31 mars 2007

Back To Basics

Quelque chose ne va pas, Sean le sent bien. Un truc, en lui, est sur le point de céder. De craquer. Aucun doute, il flirte avec la limite. Et le test sur Internet vient de confirmer ce qu’il pressent depuis un bon moment: le burn out le guette.

Ça y est, le mot est lâché: burn out. Deux syllabes qui résument implacablement ce qui lui arrive. A lui, Sean, qui se défonce sans compter, alors que tout le monde s’en fout. A lui, Sean, qui sera bientôt complètement cramé. Dans l’indifférence générale.

Sans compter que les symptômes annonciateurs se multiplient à vitesse grand V: il a du mal à se lever le matin (quatre heures de sommeil ne lui suffisent plus), son rendement professionnel diminue (comment expliquer sinon la stagnation de son bonus), il se sent désabusé (les hedge funds l’enthousiasment moins), il a l’impression que personne ne remarque ses efforts (à l’image de Gloor qui lui a démoli le point b de son concept stratégique durant toute la séance de ce matin) et il oublie ses rendez-vous (comme cette récente visite ratée chez le pédiatre avec Pirkko, précisément parce qu’il était absorbé par la formulation du fameux point b).

Bref, s’il veut enrayer cette spirale, Sean doit réagir: 1) en posant des limites, 2) en redéfinissant ses aspirations professionnelles profondes. Un sacré challenge. Mais que Sean relève sans hésiter. 1) Il demande à sa secrétaire d’appeler Lumi pour lui dire qu’il ne pourra plus amener Tuula au cours de musique, 2) il se renverse dans son fauteil en méditant au meilleur moyen d’anéantir Gloor. 

24 mars 2007

Réchauffe en vue?

A peine Paolo avait-il tourné les talons que Cora a attrapé le téléphone et appelé Chantal.

- J'ai une exclu!
- Quoi?
- Je crois que Paolo est sur un plan réchauffe avec Anke!
- Quoi?!
- Je t'assure!
- Mais il l'a jetée il y a vingt ans, il n'a plus jamais demandé de ses nouvelles et là...
- Ben justement! Là, il a reprononcé son nom!
- Non!
- Siii! Au moins trois fois!
- Et qu'est-ce qu'il voulait?
- Oh il a fait comme s'il était là pour prendre des nouvelles, papoter... D'ailleurs, il avait apporté des chips Burts Hot Chili Lemon, super bonnes, d'ailleurs...
- Arrête de penser qu'à bouffer!
- Euh ouais. Bon alors il me raconte l'air de rien qu'il a aperçu Anke de loin l'autre jour près de l'hôpital et il me demande si je sais si elle bosse toujours là...
- Nom de Dieu!
- Tu l'as dit! Et il rougissait!
- Paolo?
- En personne! Et t'aurais dû voir! Il bâfrait les chips, genre pour se donner contenance et moi ça m'a énervée, parce qu'avec mon ventre j'arrivais pas à allonger le bras vers le plat aussi vite que lui...
- Arrête avec tes chips!
- Ouais. Donc je lui ai demandé s'il voulait son numéro.
- Et?
- Il a dit ouiiii!
- Donc il va l'appeler!
- Tu l'as dit.
- Ce serait quand même incroyable...
- Tu l'as dit.<code><br/></code>- Arrête de répéter tout le temps tu l'as dit.
- Et toi arrête de m'engueuler.
- Okay. Bon, il faut que t'appelles Anke.<code><br/></code>- Non, impossible.
- Et pourquoi ça?<code><br/></code>- Parce que j'ai des contractions.
- Ah... Merde, c'est vraiment pas le moment...<code><br/></code>- Tu l'as dit! Non seulement c'est trop tôt, mais en plus avec cette histoire de réchauffe, j'ai vraiment d'autres priorités... 

17 mars 2007

Pouvoir parler à quelqu'un

La scène représente deux mères dans le bus: D avec son nourrisson (3 semaines) et E avec son enfant (9 mois).
E: Et l'allaitement, ça roule?
D: Super bien, c'est trop chou, comme contact, c'est...
E: Ouais, c'est génial! Moi j'ai adoré et franchement, j'ai pas trouvé facile, le sevrage, surtout avec tous ces gens qui te culpabilisent quand tu passes pas au bib du jour au lendemain, alors que franchement y'a rien de plus naturel...
D: Mmmh, je peux pas encore vraiment....
E: Mais c'est net! Y'a plein de cultures où on allaite les enfants super longtemps! Moi je comprends pas toute cette réticence, comme si c'était un truc malsain, pervers... Enfin, l'essentiel, c'est de t'écouter toi et de pas les laisser te mettre la pression! Parce que c'est ton corps, ton bébé, ton lien! C'est toi qui décide, faut pas déconner, ça regarde personne à part toi, faut laisser personne vivre cette histoire à ta place...
D (baisse la voix): Bon, y'a juste que dormir en soutien-gorge...
E (éclate d'un rire sonore): Ha, ha, ha! Ah ouais, je vois! T'es le genre généreux qui en met partout, hein? Ha, ha, ha! Faut le soutif avec machins absorbants dedans, sinon tu te réveilles trempe... Ha, ha, ha! Qu'est-ce que ça me fait marrer, maintenant, mais bon, c'est vrai que sur le moment, c'est mezzo comme impression! Ha, ha, ha!
D (glaciale): Ouais, mezzo, vraiment et...
E: Mais bon, l'essentiel, tu vois, c'est de pouvoir en parler librement. Avec quelqu'un qui t'écoute et qui sache s'effacer sans projeter sa propre histoire sur ton vécu, tu vois ce que je veux dire?

10 mars 2007

Le Scorsese de la deuxième chance

Martin Scorsese a enfin reçu ses Oscars et Paolo, ça lui a fait quelque chose. D'abord parce qu'il a toujours considéré Scorsese comme un génie - le fait que Sharon Stone soit dix fois plus bandante dans «Casino» que dans «Basic Instinct» en est la preuve irréfutable, à ses yeux. Mais surtout, il se sent une sorte d'intimité secrète avec le papa des «Goodfellas», notamment depuis qu'il sait que c'est lui qui a réalisé en 1987 le clip de Robbie Robertson «Somewhere Down The Crazy River».

Objectivement, ledit clip n'arrive par à la cheville de «Raging Bull», mais pour Paolo, le redécouvrir, ç'a été une colossale madeleine audio-visuelle: il lui a suffi de réentendre la voix de Robertson crooner «Catch the blue train...» pour se retrouver vingt ans en arrière, dans cette chambre d'hôtel borgne à New York, où il avait passé trois semaines à pélos à faire des trucs hyperlubriques avec Anke... Ah! Le New York eighties! Vertigineux, déferlant, ultraglauque! Paolo revoyait tout: lui, jeune et très cool, Anke, vachement belle et insatibale, leurs orgies de nachos-margharita dans Tribeca, leurs kilos de joints, les groupes grunge au CBGB, Anke en train de vomir, lui en train de vomir, Anke en train de lui... Stoop! Et dire qu'il avait été assez naze à l'époque pour la plaquer comme le dernier des salauds...

Paolo a senti l'aiguillon de la nostalgie, mais aussi qu'il n'était pas seul. Pas de doute, Martin et Robbie lui faisaient signe: «T'as bientôt 40 ans, mais pas trop de pneu: t'as droit à une deuxième chance.» 

3 mars 2007

Chacun sa croix

Cora et a entamé les cinq semaines de «purgatoire horizontal» prescrites par son gynécologue pour éviter qu'elle accouche prématurément. Concrètement, ça veut dire qu'elle vit couchée (de jour sur son canapé, de nuit dans son plumard) et est interdite de tâches quotidiennes. Sam, lui, gère tout le reste: Tessa, les courses, les repas, le ménage, son chef...

C'est vrai qu'en apparence, Sam en bave et Cora se la coule douce. Elle s'est déjà fait deux saisons de «Deadwood» pendant que lui jonglait entre la crèche, les rendez-vous d'affaires et l'aspirateur. Et elle s'est servie de sa carte de crédit à lui (la sienne à elle est «quelque part au boulot») pour écumer les e-shops du web entier - sept coffrets DVD, seize saucissons de Morteau et une fontaine à absinthe (c'est bizarre, parce que normalement, Cora déteste l'anis), deux kilos de choc berlinois hors de prix, les soldes Formes...

Mais il faut voir au-delà. Parce qu'en réalité, Sam n'échangerait pour rien au monde ses tonnes de lessive contre les piquouses anti-thrombose abominablement douloureuses que Cora doit se faire tous les matins, ou pire, contre les bas nylon blanc (anti-thromboses également) qu'elle est obligée de porter jour et nuit - surtout à cause de cette ouverture qu'ils ont sur le coup de pied et qui leur confère une aura particulièrement dégradante. Et surtout, Sam est soulagé que ce soit la masse musculaire de Cora qui fonde à vue d'œil et pas la sienne: entre nous, lui, il serait au fond du trou s'il n'avait plus que la graisse sur les os.