2 h 09: P, 3 ans, se redresse à angle droit dans le rectangle simple A (son lit) et gagne en ligne pointillée le rectantgle double B (lit de ses parents), où son père M et sa mère O ronflent faiblement. P s'allonge en B parallèlement à O.
2 heures 47. Les bras de M et de P forment un triangle isocèle autour de la tête de O qui tente de faire effectuer une translation à P vers l'extérieur du rectangle B. Peine perdue: P se débat, P geint. O gagne en ligne ondulée le rectangle A où elle se tasse en ligne brisée.
3 h 12: En A, O ronfle, le visage crispé par l'inconfort. En B, P. a effectué une rotation à 90 degrés et repose perpendiculairement à M.
3 h 15: M est tiré dans son sommeil par des orteils qui remuent dans ses narines. Il ouvre les yeux et aperçoit P dont les pieds forment une tangente sur son visage. P remue. Trop tard, M prend un coup dans le nez. Etouffant un juron de douleur, il effectue hors de B une rotation à 360 degrés en se tenant le visage.
3 h 22. M et O sont assis symétriquement de part et d'autre du rectangle C (table de la cuisine). M. presse une poche de glace sur son nez. O dit: «Il faut faire quelque chose. Il est d'une régularité presque mathématique, ces derniers temps.» M répond: «Mmh.»
3 h 51. M repose en D (canapé du salon en arc de cercle). O forme une nouvelle ligne brisée en A, alors que P occupe B depuis son centre, bras et jambes symétriquement déployés. Du haut du ciel, Léonard de Vinci sourit: il vient de reconnaître son Homme de Vitruve et l'inscrit dans un cercle.
30 septembre 2006
23 septembre 2006
Swiss Hot Revenge
Le chéri et moi avons tellement fait l'éloge des Alpes autrichiennes que Sam et Cora ont décidé de s'y rendre eux aussi. «Pour l'été indien», m'a expliqué Cora - j'ignore encore ce qu'elle entendait par là: j'allais lui rappeler que l'été indien est un phénomène avant tout nord-américain quand le chéri m'a envoyé un coup de coude dans les côtes en chuchotant: «Elle est enceinte, vaut mieux pas.»
Bilan: en moins de deux jours, Sam et Cora sont devenus de fervents austro-adeptes. Mais l'idylle a comme tourné court au moment où Cora a fait une découverte «énorme» dans son austro-supérette d'altitude: deux «modèles» de chocolats noirs de la maison Frey (Migros), qui plastronnaient fièrement leur origine «Swiss Delice Made in Switzerland» alors qu'il s'agit de mariages absolument introuvables en Suisse. Intitulés de ces traîtrises vendues uniquement à l'exportation: «Emotion Citron & Poivre» et «Emotion Peperoncini fort».
«Un scandale», a estimé Cora. Sam, lui, a trouvé la chose plutôt anecdotique. Mais au lieu de la fermer sagement, il a commis la terrible erreur de lâcher «Tu crois pas que tu exagères?» au moment où Cora, les hormones de grossesse bien affûtées par trois tablettes citron-poivre, s'apprêtait à invectiver au téléphone «ces salauds de M-product managers». Mal lui en a pris.
Une heure plus tard, Cora feignait la réconciliation en lui glissant coquinement dans la bouche quelques carrés d'«Emotion Peperoncini». Il a fallu à Sam une demi-miche de pain pour éteindre le Swiss Delice incendie dans son gosier.
Bilan: en moins de deux jours, Sam et Cora sont devenus de fervents austro-adeptes. Mais l'idylle a comme tourné court au moment où Cora a fait une découverte «énorme» dans son austro-supérette d'altitude: deux «modèles» de chocolats noirs de la maison Frey (Migros), qui plastronnaient fièrement leur origine «Swiss Delice Made in Switzerland» alors qu'il s'agit de mariages absolument introuvables en Suisse. Intitulés de ces traîtrises vendues uniquement à l'exportation: «Emotion Citron & Poivre» et «Emotion Peperoncini fort».
«Un scandale», a estimé Cora. Sam, lui, a trouvé la chose plutôt anecdotique. Mais au lieu de la fermer sagement, il a commis la terrible erreur de lâcher «Tu crois pas que tu exagères?» au moment où Cora, les hormones de grossesse bien affûtées par trois tablettes citron-poivre, s'apprêtait à invectiver au téléphone «ces salauds de M-product managers». Mal lui en a pris.
Une heure plus tard, Cora feignait la réconciliation en lui glissant coquinement dans la bouche quelques carrés d'«Emotion Peperoncini». Il a fallu à Sam une demi-miche de pain pour éteindre le Swiss Delice incendie dans son gosier.
16 septembre 2006
Kirikou, le ciel et les montagnes
Le chéri, les enfants et moi, on s'est offert récemment un week-end prolongé en Autriche. Super chouette - notamment les apéros indigènes au Veltliner bien frais avec saucisses sèches locales joliment baptisées «Doigts de sorcières». Sinon, à part bâfrer, on a pris la télécabine, regardé voler dans le ciel les ailes delta et les choucas, attrapé un coup de soleil sur le nez (le chéri) et le front (moi), et surtout initié nos enfants au plaisir pur et vrai de la marche en altitude. Extraits choisis.
Scène 1, dialogue «Famille à la montagne»: Mamaan. Oui. Mamaan, ça monte trop. C'est comme ça la montagne, ça monte. Chuis fatigué. Mais non et puis regarde comme c'est beau, le ciel, les montagnes. Papaaa. Oui. Papaa, tu me portes. Non. Papaaa. Non, pas question. Papaaa. Oui. Papa, j'veux faire de l'aile delta comme le monsieur. Tu es trop petit. Mais moi, je veux. Non, allez, marche, regarde comme c'est beau, les montagnes, le ciel. J'aime pas la montagne, j'veux faire de l'aile delta. Je t'ai dit non. Mamaan. Oui. Mamaan, j'veux rentrer. Mais non, regarde comme c'est beau, le ciel, les montagnes. Mamaan, j'ai chaud. Avance. Naaan. Avance. Nann, et pissèkomsa, j'massieds et j'bouge plus jamais, plus jamais. D'accord, ciao, allez avance. Naaan. Siii.
Scène 2: Le chéri craque et dégaine l'artillerie lourde en menaçant de jeter à la poubelle le DVD de «Kirikou».
Scène 3, dialogue «Le salaire de la peur»: Maman. Oui. Maman, j'adore marcher, vraiment, et puis regarde comme c'est beau, le ciel, les montagnes.
Scène 1, dialogue «Famille à la montagne»: Mamaan. Oui. Mamaan, ça monte trop. C'est comme ça la montagne, ça monte. Chuis fatigué. Mais non et puis regarde comme c'est beau, le ciel, les montagnes. Papaaa. Oui. Papaa, tu me portes. Non. Papaaa. Non, pas question. Papaaa. Oui. Papa, j'veux faire de l'aile delta comme le monsieur. Tu es trop petit. Mais moi, je veux. Non, allez, marche, regarde comme c'est beau, les montagnes, le ciel. J'aime pas la montagne, j'veux faire de l'aile delta. Je t'ai dit non. Mamaan. Oui. Mamaan, j'veux rentrer. Mais non, regarde comme c'est beau, le ciel, les montagnes. Mamaan, j'ai chaud. Avance. Naaan. Avance. Nann, et pissèkomsa, j'massieds et j'bouge plus jamais, plus jamais. D'accord, ciao, allez avance. Naaan. Siii.
Scène 2: Le chéri craque et dégaine l'artillerie lourde en menaçant de jeter à la poubelle le DVD de «Kirikou».
Scène 3, dialogue «Le salaire de la peur»: Maman. Oui. Maman, j'adore marcher, vraiment, et puis regarde comme c'est beau, le ciel, les montagnes.
14 septembre 2006
Repentir de grossesse
La première grossesse de Cora avait été un modèle du genre. La deuxième, en revanche, s'annonce gratinée: Cora vomit sans arrêt. «J'ai l'impression que ça va durer toujours, a-t-elle gémi. Je crois qu'on qu'on me punit.» «De quoi?», ai-je demandé. «Pour Laure», a répondu Cora.
Laure, c'était une de nos copines de jeunesse, qui avait décidé de faire un enfant à 20 ans. Geste courageux, quand on pense qu'à l'époque, la totalité de son entourage (dont Cora et moi) ne connaissait qu'un axiome de vie, pas bébécompatible du tout: faire la foire et se défoncer. Nous avions d'ailleurs été nullissimes avec Laure, trouvant «dommage» qu'elle soit «obnubilée» par son bébé et ses nausées - alors que Laure aurait pu consacrer son énergie de future mère à débattre avec nous de sujets bien plus essentiels: les mecs, la nicotine, l'alcool... Nous n'avions donc plus qu'un seul dénominateur commun: le Coca dégazé du petit dèje - Laure en sifflait pour soulager son remue-ménage hormonal, Cora et moi pour juguler la gueule de bois.
«J'ai honte, a soupiré Cora. Quand je pense que j'ai osé lui dire que ses nausées, c'était un peu psy, tu vois? Genre autosuggestion refoulée pour se faire une grossesse bien clichée... Quelle couche!» «A 20 ans, tout le monde tient des théories nazes», ai-je objecté. «Le problème avec moi, a fait Cora, c'est qu'il y a tout juste un mois, j'étais sûre d'avoir raison! Sûre qu'elle et toutes les autres, elles se faisaient un film...»
Je n'ai rien pu dire: Cora a mis la main sur sa bouche et foncé aux toilettes.
Laure, c'était une de nos copines de jeunesse, qui avait décidé de faire un enfant à 20 ans. Geste courageux, quand on pense qu'à l'époque, la totalité de son entourage (dont Cora et moi) ne connaissait qu'un axiome de vie, pas bébécompatible du tout: faire la foire et se défoncer. Nous avions d'ailleurs été nullissimes avec Laure, trouvant «dommage» qu'elle soit «obnubilée» par son bébé et ses nausées - alors que Laure aurait pu consacrer son énergie de future mère à débattre avec nous de sujets bien plus essentiels: les mecs, la nicotine, l'alcool... Nous n'avions donc plus qu'un seul dénominateur commun: le Coca dégazé du petit dèje - Laure en sifflait pour soulager son remue-ménage hormonal, Cora et moi pour juguler la gueule de bois.
«J'ai honte, a soupiré Cora. Quand je pense que j'ai osé lui dire que ses nausées, c'était un peu psy, tu vois? Genre autosuggestion refoulée pour se faire une grossesse bien clichée... Quelle couche!» «A 20 ans, tout le monde tient des théories nazes», ai-je objecté. «Le problème avec moi, a fait Cora, c'est qu'il y a tout juste un mois, j'étais sûre d'avoir raison! Sûre qu'elle et toutes les autres, elles se faisaient un film...»
Je n'ai rien pu dire: Cora a mis la main sur sa bouche et foncé aux toilettes.
9 septembre 2006
Mmh... Juste global
La scène représente C et D affalés dans un club à déco brocante. Comme environ 92% des mâles de l'établissement, C et D portent tous les deux par-dessus leur jeans négligemment taille basse une chemise à manches longues négligemment retroussées - manière à la fois efficace et discrète de démontrer qu'ils sont extrêmement cools et non conventionnels.
D: Le Viêt-Nam? Mmh... C'était juste parfait. Les clubs de Saigon... Croisé des Ecossais cools qui connaissent le guitariste de Franz Ferdinand...
C: Mmh... Moi j'ai adoré Buenos Aires... En fait, c'est un peu Barcelone: espagnol, bars, tapas...
D: Mmh...
C: En Patagonie, on a fait la fête avec deux Ricains total contre-culture, mais alors pas du tout de base: genre qui trouvent Bush juste grave des chez grave... C'était cool...
D: Mmh... Nous, on a loué des motos, comme au Cambodge l'an dernier. Et on s'est tiré dans le Nord, parce que je te dis pas, le Sud, c'est juste horrible, plein de touristes en valtouzes à roulettes qui pensent qu'à visiter...
C: Ce tourisme de masse, c'est juste l'angoisse...
D: Bon, y'a juste qu'à la fin, j'en avais juste sec de bouffer des nouilles dans ces cabanes à riz...
C: Pareil pour moi... J'en pouvais plus de la bidoche avec ces mecs de la pampa... Tu mastiques, ils parlent pas un mot d'anglais, ils prient... Juste pas tenable... Alors de retour à Buenos Aires, j'ai foncé dans un sushi bar, c'était juste nécessaire...
D: Mmhh... On pourrait essayer un indonésien, puisqu'on est à Amsterdam: le Lonely Planet, il dit les indonésiens d'ici, c'est juste les meilleurs...
D: Le Viêt-Nam? Mmh... C'était juste parfait. Les clubs de Saigon... Croisé des Ecossais cools qui connaissent le guitariste de Franz Ferdinand...
C: Mmh... Moi j'ai adoré Buenos Aires... En fait, c'est un peu Barcelone: espagnol, bars, tapas...
D: Mmh...
C: En Patagonie, on a fait la fête avec deux Ricains total contre-culture, mais alors pas du tout de base: genre qui trouvent Bush juste grave des chez grave... C'était cool...
D: Mmh... Nous, on a loué des motos, comme au Cambodge l'an dernier. Et on s'est tiré dans le Nord, parce que je te dis pas, le Sud, c'est juste horrible, plein de touristes en valtouzes à roulettes qui pensent qu'à visiter...
C: Ce tourisme de masse, c'est juste l'angoisse...
D: Bon, y'a juste qu'à la fin, j'en avais juste sec de bouffer des nouilles dans ces cabanes à riz...
C: Pareil pour moi... J'en pouvais plus de la bidoche avec ces mecs de la pampa... Tu mastiques, ils parlent pas un mot d'anglais, ils prient... Juste pas tenable... Alors de retour à Buenos Aires, j'ai foncé dans un sushi bar, c'était juste nécessaire...
D: Mmhh... On pourrait essayer un indonésien, puisqu'on est à Amsterdam: le Lonely Planet, il dit les indonésiens d'ici, c'est juste les meilleurs...
2 septembre 2006
Proust-ice estival
J'ai fait deux découvertes radicales pendant les canicules: 1) On finit par se lasser de tout quand ça cuite: des pastèques, des melons, des cerises, des sushi et même des bières... Mais pas des glaces. 2) L'astre gelato de la grande distribution helvétique est incontestablement migroïdien. Si, si.
Deux motifs à cela: a) C'est au M-génie qu'on doit les sompteux «Nougat Montélimar», «Lemons & Limes» et «Macadamia & Pecan», qui, affirme mon palais, laissent sur le carreau toutes les variantes Mövenpick. b) La Migros est la seule à avoir conservé une archive glaciaire digne de ce nom avec les eskimos de mon enfance en emballage sixties d'origine: l'otarie pour «Vanille», l'ours pour «Chocolat», le singe pour «Fraise»...
Ailleurs, il s'est produit une véritable catastrophe: l'ice-mémoire a été anéantie et seule «Apollo» a survécu. Pour qui rêve de grands moments proustiens, c'est absolument dépriment. J'aurais adoré, par exemple, faire la nique aux 34 degrés de cet été comme en 1979: avec plein de «Vampir» mûres-famboises-qui-faisaient-la-langue-noire, ou en laissant des tas de «Napoli» me baigner de leur émouvante fraîcheur.
J'ai heureusement éprouvé récemment comme une consolation en surprenant un chat sur Internet. En voici l'extrait le plus éloquent: G: «Vampir? C'est la meilleure glace qui ait jamais existé!» M: «Maintenant que tu le dis, c'est vrai! Ah! En lécher une! Et se caler ensuite avec un Tiki-citron et un Raider...» G: «C'était une sacrée époque: à chaque épisode, je tremblais pour Lassie...»
Deux motifs à cela: a) C'est au M-génie qu'on doit les sompteux «Nougat Montélimar», «Lemons & Limes» et «Macadamia & Pecan», qui, affirme mon palais, laissent sur le carreau toutes les variantes Mövenpick. b) La Migros est la seule à avoir conservé une archive glaciaire digne de ce nom avec les eskimos de mon enfance en emballage sixties d'origine: l'otarie pour «Vanille», l'ours pour «Chocolat», le singe pour «Fraise»...
Ailleurs, il s'est produit une véritable catastrophe: l'ice-mémoire a été anéantie et seule «Apollo» a survécu. Pour qui rêve de grands moments proustiens, c'est absolument dépriment. J'aurais adoré, par exemple, faire la nique aux 34 degrés de cet été comme en 1979: avec plein de «Vampir» mûres-famboises-qui-faisaient-la-langue-noire, ou en laissant des tas de «Napoli» me baigner de leur émouvante fraîcheur.
J'ai heureusement éprouvé récemment comme une consolation en surprenant un chat sur Internet. En voici l'extrait le plus éloquent: G: «Vampir? C'est la meilleure glace qui ait jamais existé!» M: «Maintenant que tu le dis, c'est vrai! Ah! En lécher une! Et se caler ensuite avec un Tiki-citron et un Raider...» G: «C'était une sacrée époque: à chaque épisode, je tremblais pour Lassie...»
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