3 juillet 2010

People in a Room (3): The Last Brunch?

Le chéri, l’aîné et le cadet sont rassemblés avec moi autour de la table au petit déjeuner. C'est que l'heure est grave.

«Bon, alors, voilà le topo, dis-je. L’idée, c’est une grande totale. Donc on ouvre sur Cora qui est dans le parc...» Je joins le geste à la parole en écartant la cafetière et le sucrier pour qu’on voie bien la scène. Je précise encore: «Cora est en tenue de jogging et elle a un rencart secret avec Jorge. Elle fait les cent pas en l'att...» «Dis, ils l’ont déjà fait, Cora et Jorge?», m'interrompt malicieusement Anke en surgissant des croissants. «Je me pose la même question», dit Paolo, qui tape dans les viandes froides, à cheval sur un quartier de tomate. Je fronce sévèrement les sourcils pour qu'ils me laissent poursuivre mon exposé: «Donc Cora fait les cent pas, dis-je avec un regain d'autorité dans la voix. Elle a envoyé un SMS hot à Jorge, elle en peut plus mais se sent vachement coupable aussi, enfin, le truc classique. Mais au moment où Jorge se pointe et où Cora se prépare à courir vers lui, paf, il y a Julie et Marc qui déboulent et qui lui disent avec des tas d’exclamations Ah ben ça alors! Cora! Allez viens, on va jogger tous les trois! Si, si, si! Et Cora ne sait pas comment se dépatouiller, parce qu’elle ne peut pas leur dire Lâchez-moi la canne, j’ai rencart avec mon amant

«Héhé!, clame triomphalement Anke. Tu dis 'amant'. Donc c’est qu’ils l’ont fait, non?» «Elle veut dire 'amant' au sens large, corrige Isabel en soulevant précautionneusement le couvercle de la cafetière. N'est-ce pas, ma chérie?» «Euh, ouais», dis-je, éberluée, en la regardant exécuter un saut de l'ange dans le café. «Quelqu'un peut me passer le sucre?», roucoule Isabel du fond de la cafetière. Le chéri lui tend distraitement le sucrier et enchaîne, comme si de rien n'était: «Donc Cora est obligée de les suivre?» Je mets trois secondes à reprendre mes esprits: «Euh... Elle fait la gueule, bien sûr. Mais ce qu’elle ne remarque pas, c’est que Julie envoie en douce un SMS à Chantal, genre jorge out! Et là, on enchaîne sur Chantal et Patrick qui sont à une terrasse et qui exultent: leur plan a fonctionné et…» «Attends, attends, fait Juan, perché en haut de la carafe de jus d’orange. C’est quoi, le plan?» J'en reviens pas! En plus, je me justifie: «Ben que Cora puisse pas glisser sur la pente savonneuse de l’adultère…» «Et tu penses sérieusement que ça va l’arrêter si elle a envie de se le faire? demande Sean, surgi du pot de miel et qui se pourlèche les doigts, l'air sardonique. Franchement, il faut un plan autrement plus perfide que ça. Genre Jorge est Chilien en situation irrégulière et Sam a décidé d’aller le dénoncer à la police des étrangers. Ou alors de payer des mecs pour qu’ils lui cassent la gueule et…» «Mais t’es malade ou quoi?», interjette Lumi, en lui flanquant un coup de couteau à beurre sur la tête.

Je veux leur intimer de se tenir tranquilles en tapant du poing sur la table, mais le cadet me coupe le sifflet entre deux aspirations de cacao à la paille: «Il pourrait pas y avoir un super-héros qui casserait la gueule à Jorge?», suggère-t-il. «Ouais!», renchérissent Mati et Leo, en surfant sur une cascade de rice crispies qui s'abat sur le plancher. «Ça y est, soupirent bruyamment de conserve Tuula, Marion et Tessa, qui exécutent de gracieuses arabesques au Nutelle sur leur tranche de tresse. Les garçons et leurs idées, faut toujours que ça finisse comme Sam Ku Kai…» «Ouais, ben en attendant, c’est toujours moins nul que Hannah Montana!», assène l’aîné en postillonnant la bouche pleine. Je veux lui dire de la fermer quand il mastique et leur rappeler à tous que c'est moi qui raconte l'histoire, mais Paolo me pique du salami dans mon assiette et objecte: «Ce que je capte pas, c’est pourquoi Sam est pas au courant. Au fait, t'as pas des œufs? Je m'ferai bien un p'tit coque, là...»

Je scrute la scène, le boxon phénoménal sur la table et leurs visages interrogateurs, un à un, tandis que le chéri me souffle: «C’est limite envahissant, ce matin, non?» Il a raison. Alors d'un geste preste, je dégaine ma Boîte Chambreuse planquée derrière le toaster, je les rafle tous autant qu'ils sont, avant qu'ils aient eu le temps de dire ouf, et je les fourre dedans séance tenante, en dépit de leurs protestations – avant de lancer la Boîte à Kormann par-dessus les röstis: qu’il se démerde.



Cet épisode est le dernier de «Chambre avec vie». Notre aventure SBF avait démarré il y a cinq ans avec une fondue devant la télé et s'arrête ici sur ce brunch dévastateur! Nous sommes très reconnaissants à tous les Chambreurs qui nous ont lus et soutenus pendant ces 161 épisodes et nous remercions bien bas nos Habitants et nos Guest-Stars qui se sont si admirablement prêtés au jeu. A toutes et à tous, un très bel été et une excellente continuation!

26 juin 2010

People in a Room (2): les rumeurs

Sean ouvre Internet, google chambre avec vie, clique au hasard l'un des 50'800'000 résultats et lit:

"Depuis que la fin de «Chambre avec vie» a été officiellement annoncée, la liste des stars qui ont rendu publiques leur affliction et leur déception ne cesse de s’allonger. «Je trouve scandaleux que Britney ait pu être guest-star et pas moi, a déclaré Paris Hilton. Surtout maintenant qu’on sait qu’elle se fait photoshoper la cellulite!». «On en avait discuté, ils avaient promis, je devais en être!, a tonné Sean Penn. Je suis sûre que tout ça, c’est politique!» «Ils m’ont oublié», aurait confié avec tristesse Barack Obama à sa fille Sasha – qui s’en serait ouverte le lendemain à sa maîtresse d’école en fondant en larmes. «Fuck them!», tel a été le seul commentaire des Beastie Boys, qui avaient été pourtant très sérieusement pressentis comme guest-stars par quelques Chambreurs initiés…"

Oh my God!, gémit Sean, il manquait plus que ça. Il clique plus loin:

"Les insinuations de promesses non tenues ont été fermement démenties par les Concierges. Interrogés sur l’ampleur de la dramatisation, les auteurs du SBF ont toutefois admis avoir subi des pressions «parfois importantes» de la part de dizaines d’agents désireux de glisser encore la vedette avec laquelle ils étaient sous contrat dans les derniers épisodes de «Chambre avec vie». Denis Kormann a refusé de commenter la rumeur selon laquelle Scarlett Johansson était prête à poser nue pour lui, rien que pour avoir le droit de figurer au générique du feuilleton mythique. Mais force est de constater que…"

Bordel de bordel, siffle Sean, même pour Scarlett, ils sont au courant! Sean n’y tient plus, il referme son Internet, il est à cran. Toute cette fucking publicity! Sans compter que depuis des jours, il est assailli de mails et de coups de téléphone: «Pouvez-vous confirmer la rumeur selon laquelle Cora trompe Sam avec Jorge le joggeur? Sam est-il effondré ou prêt à pardonner?» «Le WWF affirme que Chantal et Patrick ont dépassé leur quota d’émissions de CO2, avez-vous des informations à ce sujet? Etes-vous choqué?» «Les acteurs du commerce de détail ont publié aujourd’hui un communiqué où ils tirent la sonnette d’alarme: depuis que Juan a mis à disposition sur le net sa recette de tartine sensuelle, ils sont en rupture de stocks de foie de volaille. Pensez-vous que Juan devrait propose une alternative végétarienne?» Et ainsi de suite.

Et lui qui voulait retrouver du boulot en mettant en avant sa discrétion, sa fiabilité… Vuuuuuuuu! «Matiiii!, hurle Sean à l’attention de ses enfants qui sont en train de suivre le match USA-Algérie. Tu arrêtes right now avec ton vuvuzela de malheur!» «C’est pas moi, proteste Mati, c’est Pirkko qui imite le bruit!» Vuuuuuuuu! «Pirkkooooo!», gronde Sean. Il veut se lever, mais le téléphone sonne. Sean décroche. A l'appareil, il y a une journaliste qui lui demande: «Selon une source extrêmement fiable, c’est votre fille Tuula qui aurait eu l’idée de la création du groupe Facebook "Si tu continues avec ton vuvuzela, il va finir dans ton cul". Comment réagissez-vous à cette révélation? Pensez-vous que tout cela n’est finalement qu'un symptôme des dérives actuelles? Et est-ce qu’en tant que parent directement concerné, vous vous sentez vous aussi de plus en plus perdu dans ce monde globalisé dominé par les accélérations permanentes de la société de l’information?»

5 juin 2010

People in a Room (1): la tartine

Le magazine Beauty&People a invité les Concierges à recruter un Habitant de «Chambre avec vie» pour une séance interview et photo à paraître dans le dossier spécial du premier numéro de juin de B&P. Intitulé: «La bouffe et moi – recettes et confessions intimes». En Une: Brad Pitt confiant aux lectrices la recette qu’il aimerait qu’Angelina Jolie lui mitonne pour l’allumer après une longue journée de tournage. Les Concierges ont consulté Isabel qui connaît tout le gratin de la presse: elle leur a recommandé sans hésiter d’envoyer Juan au front, «rapport à son narcissisme pathologique». Et effectivement, Juan a immédiatement accepté. «Le concept, lui a expliqué l’assistant de la rédactrice en chef de B&P, c’est ‘un met, une rencontre, une émotion’. Avec, d’un côté, Brad, la star, et de l’autre, vous le mec normal. Vous captez?»

Juan a surtout capté qu’il n’aurait pas droit à l’erreur et donc embauché Sean pour une «répète» pendant laquelle il lui a cuisiné son «met» et raconté sa «rencontre», son «émotion». Au terme de la séance, Sean lui a dit, ébahi: «Ta recette, elle est fantastique. Mais surtout, l’histoire! L’histoire!! Avec la Laotienne! Et sa belle-mère ukrainienne! Et ce pâté! Pis la coriandre!!! Wow!»

Juan a donc fait l’interview avec la stagiaire de B&P et posé pour les photos comme un pro: gonflé à bloc. Puis le jour d’hier est enfin arrivé et il a pu se ruer au kiosque pour acheter le nouveau numéro de <em>B&P</em>: Brad Pitt trônait comme prévu à torse nu, en Une. Juan s’est mis à feuilleter et... et... et... rien! QUE DALLE! Les enfoirés! Son sang n’a fait qu’un tour. Il a aussitôt appelé B&P et à force de menacer la secrétaire, réussi à avoir Nadège Dirod du Gard, la rédactrice en chef.

«Vous pouvez m’expliquer?» a fait Juan, glacial. «Ce serait plutôt à moi de vous demander des explications, a rétorqué Nadège. Vous nous adressez une recette ridicule à l’intitulé répugnant, et en plus, vous êtes un mythomane qui voulait profiter de notre magazine pour donner libre-cours à ses perversions!» Juan n’en a pas cru ses oreilles: «J’ai dû mal comprendre, là...» «Allons donc, a sifflé Nadège. A l’évidence, vous prenez vos fantasmes pour des réalités! Et vous pensez vraiment que quelqu’un va gober ça? La mousmé nympho et sa belle-mère ukrainienne qui vous auraient séduit, toutes les deux tout en vous préparant cette ‘tartine sensuelle laotienne’? Je vous en prie!» «Mais c’est la stricte vérité! Elle m’ont vraiment mis toutes les deux la...» «J’ai autre chose à faire que d’écouter les délires abjects d’un pauvre type comme vous, a coupé Nadège. Je vous fais envoyer les photos et nous en restons là.» Puis elle a raccroché. Avant de se tourner vers Isabel et de demander: «J’ai pas trop poussé, là?» «Mais non, a dit Isabel en lui tendant le plat. Ça lui fait les pieds. Et surtout, il est exclu que Marion découvre un jour imprimé dans un magazine les aventures plumard sauce Mékong de son paternel. T'en reprends une?» «Plutôt deux!, a fait Nadège avec gourmandise. C’est stupéfiant, cette recette, j’ai rarement mangé un truc aussi bon!» Elle a pris une grosse morse de «tartine sensuelle laotienne» préparée selon la recette de Juan avant d’enchaîner, la bouche pleine: «Et donc, la belle-mère était vraiment en train de hacher la coriandre quand il a senti...»

Par respect pour les âmes sensibles et les jeunes Chambreurs, les Concierges ont décidé de stopper ici la retranscription.

22 mai 2010

Terrains glissants

Il y a trois semaines: Sam reçoit un SMS de Muriel et forcément, parce que c’est Muriel, Sam a les genoux qui flanchent. Alors quand Muriel lui propose qu’ils se voient dans le parc «un de ces quatre», Sam smse aussitôt «OK! Mercredi en 8?» et annonce à Cora le soir même que mercredi dans une semaine, on lui a collé un colloque «chiant comme la pluie qui va sûrement durer jusque super tard dans la soirée».

Le jour J: Sam doit d’abord encaisser le choc en l’apercevant: c’est qu’en quinze ans, Muriel a pris dix kilos et un sacré coup de vieux. Elle l’attend sur le banc, un gobelet de café à la main. N’empêche, Sam se sent comme avant: éperdu, fringant, enflammé. Il doit faire des efforts surhumains pour ne pas lui sauter dessus. Sam et Muriel font quelques pas. Sam laisse avec délice Muriel lui prendre tendrement le bras et il l’imagine nue tandis qu’elle lui parle de sa mère «qui vieillit et qui emmerde le monde». Sam est transi et le trouble le fait défaillir, tandis que Muriel se serre plus fort contre lui en enchaînant sur son fils ado «qui fait tout le temps la gueule». Sam n’y tient plus. Il s’arrête, prend doucement Muriel par les épaules. Elle le regarde d’un air interrogateur, son gobelet toujours à la main. Sam veut lui rouler un patin passionné. Muriel se dégage et lui balance une baffe. Outré, Sam lui arrache son gobelet et le balance rageusement au loin sur le sentier avant de tourner les talons.

Le lendemain du jour J: Cora fait son jogging dans le parc. Le beau joggeur pour lequel elle vient secrètement courir tous les matins arrive en face: altier, fringant, irrésistible. Cora rentre le ventre, enfile son sourire le plus aguicheur et ne voit pas le couvercle du gobelet de café par terre. Cora glisse dessus. Cora se casse la gueule et se foule la cheville. Le joggeur se hâte de lui porter secours.

Depuis: Sam a la machette de la culpabilité qui lui taillade l’âme chaque fois qu’il voit Cora boitiller. Cora bénit chaque jour qui passe le couvercle que le destin a mis sous ses baskets. Elle sait désormais que le sémillant joggeur s’appelle Jorge. Et elle a son numéro.

8 mai 2010

Topo printanier

Depuis des jours, le printemps morfle. Vraiment. L’hostilité est devenue carrément palpable: C’est quand que ça va enfin s’arrêter, ce temps pourave? On aimerait bien quitter nos impers! Et enfin pouvoir se mettre en t-shirt! Et enfin pouvoir faire des grillades! C’est le printemps le plus dégueu que j’aie jamais vu!

Que d’ingratitude, se dit le printemps en glissant mélancoliquement dans la fraîcheur de la bruine. D’abord ils geignent: Avril était beaucoup trop sec! Et pis la nappe phréatique! Et pis les grenouilles! Et pis y a plus d’saison! Alors je leur envoie la flotte et voilà qu’ils geignent de plus belle. Mais le printemps n’est pas rancunier pour une primevère. Il a fait sienne la philosophie abnégative de son ami Jésus («Pardonne-leur, car ils ne savent pas ce qu’ils font…»). Et puis, après tout, peut-être bien que l’humanité est vraiment prête pour un changement de météo, avec toutes les conséquences que ça implique. Allons faire le point!

Le printemps prend son élan et entre chez Anke. Anke se tient face à la glace, elle tente en vain de fermer son jeans et crie à Paolo qui est dans la salle de bain: «Je te hais! Comment tu as pu me laisser devenir comme ça sans rien dire? J’ai l’air d’une baleine blanche! Pire que Cora après la naissance de Victor!». Le printemps claque des doigts et fait jaillir Paolo de la salle de bain. Paolo plaque ses mains sur les hanches d’Anke et fait voluptueusement «Mmmh…» avant de lui souffler: «On s’en fout de ton jeans, il fait moche, on retourne au lit et on y reste tout le week-end…»

Le printemps ferme pudiquement les yeux et rejoint Chantal et Patrick dans le bus. «J’ai honte, confie Chantal à Patrick. Mais l’idée de devoir les encourager le long du parcours de cross sous cette pluie battante, c’est au-dessus de mes forces.» «Ah non, dit Patrick en fronçant sévèrement les sourcils. Tu peux pas leur faire ça! Ils se réjouissent tellement de jouer les héros dans la boue! Et puis c’est toi qui leur as seriné les bienfaits du grand air, par tous les temps!» «T’as raison, gémit Chantal, mais là, j’ai juste envie de cocooner en mangeant des chips.» «Bio, au moins?», tonne Patrick. «Bien sûr! Mais je me sens coupable et…» «Je crois que j’ai une idée», dit Patrick. Et le printemps entend distinctement sa prière muette («Pourvu qu'il continue de faire moche!»)

Alors le printemps quitte le bus et relance la minuterie flotte pour la fin de la journée, avant de débarquer une heure plus tard dans la chambre des jumeaux. Patrick est avec eux. «Et alors, qu’est-ce que tu lui as dit?», demande Louis, les yeux enfiévrés. «Qu’elle pouvait vous acheter des Nintendo DS pour que vous soyiez pas trop tristes», répond Patrick. «Et?» glapit Hugo, n’y tenant plus. «Elle a dit non. C’était pas négociable.» «J’en étais sûr», lâche Hugo, écoeuré. «Alors, enchaîne Patrick, je lui ai dit qu’elle pouvait vous acheter l’album Panini et la maxi-boîte de vignettes…» «Et?» glapit Louis, n’y tenant plus. «Tataaaa!», clame Patrick en tirant les deux trésors de son sac. Les jumeaux hurlent de joie. «Et ce qu’il y a de bien, leur glisse Patrick à voix basse, c’est que comme il va flotter tout le dimanche, vous avez les droit d’ouvrir quinze packsons chacun. J’ai dit à Maman que c’était le minimum pour vous occuper tout l’après-midi.»

Le printemps sourit. Et essore à fond deux méganuages pour se féliciter.

23 avril 2010

iDog

Leo, en train de raconter à son grand-père maternel: Donc quand Papa est rentré de Nouyork, il avait des ronds noirs autour des yeux. Maman a dit qu’il était djètelagué et que c’était pour ça qu’il parlait très très vite en disant des trucs que chkomprenais rien. J’me rappelle ki disait toujours aïepade ouaaah! aïepade incroyable! aïepade rébolutionnaire! et puis de nouveau aïepade ouaah! et Maman, ç’avait l’air de lui casser le pied...

Pour le protocole: Marc vénère Apple, Marc vénère Steve Jobs. Quand il veut faire forte impression, il porte les mêmes cols roulés noirs. Et lorsqu’il a su qu’il serait au nombre des premiers propriétaires d’iPad parce qu’il ferait tzak-tzak l’aller-retour vers New York le jour J, Marc a même décidé de se laisser pouser la barbe. Depuis son retour de Big Apple, Marc Apple-touch à tire-larigot. Tout le temps. Il ne quitte plus son iPad. Il dort même avec lui.

Leo: Et pis Maman, ça l’énerve et elle lui dit tout le temps que si y continue komsa, elle va l’appeler Stiv et que si y continue komsa ben elle, elle prendra César pour dormir…

Protocole: Marc va sur Youtube regarder tous ce que ses frères visionnaires ont téléchargé comme vidéos édifiantes mettant en scène la nouvelle révélation. Il tombe notamment sur les séquences qui montrent des chats en train de jouer sur l’iPad – tennis, keyboard, la ficelle virtuelle… Fantastique! Même le monde animal est passé dans la nouvelle dimension! Pour ricaner et prouver à Julie qu’en s'entichant de César le clébard, elle s’est entiché de l’animal le plus sot de la Création, il lui passe le clip qui montre un clébard «totalement dépassé» en train d’aboyer contre l’iPad.

Leo: Et ça, ben se moquer de César, ben il aurait pas dû, passke Maman, elle l’aime vachement, César, et elle déteste l’aïepade, alors…

Protocole: «Là, on a la preuve définitve que les chiens sont cons», dit Marc. «Ah ouais?», fait Julie en plissant les yeux d’un air mauvais. «Ouais», fait Marc en se lissant sa nouvelle barbe. «C’est ce qu’on va voir», siffle Julie, l’air encore plus mauvais qu’avant. Elle cherche le clébard des yeux et pointe à son attention le doigt vers la table de chevet où Marc vient de poser l’iPad…

Leo: Pis Maman elle a crié à César «Jeter en bas du balcon!» en montrant l’aïepade et ça, César, il sait vachement bien faire, même kil est super vite, il obéit toujours à Maman quand elle lui dit de jeter mes PoouèreMaïnerse en bas du balcon. Alors César a attrapé l’aïpade et il a couru vers le balcon…

Protocole: Marc, pétrifié, n’en croit pas ses yeux en voyant détaler le clébard avec son iPad dans la gueule. Il se rue sur le balcon et fouille la pénombre d’un regard affolé en contre-bas dans l'espoir d'apercevoir son trésor. En vain. La nuit est d’un noir insondable. Marc se précipite en pantoufles et en pyjama dans la cage d'escaliers pour aller voir.

Léo: Ha ha ha! Mais ski savait pas, Papa, c’est que Maman, elle fait ça pour rigoler! tout l'temps! Bon, n’empêche que la première fois qu’elle m’a fait le coup avec les PoouèreMaïnerse, moi aussi, je suis descendu en courant l’escalier et en pleurant dans la cour. Ha ha ha! Pépé, t’aurais dû voir sa tête, à Papa, quand il est remonté et qu'il était tout blanc et qu’il répétait: «Il a disparu... On me la volé… J'ai cherché partout…»! Ha ha! Qu'il est bête, Papa! Passke César, il sait trèèès bien qu’il doit planquer sous les coussins du banc du balcon ske Maman lui dit de jeter! Là, je crois plus que Papa, il osera redire que César il est con! Oui, Pépé, je sais, c'est un vilain mot...

3 avril 2010

C’est pas tes oignons

Au fil des révélations quasi quotidiennes de nouveaux cas de pédophilie qui défraient la chronique, Isabel ne cesse de se féliciter d’être sortie de l’Eglise catholique il y a quelques années – même si, paix à son âme, sa yaya qui vénérait Jean-Paul II comme Marion vénère Tokyo Hotel a dû se retourner plus d’une fois dans sa tombe en apprenant la nouvelle depuis l’au-delà. Mais Isabel n’est pas dupe: en mère avertie, elle sait bien que la menace qui plane sur les enfants est partout – à l’école, à la gym, au camp de ski... Alors plutôt que de céder à sa première impulsion et de rejoindre le groupe Facebook «Pendre les pédophiles par les couilles», Isabel a préféré se concentrer sur l’essentiel, le durable, quoi: rendre sa fille forte et lui montrer que Juan et elle prenaient ça très au sérieux. Marion a donc été sommée en dépit de ses protestations (elle voulait faire de la natation synchronisée), de commencer des cours de karaté.

Et Isabel a de son côté traîné Juan à une rencontre de parents qu’organisait un comité de quartier avec une certaine Silvia, «spécialisée dans la prévention des abus et des violences sur les mineurs». Dans son for intérieur, Isabel l’a trouvée formidable. Dans son for intérieur, Juan l’a trouvée «flic en camouflage anthroposophe», rapport à ses bijoux d’inspiration tellurique, mais surtout à l’épais questionnaire que Silvia a fait remplir aux paternels présents «pour faire honnêtement le point sur la relation père-enfants».

De retour à la maison, Juan a lâché ce qu’il avait sur le cœur: «Non mais qu’est-ce que c’est que ce bordel? Comme si ça la regardait que j’en colle une à Marion quand elle va à l’école avec le string qui dépasse! Alors que ça, je t’assure, c’est de la prévention!» «Marion n’a pas de string», lui a rappelé Isabel. «Mais ça ne saurait tarder, a rétorqué Juan en allant chercher le tire-bouchon. Et en père responsable, j’anticipe!»«Je vois pas ce qui te hérisse à ce point, l’a interrompu Isabel. Après tout, tu l’as rempli, ton questionnaire, et t’avais même l’air de trouver ça intéressant.» «C’est vrai, a admis Juan en lui servant un verre de rouge avec un sourire satisfait. Je me demande ce que ça va lui faire, au flic anthroposophe, de voir que j’ai répondu à toutes ses questions par ‘C’est pas tes oignons!’»

20 mars 2010

When Your Chips Are Down...

«Et tu avais l’intention de m’en parler quand, de ce deal du siècle?», a grondé Lumi, hors d'elle, en se dirigeant vers le canapé, un saladier de chips à la main. «Dès que tout aurait été réglé», a répondu Sean, qui était déjà assis et occupé à décapsuler deux bières. «Mais est-ce que tu te rends compte de ce à quoi tu nous aurais exposés?» Lumi s’est affalée dans les coussins et a posé le saladier sur ses genoux.

«J’avais tout prévu, a assuré Sean en lui tendant une bouteille. Non seulement on aurait rétabli un peu de justice, mais en plus on aurait raflé assez pour plus avoir besoin de travailler. J’aurais enfin pu mettre mes skills à disposition de fondations humanitaires, par exemple et…» «Tu es barge!, l’a interrompu Lumi. Tu te serais retrouvé avec des dizaines de milliers de plaintes au fesses, on aurait dû disparaître et…» «Mais ç’aurait été excitant, non?», a fait Sean en lui décochant un clin d’œil et en tétant sa bière. Lumi s’est contentée de soupirer et d’enfourner des chips. «En plus, c’était parfaitement réaliste», a insisté Sean. «Comme quand tu avais déposé ta candidature sur Facebook pour devenir agent secret du MI6?» «J’avais réussi les premiers tests sur Internet, a protesté Sean. Tu me passes les chips, s'il te plaît?» Mais Lumi a poursuivi: «Tu voulais devenir agent secret du MI6...» Sean a senti venir le sarcasme et répété plus fort: « Tu me passes les chips?» «...alors que t’avais déjà dix ans de trop par rapport à l’âge limite de recrutement!» «Gary m’avait dit que ça pouvait s’arranger», s’est défendu Sean, en tendant ostentatoirement le bras vers les chips. Mais Lumi serrait toujours le saladier contre elle. «Gary est un débile!» «Passe-moi les chips, nom d’un chien!» «Tu mérites pas que je t’en donne!» «Ce sont autant mes chips que les tiennes!» Sean s’est jeté sur le saladier et l’a tiré à lui de toutes ses forces en faisant «Han!». Le saladier a fait un vol plané et s’est brisé sur le plancher dans une averse de chips.

«Bien joué!!», a braillé Sean hargneusement en se levant pour aller vers le placard à balais. «Excuse-moi, a dit Lumi. Mais ça me stresse, cette affaire de CD. Donc t’es vraiment sûr, là, que c’est fini pour de bon?» «Oui», a dit Sean en se rembrunissant et en commençant à balayer les chips. «Sûr de sûr?» «Ouiii!, a glapi Sean. Puisque je te dis qu’ils m’ont ri au nez et qu’ils m’ont pas cru quand je leur ai dit que j’avais des noms à leur vendre!»

6 mars 2010

La belle, le vampire et le repentant

Sean a ramené des Etats-Unis la dernière saison de True Blood, sa nouvelle série fétiche. Il raffole de ses vampires et de son atmosphère très moiteurs du Sud, chargée de crime, d’alcool et de sexe… Et puis, il y a l’exquise Sookie qui vit la grande passion avec Bill le vampire: Sean ne se lasse pas de sa queue de cheval, de ses délicates rondeurs et de ses petites robes à volants. Mais depuis qu’il regarde cette nouvelle saison, Sean a accédé à une dimension supérieure. Il a enfin réussi à mettre un nom sur ce truc confus qui l’avait toujours troublé chez Sookie: l’intégrité. Cet émouvant sens du bien et du mal qui s’exprime quand elle remonte les bretelles de son incapable de frangin, mais surtout quand elle se dresse pour défendre son amant de vampire contre tous ceux qui lui cherchent des crosses: l’humanité (veule, pochtrone, pourrie de préjugés) qui le hait, les dopés qui veulent lui piquer son sang pour planer, la clique de vampires very bad qui refusent de lui lâcher la bride pour qu’il puisse enfin mordre Sookie comme il l’entend…

Au fil de ses réflexions, Sean a aussi réalisé qu’il avait franchi une étape décisive dans le développement de lui-même. A l’époque où il spéculait jusqu’au vertige pour ses clients, l’intégrité, c’était un machin informe qui suintait la faiblesse et faisait fuir le bonus. Alors que maintenant, tout lui apparaît si différent: il comprend que les vrais gagnants seront ceux qui miseront sur l’intégrité. Après la grosse fiesta, c’est la gueule de bois: le monde a soif d’un double Alka Seltzer qui effervesce la justice et la probité. Le fric facile, l’adrénaline des risques de bas étage, terminés. Le monde appartient à ceux qui mouillent leur chemise pour le bien.

Sean met True Blood sur pause. L’image se fige sur un gros plan de Sookie qui fronce les sourcils et ouvre les lèvres d’un air de défi. Il n’en fallait pas plus pour le galvaniser. Il va vers son coffre et fixe le CD qui miroite au fond. Il est temps qu’il appelle son contact au gouvernement allemand pour allécher Angela avec un nouveau packson d’évadés fiscaux.

20 février 2010

La barbe molle et le schuss

Chaque année, Juan déteste l’hiver un peu plus. Parce que cette saison lui rappelle avec une cruautée consommée que la vie s’écoule toujours plus vite autour de lui. Que sa démarche sur le verglas s’apparente toujours davantage à celle d’un pépé. Qu’il devient vieux. Inexorablement. Et ça, c’est horrible.

Juan en a eu avant-hier la preuve définitive, lorsqu’il a croisé le regard empli de commisération que Marion a dardé sur lui à travers ses lunettes alpines, alors qu’il fonçait dans le schuss aussi vite que Lindsey Vonn (merde, lui aussi, il porte des lattes de mec!): pour sa fille, il avait basculé du côté des débris pathétiques, elle lui préférerait à tout jamais les clones de Shaun White qui hantent les half-pipe, barbe molle sous le casque et froc à ras-le-cul.

Pour se remonter le moral, Juan a donc proposé hier à Tonio, le cousin catalan d’Isabel qui passe les vacances avec eux, «un ski-day entre hommes». Comme Tonio skie vachement mal, à côté de lui, Juan se sent spectaculaire et viril comme Bode Miller. De plus, Tonio a inventé l’excellente tradition du vin chaud de la presque dernière descente à 13h20 – ce qui laisse le temps d’en écluser encore une dizaine avant la vraie dernière de 16h15. Rien de tel pour se refaire une santé.

Ils en étaient au cinquième quand Tonio lui a montré en pleurant de rire les photos qu’il avait téléchargées l’an dernier sur son téléphone et qui montraient un mec suspendu au télésiège la tête en bas par ses skis, déculotté jusqu’aux mollets, ses fesses (poilues? c’était dur à dire avec cette résolution…) à l’air. Apparemment, lui a raconté Tonio, c’était arrivé dans le Colorado. Le gars avait voulu prendre le télésiège, mais il manquait la banquette, si bien qu’il avait basculé dans le trou tandis que le télésiège l’emportait, la tête en bas, tenu rien que par ses skis. Les fixations avaient tenu bon, mais son pantalon et son slibard étaient restés coincés en haut, d'où la derche-exhibition. «T’imagines?, a fait Tonio en commandant le sixième vin chaud. La zique à l’air par moins sept pendant douze minutes?» Juan en a frissonné d’épouvante.

Est-ce que c’était la faute du vin? Du pouvoir subliminal de l’image? C’était dur à dire avec cette gueule de bois. Mais ce matin, dans la file d’attente, Juan s’est senti paralysé, incapable de monter sur le télésiège. La mort dans l’âme, il a fait demi-tour. Regardé Marion s’éloigner avec Shaun White. Et il aurait sombré à tout jamais s'il n'avait pas distinctement entendu Lindsey et Bode lui murmurer à l’oreille: «T’inquiète, on lui fera bouffer sa barbe molle dans le schuss.»

6 février 2010

Fond sonore à 18 degrés

Chantal a été tellement émue par le rabibochage ankepaolique qu’elle n’en revient toujours pas. «Tu te rends compte?», a-t-elle dit à Patrick l’autre soir, pour la millième fois, alors que Patrick se brossait les dents en caleçons longs super isolants – rapport à la température glaciale qui règne dans leur apparte parce que Chantal refuse de monter le chauffage au-delà de 18 degrés. Bruits de Patrick qui a broborygmé une réponse incompréhensible pleine de dentifrice végétal riche en huiles essentielles. «Qu’est-ce que tu dis?» a demandé Chantal depuis la chambre à coucher.

Mais Patrick n'a pas eu besoin de répéter: Louis et Hugo ont fait irruption dans la pièce à cet instant et se sont aussitôt jetés sous les couvertures du plumard – rapport aux glacials 18 degrés. Chantal adore quand ils surgissent comme ça, sans crier gare, avec leurs petites laines péruviennes par-dessus leur pyjama! Elle est donc allée se pelotonner contre eux. Et les jumeaux se sont aussitôt mis à geindre. «Anke, elle est pas venue UNE SEULE FOIS me faire les énergies depuis Nouvel An», s’est plaint Hugo – il arrive qu’Anke vienne «rééquilibrer le chi» à Hugo quand Chantal trouve qu’il flatule plus que de raison. «Je comprends, mon chéri», a dit Chantal d’un ton compréhensif. «Et Paolo, il m’avait PROMIS avant Noël qu’on jouerait au Wii, a enchaîné Louis, et je l’ai déjà téléphoné TROIS fois et il répond JAMAIS et il a TOUJOURS son retondeur automatique et…» «Son répondeur», a rectifié Chantal «C’est bien skejdis, a répliqué Louis. Son re-ton-deur.» Bruits de Patrick qui s'enduisait maintenant énergiquement les gencives de gel gingival à la sauge.

«Pourquoi c’est comme ça, maman, hein?», a demandé Hugo. «Eh bien… c’est parce que Paolo et Anke s’aiment de nouveau très fort, a répondu Chantal. Ils ont besoin de passer du temps ensemble.» «Et y font quoi, ensemble, hein?» Bruit de Chantal qui s’est éclairci la gorge. «Eh bien, tu vois, quand une femme… et un homme…» «Pfffh, l’a interrompu Louis, tout en déception. Alors ça y est. Alors c’est vraiment comme papa y dit.» «Qu’est-ce qu’il dit, papa?» a demandé Chantal, pleine d’espoir – Patrick avait-il eu la merveilleuse idée d’empoigner avant elle le délicat chapitre de l’éducation sexuelle? Comme elle l’aimait! Bruit de Patrick qui a craché son gel et rincé le lavabo – pas trop, pour ne pas gaspiller l’eau.

«Ben papa, y dit que maintenant, c’est Paolo qui nénergétise le chi d'Anke et que c’est Anke qui tient le djoïstik», a répondu Hugo. Bruits de Patrick qui s’est gargarisé avec le bain de bouche à la myrrhe. Longuement. Trèèès longuement.

23 janvier 2010

La main invisible - spécial 150ème!

Scène 1, Paolo et Sean dans un café. «Donc tu sais toujours pas ce qu’elle t’avait fait, Irina?», récapitule Sean. «Non.» Paolo est désespéré: impossible de se rappeler comment Anke a atterri dans son plumard la nuit de la Saint-Sylvestre, impossible d'expliquer le lien entre cet épouvantable trou de mémoire et son rêve irinico-bodyscannique. «Tu sais, a dit Sean, je me suis renseigné. Il est pas possible, ton rêve. Y a pas de bodyscanner à Cherementievo. Le seul de Russie, il est à Domodedovo.» «Et qu’est-ce que ça change?» «Rien, mais fallait préciser. Désamorcer, quoi.» «Désamorcer, je veux bien. Mais ça change que dalle: le truc craignos, à Anke, je le lui ai quand même dit. Et je t’assure que je l’ai sentie, sa botte, quand elle me l’a balancée à la tronche.» Paolo désigne les trois points de suture sur son front. «Pas mal!», lance Sean, admiratif. Paolo le fusille du regard. «Enfin, je veux dire … ils t’ont bien recousu.» Paolo le fusille toujours du regard. «Okay, tempère Sean. On reprend, ça va te revenir.» Paolo soupire et répète: «Donc, on a bouffé des huîtres…»

Scène 2, Anke, Chantal et Cora dans le salon de Chantal. «Ce mec est une merde!», clame Anke. «On est d’accord, mais ça résout pas le problème, objecte Cora. Comme tu te rappelles de rien, on sait toujours pas si vous… Enfin, tu vois, quoi.» «D’autant plus, renchérit Chantal, qu’on sait plus trop quoi penser avec vous deux.» «Comment ça?» «Ben oui, on avait tous cru que c’était reparti entre vous, y a quelques mois», explique Chantal. «Et après, enchaîne Cora, on découvre que vous faisiez juste à bouffer.» «Bon, dit Chantal, on va reprendre dès le début. Alors, avec les huîtres, qu’est-ce qu’il y avait à boire?» «Du Crément de Loire…»

Scène 3, montage alterné entre les visages d’Anke et de Paolo. Paolo: «Pas mal de Crément, en fait.» Anke: «Un peu trop de Crément, pour tout dire.» Paolo: «On était chez moi, y avait pas mal de monde.» Anke: «C’était sympa, on a dansé.» Paolo: «Mais ensuite, je me rappelle plus…» Anke: «Le trou noir… J’arrive pas à me souvenir…»

Scène 4, là-haut dans les cieux, le bon Dieu et l’ange Gabriel. Le bon Dieu se tient les côtes de rire. L’ange Gabriel fronce les sourcils. «Je me lasse pas», avoue le bon Dieu en pleurant de rire. «C’est quand même cruel, objecte Gabriel. Vous aviez promis une réconciliation ankepaolique pour 2010.» «Vraiment?» «Vraiment.» Le bon Dieu soupire: «Bon, appelle les Concierges.» Gabriel s’exécute. Et revient. «Alors?», demande notre Seigneur. «Ils sont prêts.» Le Bon Dieu soupire encore, à regret. Puis il se met à souffler.

Scène 5, le vent se lève derrière les vitres du café. Paolo: «Ah oui, ça me revient! Je suis allé pisser!»

Scène 6, le vent se lève derrière les vitres du salon de Chantal. Anke: «Et il est sorti des toilettes et je lui ai billé dedans et presque tout le monde était parti!»

Scène 7, montage alterné entre les visages d’Anke et de Paolo. Paolo: «Et on est allé dans ma chambre.» Anke: «Et on s’est allongé sur le lit, c’est venu tout seul.» Paolo: «Et on a parlé, c’est vraiment bizarre, ça me ressemble pas d’être au lit et de parler.» Anke: «Mais bon, Paolo est quand même resté fidèle à lui-même, puisqu’on a fini par parler de le faire. J’étais contente.» Paolo: «J’étais content.» Anke: «Mais j’étais fatiguée, aussi.» Paolo: «En fait, j’étais crevé. Ça tape, le Crément.» Anke: «Mais on a quand même commencé et…» Paolo: «C’était top, mais on était trop naze.» Anke: «Alors on s’est endormi. C’était adorable et paf, au réveil, il faut qu’il me balance un truc pareil!» Paolo: «Et il suffit que je lâche un truc de travers parce que je suis perturbé et tout ce qu’elle trouve à faire, c’est de me balancer sa botte?!»

Scène 8, là-haut dans les cieux. Le bon Dieu a tout entendu. Il se lisse la barbe avec irritation, puis il harangue Gabriel: «Ces deux-là sont des incapables, faut tout leur prémâcher! Grouille-toi de descendre et arrange-moi ça une bonne fois pour toute!» Gabriel s’exécute et décide de semer des plumes sur le trottoir entre le café et chez Chantal. «C'est pas un peu cucul la doucette, ces machins avec les plumes?», demande le bon Dieu. «C'est le seul truc qu'on n'ait pas encore essayé pour les rabibocher, lui rappelle Gabriel. N'oubliez pas qu'ils ont foiré toutes les autres stratégies. On n'a plus le choix.» Notre Seigneur est bien obligé de se résoudre.


Scène 9. Anke quitte le domicile de Chantal en frissonnant sous son manteau. Intriguée par les plumes qu’elle aperçoit au sol, Anke est saisie d’un irrésistible besoin de les suivre. Paolo quitte le café et remonte le col de sa veste en frissonnant. Intrigué par les plumes qu’il aperçoit au sol, Paolo est saisi d’un irrésistible besoin de les suivre.

Scène 10, là-haut dans les cieux. Notre Seigneur ferme pudiquement les yeux en dépit des coups de coude triomphants que l’ange Gabriel lui balance dans les côtes: «Ils s’embrassent passionnément sous le lampadaire!» Le bon Dieu grommelle: «C’est pas trop tôt!». Mais il est quand même content et se lisse la barbe de satisfaction. Il la lisse d’ailleurs tellement que la neige se met à tomber.

9 janvier 2010

Bonne année!

On était le 1er janvier et Paolo sentait la sueur lui perler sur le front au fur et à mesure qu’il avançait dans la file au contrôle de sécurité de l’aéroport moscovite de Cherementievo. C’était une catastrophe! Et dire que tout ça, c’était de la faute de ce crétin de Nigérian qui voulait se taper des vierges au Paradis en faisant péter cet avion! Sans lui, Paolo n’aurait jamais été la proie de cette épouvantable angoisse, il aurait passé le contrôle de sécurité sans se poser de question. Mais là!

La nouvelle de l’attentat manqué sur Detroit, Paolo l’avait happée lors du séjour à Moscou qu'il s'était organisé sous prétexte de congrès pour retrouver la prodigieuse et délicieuse Irina, brillante PhD aux jambes irréellement longues qu'il avait rencontrée dans le cadre d'un autre congrès. Avec elle, il avait passé douze jours follement indescriptibles. Et c’était d’ailleurs entre deux machins follement indescriptibles et deux toasts vodka-concombre qu’Irina et lui avaient évoqué les fameux full body scanners et-que-je-te-mette-à-pélos qu’Obama voulait voir pousser dans tous les aéroports. Irina lui avait dit: «Chez nous, ça fait des mois qu’ils sont en service!» «Ah bon?», s’était étonné Paolo. Et puis il avait oublié cette discussion avec force baisouille et vodka. Et puis encore après, le moment était venu pour lui de cuver sa Saint-Sylvestre moscovite et de rentrer.

Le problème, c’était qu’entre-temps, Irina lui avait fait… ce fameux truc. Ce truc incroyable, extatique, indicible, supersonique, hyper russe, quoi. Mais qui avait indubitablement laissé des traces, Paolo le sentait bien au fond de son slip. Et c’était là, dans la file, alors qu’il s’était laissé allé au souvenir doloro-délice du fameux truc, qu’il s’était souvenu que ces Russes de ses noix, le scanner-et-que-je-te-mette-à-pélos, il l’avaient déjà! Donc, ça allait… se voir?! Seigneur! Paolo s’est discrètement épongé le front. Il fallait qu’il ait l’air souverain du chercheur de pointe. S’il continuait de suer, il allait passer pour un terroriste et là, ce serait pire, parce qu’il y aurait la fouille corporelle et… Paolo sentait le dard de l’impuissance lui labourer l’âme. Il imaginait déjà la grosse <em>security woman</em> en uniforme se pencher d’un air perplexe sur l’image livrée par le scanner, incliner la tête en fronçant les sourcils pour tenter de comprendre, d'interpréter cette… Oh mon Dieu! Plus que trois personnes avant lui… Plus que deux… Plus que…

Paolo s’est redressé d’un coup sur son séant en hurlant «Noooon!» Puis il a regardé en tremblant autour de lui, avant de comprendre enfin: il n’était pas à Moscou! Il n’avait pas fait le… truc avec Irina! Il était dans son lit! Tout simplement! Il avait juste bu comme un trou le 31, il avait juste un peu mal au crâne! C’était merveilleux!

«Ça va?» a demandé tout à coup une voix ensommeillée à côté de lui. Paolo a cru que le ciel lui tombait sur la tête: à sa gauche, dans le plumard, il y avait… Anke. ANKE?!?! C’était tellement incroyable que Paolo a posé carrément la mauvaise question: «Mais qu’est-ce que tu fous ici, toi?»