25 octobre 2005

Wellness Kieser

Juan a admis qu’il avait pris un coup de vieux. Il a scruté sans complaisance sa tronche qui s’affaisse, son ventre un peu ramollo, ses muscles qui s’atrophient... Puis il a réagi et décidé de se rendre deux fois par semaine au Kieser Training pour se remuscler.

Le Kieser est exactement ce qu’il fallait à Juan. L’aura quasi médicale des lieux les départit de la vulgarité des salles de fitness. On y vient pour «renforcer son dos», pas pour faire de la gonflette. L’ambiance est sereine, recueillie. Pas de musique, pas de coaches beau-gosse-musclé qui vous renvoient un humiliant miroir, mais des monitrices quadra en pantalon Securitas et en débardeur de laine. La clientèle Kieser (seniors et éclopés) permet également à Juan de se sentir en super forme – par comparaison.

Mais le Kieser a surtout donné à Juan la possibilité de mettre en application le canon de la rubrique «Style» de la «NZZ am Sonntag». Qui fustigeait comme un crime de lèse-savoir-vivre tous les ringards pour qui la tenue fitness se résume à leurs chaussettes, une paire de cuissettes douteuses et un T-shirt I LOVE CANCUN. Car lorsque l’homme de goût vient faire de l’exercice, il revêt des chaussures de sport sombres, des pantalons longs sombres également et un maillot neutre, le tout d’une propreté irréprochable.

Juan suit ces conseils à la lettre. Et peut désormais se délecter chaque fois qu’il aperçoit une paire de vieilles guiboles prise en sandwich entre des cuissettes fripées et des chaussettes à carreaux. Les voies du wellness sont impénétrables.

18 octobre 2005

Parce que moi aime!

Notre cadet traverse une phase hurleuse remarquablement nourrie et polyvalente: le matin, le soir, en promenade, en allant à la crèche, en revenant de la crèche, à la maison, en visite, sur la place de jeu, au supermarché, à table, dans la baignoire… du haut de ses 3 ans, notre bébé d’amour semble prendre un plaisir éperdu à hurler. Incroyablement longtemps et incroyablement fort. Ce qui, outre la mutilation auditive infligée, peut devenir particulièrement embarrassant: toute la rue se retourne sur notre passage, le regard tantôt soupçonneux («Peut-être qu’elle le bat?») tantôt plombé de réprobation («Quel affreux marmot!»)Cette période est donc une véritable épreuve pour les nerfs – surtout lorsqu’elle s’assortit de commentaires comme celui qu’a hasardé ma belle-mère l’autre jour: «Peut-être que ça lui fortifie les poumons?»

Nous avons évidemment essayé toute une gamme de stratégies pour endiguer les décibels: l’explication calme (les manuels de puériculture disent que l’alpha et l’oméga, c’est de rester calme même quand la tempête domestique prend des allures d’ouragan Katrina), la menace (les manuels de puériculture disent que l’alpha et l’oméga dans la famille, c’est le respect des limites), le chantage (faut pas déconner, y’en a marre de se faire vriller les tympans), les vociférations (en désespoir de cause). Résultat: les hurlements se poursuivent avec une régularité édifiante.

Et lorsque je demande au cadet pourquoi il hurle, il répond avec un lumineux sourire: «Parce que moi aime!»

11 octobre 2005

Vieillir dignement

Quand j’ai reçu l’invitation de Juan par la poste, ça m’a fait un choc: 40 ans, déjà? Le chéri, qui a déjà cette épreuve derrière lui, a commenté le carton d’un «jolie l’invite. Très Juan, d’ailleurs». Et c’est vrai qu’avec son design interpellant et son libellé ironico-chaleureux, ledit carton ressemblait à Juan: merveilleux, mais inavouablement angoissé à l’idée de virer ringard – donc de vieillir.Une angoisse qui le fait lire assidûment la rubrique «Style» de la «NZZ am Sonntag» et lutter de toutes ses forces pour ne pas sombrer dans ce qu’il appelle «le laisser-aller parental typique». Le fait de n’avoir qu’un enfant permet d’ailleurs à Juan de jouer encore à l’adulte non amoindri par la vie de famille et de s’offrir un loyer centre-ville.

Le chéri et moi, nous nous sommes donc rendus à sa petite fiesta. Une réussite. Ça grouillait de monde, les pinards étaient super, la bouffe «saveurs vraies». Et Juan avait élégamment paré au dilemme musical «je mets des tubes de ma jeunesse qui font vieux con ou je fais venir un DJ qui scratche une miouze que je déteste mais que je feins d’aimer?» en engageant un quintette tzigane kusturicesque qui jouait des choses balkaniques et tonitruantes.

Tout ça a dû me tourner la tête. Parce qu’il m’a fallu quatre verres de rouge pour remarquer que tous ceux qui étaient là avaient pris un sacré coup de vieux depuis la dernière fois où je les avais vus. Juan y compris. C’est à ce moment que le chéri a lâché à mon attention un discret mais irrévocable «T’inquiète pas, nous aussi!» 

4 octobre 2005

Le poids des héroïnes (2)

Je vous racontais la semaine dernière le faux-pas majeur et incompréhensible qu’avaient commis le scénariste de «Lost» et Dennis Lehane: sous-entendre que quelque part, leur irrésistible héroïne respective était irrésistible parce qu’elle taillait 34. C’était comme si le tube cathodique et les pages de <em>Ténèbres, prenez-moi par la main</em> m’avaient lâché en pleine poire «Hé la grosse, tu seras jamais comme elles!» Un sacré coup.

Mon moral avait cru reprendre du poil de la bête avec «Enough». Dans ce nanar, sur lequel j’étais tombée un soir de zapping, Jennifer Lopez joue le rôle d’une femme battue qui décide d’apprendre à boxer, histoire de casser la gueule à son salaud de mari. Le film est moyen, mais JLo-je-sors-mes-fesses y a une réplique délicieuse: elle dit qu’il lui faut une doublure qui «mesure 1m63 et pèse 62 kilos», comme elle. Ça, c’est du scénario! me suis-je dit avec enthousiasme. Enfin un truc crédible! Et pour me convaincre un peu plus, j’ai néantisé le fait que JLo a failli épouser Ben Affleck, que sa zique est atroce et j’ai décidé de regarder le film jusqu’au bout.

Tout ça, c’était avant que notre Latina calliphyge lâche un pet au visage d’une serveuse (authentique). Depuis, même en toute mauvaise foi, je ne peux plus me dire: «Les maigrichonnes, je m’en tamponne, moi, je suis comme Jennifer Lopez.» Alors j’ai recommencé à lire Lehane et je me repasse «Lost». En caressant l’espoir qu’un jour, peut-être, un auteur de génie imaginera une héroïne que sa troublante façon de dégainer les crackers rend totalement irrésistible.