12 septembre 2009

Aléas boutichambreurs - double-suite

I. Tsss...

Sean s’était juré que la Boutichambre serait en ligne début septembre. Et il a foiré. Mais c’est vraiment pas faute d'avoir essayé. En fait, tout le monde s’est ligué contre lui. Il y a d’abord eu ce clash avec Juan qui a voulu se débiner – alors qu’il avait promis de s’occuper du layout, le fumier! Une occasion pareille, geignait Juan, il pouvait pas laisser passer: cinq jours sans Isabel ni Marion, nom d’un chien! Sean devait comprendre! Et surtout ne pas prendre personnellement. Parce que Juan allait enfin pouvoir retourner rouler des mécaniques et se rincer l’œil à la plage sans aucune arrière-pensée culpabilisatrice... Il lui suffirait de prendre une voix compréhensive le soir, au téléphone, quand Isabel appellerait, effondrée, depuis Barcelone, parce que Marion ne faisait aucun progrès en espagnol et refusait de manger avec sa famille d’accueil sous prétexte que c'était «un environnement obèsogène»…

«Entre nous, a confié Juan à Sean, moi je dis que Marion a raison. On n’est jamais trop prudent avec le gras.» «Mmh, a fait Sean. En fait, tu sais, quoi? Je m’en fous un peu.» «Pardon?», a crachoté Juan en avalant sa bière de travers. «Oh, le prends pas personnellement, a dit Sean. Je suis mono-orienté opportunités commerciales, en ce moment.» «Bien sûr, a dit Juan. C’est un sacré pari: se mettre en indépendant... à ton âge... avec ton passé... tsss...». «Tsss..., a fait Sean. C’est un peu comme toi à la plage, hein? Personne peut dire si t’arriveras à donner le change juste en rentrant le bide, pas vrai?»

Et hop, exit le layout: Juan a pris superpersonnellement.



II. Tope-là!

Il ne restait donc plus que Lumi, mais Lumi avait entamé les vacances en se faisant du souci pour Mati au lieu de se concentrer sur les accessoires boutichambreurs. «Il en va de la Finlande et de Pisa, geignait-elle. C’est la cata, il assure pas en lecture!» «Mais il est aussi à moitié Américain», a relativisé Sean. «Justement!, s’est exclamée Lumi. Il faut prendre le mal à la racine. Remets-lui la caboche en place et je te t’aide pour la Boutichambre!»

Or Sean avait aussitôt trouvé la bonne méthode avec Mati: quinze balles par bouquin lu, vingt pour les très gros, tope-là! Lumi n’était au courant de rien, évidemment, et avait vu avec stupéfaction Mati se mettre soudain à engloutir des livres de plus en plus volumineux, refusant même d’aller se baigner pour pouvoir continuer à lire... Incroyable!

Sean se frottait les mains: il la tenait! Mais au lieu d’arriver la bouche en cœur, avec une liste d’accessoires boutichambreurs, Lumi a fait irruption jeudi dans son bureau en vociférant: «Tu l’as... acheté?» «De quoi tu parles?» «De ton fils!» «Je l’ai motivé, a corrigé Sean. Pourquoi tu t’énerves?» «Parce que Mati vient de s’acheter avec tes ronds la Playstation que j’avais refusé de lui offrir à son anniversaire!» Sean a réprimé un sourire empli de fierté: sacré Mati! «Si tu m’aides à finir la Boutichambre, je négocie l’usage de la PS avec lui», a-t-il dit. Lumi a longuement plissé les paupières. Mais Sean a su qu’il avait gagné. Quand elle a fait volte-face et s’est barrée en claquant la porte, c’était comme si elle lui avait dit: «Tope-là!»