26 mai 2007

Les témoins incompris

«Je crois que Marc fait sa crise de la quarantaine, nous a confié Julie, l’autre jour sur une terrasse. Ça fait trois semaines qu’il me bassine avec un bilan de sa vie sauce nostalgie. Genre ‘En fait, quand j’y pense, je vivais des trucs vachement forts avant de te rencontrer’. C’est pas odieux, ça?» Anke et moi avons acquiescé vigoureusement.

«Mais ce qui craint le plus, a ajouté Julie, c’est qu’il a ressorti ses disques de l’époque berlinoise.» «Aïe!», a fait Anke. «Et il les écoute sans arrêt, a poursuivi Julie avec humeur. Il prend cet air extatique, bourré de sous-entendus, genre ‘tu peux pas comprendre’… (Julie s’est mise à imiter Marc) …Le Berlin de l’époque? In-croy-able…Il y a avait une énergie… Un désespoir... La chute du mur, il faut l’avoir vécue pour comprendre...» Puis ç’a été au tour d’Anke de «parler Marc»: «Nick Cave… Les clubs… Si vous aviez vu comme on vivait dans Kreuzberg… Ces appartes in-croy-ables à 7 mètres de plafond…» «…Et ça caillait tellement qu’on devait dormir avec nos Docs…», a enchaîné Julie.

«En fait, Marc est en train de devenir comme ton père», ai-je dit en me tournant vers Anke. «Y’a de ça», a admis Anke. Avant de se mettre à imiter son paternel: «Mai 68, à Paris, les filles, vous avez au-cune idée, vous pouvez pas i-ma-gin-er… L’élan…» «…Cette conscience politique dans tous nos gestes…», ai-je ajouté. «…Et la petite étudiante maoïste qui brûlait son soutien-gorge devant le Flore…», a rechéri Julie. «Et la fois où il a touché Cohn-Bendit…, a soupiré Anke d’un air douloureux. Non, pitié…» 

19 mai 2007

Conséquences présidentielles

Cora a perdu les eaux sur son canapé pendant le discours de Sarko suite à sa victoire aux élections présidentielles françaises. C’est ce qui s’appelle un timing biologico-historique magistral. «Et merde…», a fait Cora, en découvrant simultanément le nouveau président de la République et la tache sur le sofa. «Tu veux qu’on y aille?», a demandé Sam. «Non, non, a répondu Cora de l'air désinvolte de la fille cool qui ne flippe jamais. Je préfère attendre ici. Chez moi. Au calme. Tant que c’est supportable, ça sert à rien de s’exciter.»

Sam a fait semblant de la croire. Mais quand Cora a eu ses premières contactions et s’est mise à ponctuer la captivante passe d’armes entre DSK et Jack Lang de jurons étouffés, il a décidé qu’il était temps d’appeler sa mère pour lui demander de rappliquer fissa.

Marine Le Pen venait juste de prendre la parole – et d’imprimer une émotion inavouable à Sam qui, phénomène ô combien honteux, frémit involontairement chaque fois qu’il entend sa voix de panthère … – quand Cora a tout à coup gémi: «Taxiii… Hostioo… Viite… Aah…»

L’un dans l’autre, l’accouchement s’est plutôt bien passé. Sam a stoïquement servi de reck à Cora durant cinq heures d’affilée – elle disait que les seuls moments où elle n’avait pas mal, c’était quand elle se suspendait à son cou de tout son poids. Et il a accueilli ses plaintes avec une empathie remarquable – tout en se jurant de flinguer l’anesthésiste qui préférait «attendre encore pour la péridurale».  

12 mai 2007

Juste entre parenthèses

Comme le gynéco lui a dit que ses contractions n'étaient qu'une fausse alerte, Cora a décidé d’empoigner le dossier Paolo et d’appeler Anke.

Mais pas question de mettre les pieds dans le plat, non, Cora se l’est jouée super subtile. Elle a commencé par décrire en long et en large les détails de sa grossesse pour flatter les compétences médicales d’Anke (le col fait encore 2,3 centimètres… ouais, le gynéco pense 2 kilos 8 pour l’instant… non, le sexe on sait toujours pas et, on veut pas… ouais, je suis pas mal constipée… non, je suis sous mucilage). Ensuite, Cora s’est un peu plaint de Sam, histoire de faire évoluer la conversation du côté du versant «les mecs» (il m’énerve, il quitte plus son Bose Quiet… ouais, le casque… kèsset’en penses, il bloque, il angoisse parce qu’on en aura bientôt deux?). Ensuite, elle a demandé à Anke s’il y avait du nouveau (alors raconte, les amours... aha... woaow… mmh… beau mec… mmh… ouais… ouais… ah au fait, tu sais pas la meilleure, Paolo m’a demandé ton numéro, c’est incroyable, tu trouves pas?). Et là, bingo! Anke lui a donné une réponse sans équivoque (qu’est-ce que tu veux que ça me foute?).

Cora a raccroché, réfléchi un moment, puis appelé Paolo pour lui décrire la situation en toute honnêteté (tu vas morfler mais c’est jouable… t’es vraiment prêt? okay… mais tu vas devoir payer de ta personne, je t’avertis… exact… viens chez moi demain… et t’as pas intérêt à débarquer sans chips Burts … non, je veux les Hot Chili Lemon… et je les veux rien que pour moi, t’as bien compris?)