mettre la clé sous la porte et est redevenue infirmière.

Voici son bilan: «Je sais ce qui a foiré et ma conseillère feng shui est totalement d’accord. Niveau circulation d’énergies, les locaux étaient catastrophiques et le rayonnement du logo tellement négatif que ça bloquait le Chi. Bref, ça ne pouvait pas fonctionner.»

Le problème, ce n’est donc pas que son quartier était déjà maximalement saturé en esthéticiennes, ce n’est pas qu’elle n’avait pas de business plan, ce n’est pas sa phénoménale aptitude à se faire baratiner par les décorateurs, les imprimeurs, les garagistes et les consultants ésotériques: c’est qu’elle a commis l’impardonnable erreur de ne pas se ruiner totalement tout de suite. C’en était trop pour le Chi. Et il s’est vengé.

9 mars 2005

Un mec impeccable

Julie a accouché il y a quinze jours de son premier bébé. Par voie naturelle sans péridurale ni épisiotomie en 4 heures 30 chrono. Sur les photos prises dans les minutes qui ont suivi la naissance, elle a à peine l’air fatigué. Une vraie pub pour l’enfantement que scrutent avec incrédulité celles qui ont enduré un calvaire de 15 heures qui s’est achevé par une césarienne en urgence et quatre côtes luxées.

Quand Julie a regagné ses pénates avec son bout de chou, Marc, son mec, a été impeccable. Il disait d’ailleurs à qui voulait l’entendre qu’il ne «comprenait pas» ces mecs qui se débinent. Il a langé et baigné le petit, fait les commis, la lessive, préparé à manger – et sans doute fait baver d’envie toutes celles dont le compagnon avait vite battu en retraite au boulot dès leur retour de la mat. Julie était en extase, folle de lui et de leur bébé. Elle se faisait jolie et mettait du rouge à lèvres.

Et puis peu à peu, Marc a remarqué qu’on avait «besoin de lui» au travail. Et comme le petit l’avait réveillé la nuit, il a dit le lendemain que «ouh là là», il avait été «KO» toute la journée et que s’il ne voulait pas «verser», mieux valait désormais qu’il ne se lève pas plus d’une fois.

Alors maintenant, Julie le laisse dormir. Elle et le petit font la sieste serrés l’un contre l’autre. Elle pleure trois fois pas jour et son apparte n’est plus un loft de catalogue. Il est 17 heures, elle est toujours en pyjama et n’a pas mis de rouge à lèvres. Elle est superbe, elle sent le bébé et le lait. Elle est maman. Pour de vrai. 

6 mars 2005

Vêtements traumatiques

Chaque fois que je vois des photos de moi quand j’étais petite, je lâche des «Regarde-moi ça!» apitoyés, comme si j’étais en train de contempler des illustrations de maltraitance infantile. Les clichés qui m’indignent le plus sont ceux qui portent indubitablement la patte de ma mère. Comme celui qui me montre à 9 ans à l’anniversaire de mon cousin en plein mois de juillet, vêtue de l’atroce petite robe de laine turquoise qui grattait et que ma mère m’avait obligée à porter pour l’occasion. Ma mère, cet être tyrannique et aliénant qui avait refusé que je mette mon dos-nu Barbie à paillettes et mes baskets orange.

En grandissant, je me suis jurée comme tant d’autres: jamais je n’imposerai ça à mes enfants. Et pourtant.

Les fringues préférées de mes garçons, celles qui leur arrachent des sourires extatiques, sont précisément celles qui me laissent le plus perplexe et que je leur ai achetées la mort dans l’âme après force supplications: le pull bolide de formule 1, le slip Power Ranger, l’horrible casquette Spiderman... Alors que moi, je les trouve à croquer dans ces adorables vêtements d’inspiration vintage totalement hypes façon faux second hand - vous voyez ce que je veux dire? La preuve que leur goût est encore immature, c’est qu’ils ont l’air de se résigner à les porter.

Quand je dis ça au chéri, il acquiesce. Et me brandit sous le nez la photo de moi à 9 ans en robe turquoise qui gratte. Histoire sans doute de me rappeller qu’il ne suffit pas de bonnes intentions pour rompre une chaîne névrotique. 

3 mars 2005

Comestibles

Cora vit en ce moment l’épreuve suprême du post-partum allaitant: la mastite. Car outre le fait que cette «inflammation de la glande mammaire» (Petit Robert) est abominablement douloureuse, elle a le don de faire basculer sa victime au rang de bidoche à apprêter.

C’est le gynécologue de Cora qui s’est laissé aller le premier en découvrant sa poitrine souffrante et enflammée: «Bonté divine! a-t-il lâché avec tact. Mais on dirait du coulis de tomate. Et c’est tellement chaud qu’on pourait faire cuire des œufs au plat là-dessus!» La sage-femme, appelée à la rescousse pour accélérer la décongestion des nénés souffrants, a aussitôt pris le relais en expliquant que la règle d’or pour traiter une mastite, c’est «vider et mettre au frais». Or comme le cold pack de Cora, qui aurait dû favoriser la «mise au frais», était bien au chaud dans son armoire à pharmacie au lieu de se pétrifier au congélo, la sage-femme lui a conseillé de mettre des petits pois surgelés dans un sachet en plastique et de glisser le tout dans son soutien-gorge après chaque tétée. Elle lui a également recommandé d’appliquer sur ses seins des gazes enduites de séré maigre et des feuilles de chou glacées. Un vrai menu thérapeutique.

Si bien que depuis quatre jour, entre chaque tétée, Cora endure un décoleté qui embaume la jardinière de légumes (quand son traitement comestible dégèle) ou marine dans du petit suisse. Mais elle tient le coup. Et encaisse stoïquement quand son gynécologue soupire: «Ah oui, le coup du fromage blanc. Vous verrez: après, on n’a plus envie d’en manger.»

23 février 2005

Espèce de styliste!

La nouvelle saison de «MusicStar» (la Star Ac’ alémanique) va s’achever ce dimanche et je suis terriblement soulagée. La faute à la souffrance visuelle que cette émission m’a infligée durant deux mois: le «styling» des participants y a probablement battu tous les records de l’insoutenable.Je vous vois venir: «Pas étonnant! Un show pour bourbacks mangeurs de salade de saucisse!». Alors à moi de vous rappeler la France (terre autoproclamée d’élégance et de bon goût) et les looks monstrueux dont elle a affublé avec zèle durant quatre éditions les participants de la Star Ac’ TF-unienne.

Les responsables de ces ignominies sans frontières, ce sont les stylistes. Des êtres flous censés faire du glamour, mais dont l’objectif est en réalité de repousser sans cesse les limites du moche. Les bons stylistes sont donc ceux qui arrachent par émission le plus de «Non!» effarés aux téléspectateurs. Alors qu’ils ont sans doute affirmé en backstage aux malheureux dont ils «s’occupaient»: «Je sais, ça fait déjante, cet ensemble. Mais ça te va vachement bien. Je t’assure, ce côté fou, un peu décalé c’est hyper élégant, super beau. Et c’est vraiment toi.»

Ils ont dû dire un truc du genre à l’animatrice de «MusicStar» pour qu’elle accepte d’enfiler l’hallucinant corset lamé or de l’autre soir. «A la base, elle est mince, biquette, vraiment pas moche, lâchait l’autre jour une copine avec consternation. Mais chaque fois qu’elle débarque sur le plateau, tu te dis 'Tiens! Voilà le boudin!'»

Courage: plus qu’un voyage en science-fiction vestimentaire et c’est terminé. Sauf que Star Ac' devrait rempiler tout soudain...

16 février 2005

La lolette du toxico

Notre aîné a 4 ans et c’est un toxico de la lolette-pré-pionce. C’est mal, dit l’évangile de puériculture, qui encourage les parents à trouver des stratégies pour que leur enfant renonce spontanément aux délices de la tétouille. Dans le droit fil de ces préceptes, nous avons raconté maintes fois d’un air exalté à notre aîné les histoires (véridiques) d’enfants qui jettent spontanément leur lolette à la poubelle. Et ça a porté ses fruits: à force de se faire laver le cerveau, notre fils nous a annoncé spontanément qu’il allait lui aussi passer à l’acte. Tout était merveilleux... jusqu’à l’heure du coucher, où il nous a fait savoir qu’il avait changé d’avis. Mais nous avons su rester fermes. Aimants mais fermes: fini la lolette.

Cette aimante fermeté a marqué le début d’un véritable cauchemar scandé d’épisodes nocturnes où la chair de notre chair hurlait au désespoir. Et puis hier soir, tout a basculé. Nous allions attaquer l’apéro avec nos invités, lorsqu’il s’est mis à geindre. Nous avons d’abord ri, comme des parents cool et bien dans leur peau. Puis tenté de nous relayer à son chevet. En vain, nous semblions condamnés au rôle odieux des géniteurs chez qui tout foire.

Alors le chéri et moi avons envoyé paître l’évangile de puériculture, dégainé la lolette de secours et glissé le corps du délit dans la bouche du poussin. Ses yeux ont vrillé de délice comme ceux d’un héroïnomane, son corps s’est affaissé. Et nous sommes retournés à notre Prosecco en soupirant d’aise de nous être montrés si faibles.

9 février 2005

«24»: les chiffres et les chips

«24» a démarré son «Day 3» sur la télé alémanique et j’ai vraiment payé de ma personne pour être digne des nouvelles aventures de Kiefer-Jack: en me repassant l’intégrale du «Day 2». Pas de quoi fouetter un chat me direz-vous… seulement si vous n’avez pas d’enfants en âge préscolaire, donc pas conscience de leur hallucinant potentiel d’énergie rapteuse. Car se faire «24» en 6 jours, c’est un tour de force quand on est jeunes parents. Le chéri et moi, nous avons d’abord tenté le coup via SF2, qui avait secourablement programmé une rediffusion en mode 4 x 6, et tenu bon la première soirée (1 x 6) jusqu’à 3 heures du matin. Mais quand nos bambins sont venus nous réveiller pétant de forme 4 heures 45 plus tard, il nous a fallu admettre que sans coffret DVD, nous allions finir à l’hôpital.

Grâce au numérique, nous avons pu saucissonner l’intégrale 2 en fonction de notre niveau d’endurance (très variable) et de l’état de nos réserves de chips (qu’il s’agissait de garder constant). Nous sommes arrivés au bout, fiers de nous et totalement épuisés. A point pour cueillir Kiefer-Jack en orbite numéro 3.

Notre surhomme fait une fois encore face une situation totalement invraisemblable avec son irrésistible jeu Actor’s Studio (regards hésitants, sourires à demi, émotions ostensiblement réprimées) – ça me rend méga chose. Mais le meilleur est à venir: la 3 sortira bientôt en DVD. Nous aurons donc bientôt l’occasion de perpétrer un nouvel exploit mathématico-chipsique et de prouver que, nous aussi, nous pouvons être des héros. 

2 février 2005

Trempette et zapette


Pour d’aucuns, le petit plaisir à deux, c’est un souper aux chandelles avec mets raffinés et pinard subtil bu les yeux dans les yeux. Pour le chéri et moi, c’est une fondue au fromage devant la télé. On pourrait facilement taxer de concept de consternant, tueur de couple et typique de tout ce qui ne va pas dans notre société «en mal de repères»: trop de graisse, trop de TV et pas assez de repas pris à table.

N’empêche: chaque fois que nous faisons de la cheese-trempette devant le poste, nous anoblissons la fondue en lui offrant le meilleur du programme télé ou de notre DVD-thèque – certes encore modeste, mais au potentiel d’extension considérable, vu que nous avons raté 500 films au bas mot depuis que nos enfants sont nés.

Tout le secret est dans la programmation. Oubliez les bonnes séries, forcément brutales, voire sanguinolentes. On déconseillera par exemple «Urgences» et «Nip/Tuck»: non que les affres existentielles des urgentiste ou le cynisme en chemise rose du Dr Troy s’harmonisent mal avec la caresse onctueuse que la fondue fait aux papilles. Le vrai problème, c’est quand l’hémoglobine gicle ou quand ça liposuce comme pour de vrai: même le plus fabuleux des mélanges n’y résiste pas.

Non, le top du top c’est un bon film rendu cinéma-size grâce à la magie du beamer du voisin. Dernière variante testée: mon chéri, ma fondue et mon canapé avec «Lost in Translation» projeté en grand sur le mur de mon salon. Inoubliable. Le temps d’une moitié-moitié, nous avons effleuré la magie du village global.