3 juillet 2010

People in a Room (3): The Last Brunch?

Le chéri, l’aîné et le cadet sont rassemblés avec moi autour de la table au petit déjeuner. C'est que l'heure est grave.

«Bon, alors, voilà le topo, dis-je. L’idée, c’est une grande totale. Donc on ouvre sur Cora qui est dans le parc...» Je joins le geste à la parole en écartant la cafetière et le sucrier pour qu’on voie bien la scène. Je précise encore: «Cora est en tenue de jogging et elle a un rencart secret avec Jorge. Elle fait les cent pas en l'att...» «Dis, ils l’ont déjà fait, Cora et Jorge?», m'interrompt malicieusement Anke en surgissant des croissants. «Je me pose la même question», dit Paolo, qui tape dans les viandes froides, à cheval sur un quartier de tomate. Je fronce sévèrement les sourcils pour qu'ils me laissent poursuivre mon exposé: «Donc Cora fait les cent pas, dis-je avec un regain d'autorité dans la voix. Elle a envoyé un SMS hot à Jorge, elle en peut plus mais se sent vachement coupable aussi, enfin, le truc classique. Mais au moment où Jorge se pointe et où Cora se prépare à courir vers lui, paf, il y a Julie et Marc qui déboulent et qui lui disent avec des tas d’exclamations Ah ben ça alors! Cora! Allez viens, on va jogger tous les trois! Si, si, si! Et Cora ne sait pas comment se dépatouiller, parce qu’elle ne peut pas leur dire Lâchez-moi la canne, j’ai rencart avec mon amant

«Héhé!, clame triomphalement Anke. Tu dis 'amant'. Donc c’est qu’ils l’ont fait, non?» «Elle veut dire 'amant' au sens large, corrige Isabel en soulevant précautionneusement le couvercle de la cafetière. N'est-ce pas, ma chérie?» «Euh, ouais», dis-je, éberluée, en la regardant exécuter un saut de l'ange dans le café. «Quelqu'un peut me passer le sucre?», roucoule Isabel du fond de la cafetière. Le chéri lui tend distraitement le sucrier et enchaîne, comme si de rien n'était: «Donc Cora est obligée de les suivre?» Je mets trois secondes à reprendre mes esprits: «Euh... Elle fait la gueule, bien sûr. Mais ce qu’elle ne remarque pas, c’est que Julie envoie en douce un SMS à Chantal, genre jorge out! Et là, on enchaîne sur Chantal et Patrick qui sont à une terrasse et qui exultent: leur plan a fonctionné et…» «Attends, attends, fait Juan, perché en haut de la carafe de jus d’orange. C’est quoi, le plan?» J'en reviens pas! En plus, je me justifie: «Ben que Cora puisse pas glisser sur la pente savonneuse de l’adultère…» «Et tu penses sérieusement que ça va l’arrêter si elle a envie de se le faire? demande Sean, surgi du pot de miel et qui se pourlèche les doigts, l'air sardonique. Franchement, il faut un plan autrement plus perfide que ça. Genre Jorge est Chilien en situation irrégulière et Sam a décidé d’aller le dénoncer à la police des étrangers. Ou alors de payer des mecs pour qu’ils lui cassent la gueule et…» «Mais t’es malade ou quoi?», interjette Lumi, en lui flanquant un coup de couteau à beurre sur la tête.

Je veux leur intimer de se tenir tranquilles en tapant du poing sur la table, mais le cadet me coupe le sifflet entre deux aspirations de cacao à la paille: «Il pourrait pas y avoir un super-héros qui casserait la gueule à Jorge?», suggère-t-il. «Ouais!», renchérissent Mati et Leo, en surfant sur une cascade de rice crispies qui s'abat sur le plancher. «Ça y est, soupirent bruyamment de conserve Tuula, Marion et Tessa, qui exécutent de gracieuses arabesques au Nutelle sur leur tranche de tresse. Les garçons et leurs idées, faut toujours que ça finisse comme Sam Ku Kai…» «Ouais, ben en attendant, c’est toujours moins nul que Hannah Montana!», assène l’aîné en postillonnant la bouche pleine. Je veux lui dire de la fermer quand il mastique et leur rappeler à tous que c'est moi qui raconte l'histoire, mais Paolo me pique du salami dans mon assiette et objecte: «Ce que je capte pas, c’est pourquoi Sam est pas au courant. Au fait, t'as pas des œufs? Je m'ferai bien un p'tit coque, là...»

Je scrute la scène, le boxon phénoménal sur la table et leurs visages interrogateurs, un à un, tandis que le chéri me souffle: «C’est limite envahissant, ce matin, non?» Il a raison. Alors d'un geste preste, je dégaine ma Boîte Chambreuse planquée derrière le toaster, je les rafle tous autant qu'ils sont, avant qu'ils aient eu le temps de dire ouf, et je les fourre dedans séance tenante, en dépit de leurs protestations – avant de lancer la Boîte à Kormann par-dessus les röstis: qu’il se démerde.



Cet épisode est le dernier de «Chambre avec vie». Notre aventure SBF avait démarré il y a cinq ans avec une fondue devant la télé et s'arrête ici sur ce brunch dévastateur! Nous sommes très reconnaissants à tous les Chambreurs qui nous ont lus et soutenus pendant ces 161 épisodes et nous remercions bien bas nos Habitants et nos Guest-Stars qui se sont si admirablement prêtés au jeu. A toutes et à tous, un très bel été et une excellente continuation!

26 juin 2010

People in a Room (2): les rumeurs

Sean ouvre Internet, google chambre avec vie, clique au hasard l'un des 50'800'000 résultats et lit:

"Depuis que la fin de «Chambre avec vie» a été officiellement annoncée, la liste des stars qui ont rendu publiques leur affliction et leur déception ne cesse de s’allonger. «Je trouve scandaleux que Britney ait pu être guest-star et pas moi, a déclaré Paris Hilton. Surtout maintenant qu’on sait qu’elle se fait photoshoper la cellulite!». «On en avait discuté, ils avaient promis, je devais en être!, a tonné Sean Penn. Je suis sûre que tout ça, c’est politique!» «Ils m’ont oublié», aurait confié avec tristesse Barack Obama à sa fille Sasha – qui s’en serait ouverte le lendemain à sa maîtresse d’école en fondant en larmes. «Fuck them!», tel a été le seul commentaire des Beastie Boys, qui avaient été pourtant très sérieusement pressentis comme guest-stars par quelques Chambreurs initiés…"

Oh my God!, gémit Sean, il manquait plus que ça. Il clique plus loin:

"Les insinuations de promesses non tenues ont été fermement démenties par les Concierges. Interrogés sur l’ampleur de la dramatisation, les auteurs du SBF ont toutefois admis avoir subi des pressions «parfois importantes» de la part de dizaines d’agents désireux de glisser encore la vedette avec laquelle ils étaient sous contrat dans les derniers épisodes de «Chambre avec vie». Denis Kormann a refusé de commenter la rumeur selon laquelle Scarlett Johansson était prête à poser nue pour lui, rien que pour avoir le droit de figurer au générique du feuilleton mythique. Mais force est de constater que…"

Bordel de bordel, siffle Sean, même pour Scarlett, ils sont au courant! Sean n’y tient plus, il referme son Internet, il est à cran. Toute cette fucking publicity! Sans compter que depuis des jours, il est assailli de mails et de coups de téléphone: «Pouvez-vous confirmer la rumeur selon laquelle Cora trompe Sam avec Jorge le joggeur? Sam est-il effondré ou prêt à pardonner?» «Le WWF affirme que Chantal et Patrick ont dépassé leur quota d’émissions de CO2, avez-vous des informations à ce sujet? Etes-vous choqué?» «Les acteurs du commerce de détail ont publié aujourd’hui un communiqué où ils tirent la sonnette d’alarme: depuis que Juan a mis à disposition sur le net sa recette de tartine sensuelle, ils sont en rupture de stocks de foie de volaille. Pensez-vous que Juan devrait propose une alternative végétarienne?» Et ainsi de suite.

Et lui qui voulait retrouver du boulot en mettant en avant sa discrétion, sa fiabilité… Vuuuuuuuu! «Matiiii!, hurle Sean à l’attention de ses enfants qui sont en train de suivre le match USA-Algérie. Tu arrêtes right now avec ton vuvuzela de malheur!» «C’est pas moi, proteste Mati, c’est Pirkko qui imite le bruit!» Vuuuuuuuu! «Pirkkooooo!», gronde Sean. Il veut se lever, mais le téléphone sonne. Sean décroche. A l'appareil, il y a une journaliste qui lui demande: «Selon une source extrêmement fiable, c’est votre fille Tuula qui aurait eu l’idée de la création du groupe Facebook "Si tu continues avec ton vuvuzela, il va finir dans ton cul". Comment réagissez-vous à cette révélation? Pensez-vous que tout cela n’est finalement qu'un symptôme des dérives actuelles? Et est-ce qu’en tant que parent directement concerné, vous vous sentez vous aussi de plus en plus perdu dans ce monde globalisé dominé par les accélérations permanentes de la société de l’information?»

5 juin 2010

People in a Room (1): la tartine

Le magazine Beauty&People a invité les Concierges à recruter un Habitant de «Chambre avec vie» pour une séance interview et photo à paraître dans le dossier spécial du premier numéro de juin de B&P. Intitulé: «La bouffe et moi – recettes et confessions intimes». En Une: Brad Pitt confiant aux lectrices la recette qu’il aimerait qu’Angelina Jolie lui mitonne pour l’allumer après une longue journée de tournage. Les Concierges ont consulté Isabel qui connaît tout le gratin de la presse: elle leur a recommandé sans hésiter d’envoyer Juan au front, «rapport à son narcissisme pathologique». Et effectivement, Juan a immédiatement accepté. «Le concept, lui a expliqué l’assistant de la rédactrice en chef de B&P, c’est ‘un met, une rencontre, une émotion’. Avec, d’un côté, Brad, la star, et de l’autre, vous le mec normal. Vous captez?»

Juan a surtout capté qu’il n’aurait pas droit à l’erreur et donc embauché Sean pour une «répète» pendant laquelle il lui a cuisiné son «met» et raconté sa «rencontre», son «émotion». Au terme de la séance, Sean lui a dit, ébahi: «Ta recette, elle est fantastique. Mais surtout, l’histoire! L’histoire!! Avec la Laotienne! Et sa belle-mère ukrainienne! Et ce pâté! Pis la coriandre!!! Wow!»

Juan a donc fait l’interview avec la stagiaire de B&P et posé pour les photos comme un pro: gonflé à bloc. Puis le jour d’hier est enfin arrivé et il a pu se ruer au kiosque pour acheter le nouveau numéro de <em>B&P</em>: Brad Pitt trônait comme prévu à torse nu, en Une. Juan s’est mis à feuilleter et... et... et... rien! QUE DALLE! Les enfoirés! Son sang n’a fait qu’un tour. Il a aussitôt appelé B&P et à force de menacer la secrétaire, réussi à avoir Nadège Dirod du Gard, la rédactrice en chef.

«Vous pouvez m’expliquer?» a fait Juan, glacial. «Ce serait plutôt à moi de vous demander des explications, a rétorqué Nadège. Vous nous adressez une recette ridicule à l’intitulé répugnant, et en plus, vous êtes un mythomane qui voulait profiter de notre magazine pour donner libre-cours à ses perversions!» Juan n’en a pas cru ses oreilles: «J’ai dû mal comprendre, là...» «Allons donc, a sifflé Nadège. A l’évidence, vous prenez vos fantasmes pour des réalités! Et vous pensez vraiment que quelqu’un va gober ça? La mousmé nympho et sa belle-mère ukrainienne qui vous auraient séduit, toutes les deux tout en vous préparant cette ‘tartine sensuelle laotienne’? Je vous en prie!» «Mais c’est la stricte vérité! Elle m’ont vraiment mis toutes les deux la...» «J’ai autre chose à faire que d’écouter les délires abjects d’un pauvre type comme vous, a coupé Nadège. Je vous fais envoyer les photos et nous en restons là.» Puis elle a raccroché. Avant de se tourner vers Isabel et de demander: «J’ai pas trop poussé, là?» «Mais non, a dit Isabel en lui tendant le plat. Ça lui fait les pieds. Et surtout, il est exclu que Marion découvre un jour imprimé dans un magazine les aventures plumard sauce Mékong de son paternel. T'en reprends une?» «Plutôt deux!, a fait Nadège avec gourmandise. C’est stupéfiant, cette recette, j’ai rarement mangé un truc aussi bon!» Elle a pris une grosse morse de «tartine sensuelle laotienne» préparée selon la recette de Juan avant d’enchaîner, la bouche pleine: «Et donc, la belle-mère était vraiment en train de hacher la coriandre quand il a senti...»

Par respect pour les âmes sensibles et les jeunes Chambreurs, les Concierges ont décidé de stopper ici la retranscription.

22 mai 2010

Terrains glissants

Il y a trois semaines: Sam reçoit un SMS de Muriel et forcément, parce que c’est Muriel, Sam a les genoux qui flanchent. Alors quand Muriel lui propose qu’ils se voient dans le parc «un de ces quatre», Sam smse aussitôt «OK! Mercredi en 8?» et annonce à Cora le soir même que mercredi dans une semaine, on lui a collé un colloque «chiant comme la pluie qui va sûrement durer jusque super tard dans la soirée».

Le jour J: Sam doit d’abord encaisser le choc en l’apercevant: c’est qu’en quinze ans, Muriel a pris dix kilos et un sacré coup de vieux. Elle l’attend sur le banc, un gobelet de café à la main. N’empêche, Sam se sent comme avant: éperdu, fringant, enflammé. Il doit faire des efforts surhumains pour ne pas lui sauter dessus. Sam et Muriel font quelques pas. Sam laisse avec délice Muriel lui prendre tendrement le bras et il l’imagine nue tandis qu’elle lui parle de sa mère «qui vieillit et qui emmerde le monde». Sam est transi et le trouble le fait défaillir, tandis que Muriel se serre plus fort contre lui en enchaînant sur son fils ado «qui fait tout le temps la gueule». Sam n’y tient plus. Il s’arrête, prend doucement Muriel par les épaules. Elle le regarde d’un air interrogateur, son gobelet toujours à la main. Sam veut lui rouler un patin passionné. Muriel se dégage et lui balance une baffe. Outré, Sam lui arrache son gobelet et le balance rageusement au loin sur le sentier avant de tourner les talons.

Le lendemain du jour J: Cora fait son jogging dans le parc. Le beau joggeur pour lequel elle vient secrètement courir tous les matins arrive en face: altier, fringant, irrésistible. Cora rentre le ventre, enfile son sourire le plus aguicheur et ne voit pas le couvercle du gobelet de café par terre. Cora glisse dessus. Cora se casse la gueule et se foule la cheville. Le joggeur se hâte de lui porter secours.

Depuis: Sam a la machette de la culpabilité qui lui taillade l’âme chaque fois qu’il voit Cora boitiller. Cora bénit chaque jour qui passe le couvercle que le destin a mis sous ses baskets. Elle sait désormais que le sémillant joggeur s’appelle Jorge. Et elle a son numéro.

8 mai 2010

Topo printanier

Depuis des jours, le printemps morfle. Vraiment. L’hostilité est devenue carrément palpable: C’est quand que ça va enfin s’arrêter, ce temps pourave? On aimerait bien quitter nos impers! Et enfin pouvoir se mettre en t-shirt! Et enfin pouvoir faire des grillades! C’est le printemps le plus dégueu que j’aie jamais vu!

Que d’ingratitude, se dit le printemps en glissant mélancoliquement dans la fraîcheur de la bruine. D’abord ils geignent: Avril était beaucoup trop sec! Et pis la nappe phréatique! Et pis les grenouilles! Et pis y a plus d’saison! Alors je leur envoie la flotte et voilà qu’ils geignent de plus belle. Mais le printemps n’est pas rancunier pour une primevère. Il a fait sienne la philosophie abnégative de son ami Jésus («Pardonne-leur, car ils ne savent pas ce qu’ils font…»). Et puis, après tout, peut-être bien que l’humanité est vraiment prête pour un changement de météo, avec toutes les conséquences que ça implique. Allons faire le point!

Le printemps prend son élan et entre chez Anke. Anke se tient face à la glace, elle tente en vain de fermer son jeans et crie à Paolo qui est dans la salle de bain: «Je te hais! Comment tu as pu me laisser devenir comme ça sans rien dire? J’ai l’air d’une baleine blanche! Pire que Cora après la naissance de Victor!». Le printemps claque des doigts et fait jaillir Paolo de la salle de bain. Paolo plaque ses mains sur les hanches d’Anke et fait voluptueusement «Mmmh…» avant de lui souffler: «On s’en fout de ton jeans, il fait moche, on retourne au lit et on y reste tout le week-end…»

Le printemps ferme pudiquement les yeux et rejoint Chantal et Patrick dans le bus. «J’ai honte, confie Chantal à Patrick. Mais l’idée de devoir les encourager le long du parcours de cross sous cette pluie battante, c’est au-dessus de mes forces.» «Ah non, dit Patrick en fronçant sévèrement les sourcils. Tu peux pas leur faire ça! Ils se réjouissent tellement de jouer les héros dans la boue! Et puis c’est toi qui leur as seriné les bienfaits du grand air, par tous les temps!» «T’as raison, gémit Chantal, mais là, j’ai juste envie de cocooner en mangeant des chips.» «Bio, au moins?», tonne Patrick. «Bien sûr! Mais je me sens coupable et…» «Je crois que j’ai une idée», dit Patrick. Et le printemps entend distinctement sa prière muette («Pourvu qu'il continue de faire moche!»)

Alors le printemps quitte le bus et relance la minuterie flotte pour la fin de la journée, avant de débarquer une heure plus tard dans la chambre des jumeaux. Patrick est avec eux. «Et alors, qu’est-ce que tu lui as dit?», demande Louis, les yeux enfiévrés. «Qu’elle pouvait vous acheter des Nintendo DS pour que vous soyiez pas trop tristes», répond Patrick. «Et?» glapit Hugo, n’y tenant plus. «Elle a dit non. C’était pas négociable.» «J’en étais sûr», lâche Hugo, écoeuré. «Alors, enchaîne Patrick, je lui ai dit qu’elle pouvait vous acheter l’album Panini et la maxi-boîte de vignettes…» «Et?» glapit Louis, n’y tenant plus. «Tataaaa!», clame Patrick en tirant les deux trésors de son sac. Les jumeaux hurlent de joie. «Et ce qu’il y a de bien, leur glisse Patrick à voix basse, c’est que comme il va flotter tout le dimanche, vous avez les droit d’ouvrir quinze packsons chacun. J’ai dit à Maman que c’était le minimum pour vous occuper tout l’après-midi.»

Le printemps sourit. Et essore à fond deux méganuages pour se féliciter.

23 avril 2010

iDog

Leo, en train de raconter à son grand-père maternel: Donc quand Papa est rentré de Nouyork, il avait des ronds noirs autour des yeux. Maman a dit qu’il était djètelagué et que c’était pour ça qu’il parlait très très vite en disant des trucs que chkomprenais rien. J’me rappelle ki disait toujours aïepade ouaaah! aïepade incroyable! aïepade rébolutionnaire! et puis de nouveau aïepade ouaah! et Maman, ç’avait l’air de lui casser le pied...

Pour le protocole: Marc vénère Apple, Marc vénère Steve Jobs. Quand il veut faire forte impression, il porte les mêmes cols roulés noirs. Et lorsqu’il a su qu’il serait au nombre des premiers propriétaires d’iPad parce qu’il ferait tzak-tzak l’aller-retour vers New York le jour J, Marc a même décidé de se laisser pouser la barbe. Depuis son retour de Big Apple, Marc Apple-touch à tire-larigot. Tout le temps. Il ne quitte plus son iPad. Il dort même avec lui.

Leo: Et pis Maman, ça l’énerve et elle lui dit tout le temps que si y continue komsa, elle va l’appeler Stiv et que si y continue komsa ben elle, elle prendra César pour dormir…

Protocole: Marc va sur Youtube regarder tous ce que ses frères visionnaires ont téléchargé comme vidéos édifiantes mettant en scène la nouvelle révélation. Il tombe notamment sur les séquences qui montrent des chats en train de jouer sur l’iPad – tennis, keyboard, la ficelle virtuelle… Fantastique! Même le monde animal est passé dans la nouvelle dimension! Pour ricaner et prouver à Julie qu’en s'entichant de César le clébard, elle s’est entiché de l’animal le plus sot de la Création, il lui passe le clip qui montre un clébard «totalement dépassé» en train d’aboyer contre l’iPad.

Leo: Et ça, ben se moquer de César, ben il aurait pas dû, passke Maman, elle l’aime vachement, César, et elle déteste l’aïepade, alors…

Protocole: «Là, on a la preuve définitve que les chiens sont cons», dit Marc. «Ah ouais?», fait Julie en plissant les yeux d’un air mauvais. «Ouais», fait Marc en se lissant sa nouvelle barbe. «C’est ce qu’on va voir», siffle Julie, l’air encore plus mauvais qu’avant. Elle cherche le clébard des yeux et pointe à son attention le doigt vers la table de chevet où Marc vient de poser l’iPad…

Leo: Pis Maman elle a crié à César «Jeter en bas du balcon!» en montrant l’aïepade et ça, César, il sait vachement bien faire, même kil est super vite, il obéit toujours à Maman quand elle lui dit de jeter mes PoouèreMaïnerse en bas du balcon. Alors César a attrapé l’aïpade et il a couru vers le balcon…

Protocole: Marc, pétrifié, n’en croit pas ses yeux en voyant détaler le clébard avec son iPad dans la gueule. Il se rue sur le balcon et fouille la pénombre d’un regard affolé en contre-bas dans l'espoir d'apercevoir son trésor. En vain. La nuit est d’un noir insondable. Marc se précipite en pantoufles et en pyjama dans la cage d'escaliers pour aller voir.

Léo: Ha ha ha! Mais ski savait pas, Papa, c’est que Maman, elle fait ça pour rigoler! tout l'temps! Bon, n’empêche que la première fois qu’elle m’a fait le coup avec les PoouèreMaïnerse, moi aussi, je suis descendu en courant l’escalier et en pleurant dans la cour. Ha ha ha! Pépé, t’aurais dû voir sa tête, à Papa, quand il est remonté et qu'il était tout blanc et qu’il répétait: «Il a disparu... On me la volé… J'ai cherché partout…»! Ha ha! Qu'il est bête, Papa! Passke César, il sait trèèès bien qu’il doit planquer sous les coussins du banc du balcon ske Maman lui dit de jeter! Là, je crois plus que Papa, il osera redire que César il est con! Oui, Pépé, je sais, c'est un vilain mot...

3 avril 2010

C’est pas tes oignons

Au fil des révélations quasi quotidiennes de nouveaux cas de pédophilie qui défraient la chronique, Isabel ne cesse de se féliciter d’être sortie de l’Eglise catholique il y a quelques années – même si, paix à son âme, sa yaya qui vénérait Jean-Paul II comme Marion vénère Tokyo Hotel a dû se retourner plus d’une fois dans sa tombe en apprenant la nouvelle depuis l’au-delà. Mais Isabel n’est pas dupe: en mère avertie, elle sait bien que la menace qui plane sur les enfants est partout – à l’école, à la gym, au camp de ski... Alors plutôt que de céder à sa première impulsion et de rejoindre le groupe Facebook «Pendre les pédophiles par les couilles», Isabel a préféré se concentrer sur l’essentiel, le durable, quoi: rendre sa fille forte et lui montrer que Juan et elle prenaient ça très au sérieux. Marion a donc été sommée en dépit de ses protestations (elle voulait faire de la natation synchronisée), de commencer des cours de karaté.

Et Isabel a de son côté traîné Juan à une rencontre de parents qu’organisait un comité de quartier avec une certaine Silvia, «spécialisée dans la prévention des abus et des violences sur les mineurs». Dans son for intérieur, Isabel l’a trouvée formidable. Dans son for intérieur, Juan l’a trouvée «flic en camouflage anthroposophe», rapport à ses bijoux d’inspiration tellurique, mais surtout à l’épais questionnaire que Silvia a fait remplir aux paternels présents «pour faire honnêtement le point sur la relation père-enfants».

De retour à la maison, Juan a lâché ce qu’il avait sur le cœur: «Non mais qu’est-ce que c’est que ce bordel? Comme si ça la regardait que j’en colle une à Marion quand elle va à l’école avec le string qui dépasse! Alors que ça, je t’assure, c’est de la prévention!» «Marion n’a pas de string», lui a rappelé Isabel. «Mais ça ne saurait tarder, a rétorqué Juan en allant chercher le tire-bouchon. Et en père responsable, j’anticipe!»«Je vois pas ce qui te hérisse à ce point, l’a interrompu Isabel. Après tout, tu l’as rempli, ton questionnaire, et t’avais même l’air de trouver ça intéressant.» «C’est vrai, a admis Juan en lui servant un verre de rouge avec un sourire satisfait. Je me demande ce que ça va lui faire, au flic anthroposophe, de voir que j’ai répondu à toutes ses questions par ‘C’est pas tes oignons!’»