Depuis des jours, le printemps morfle. Vraiment. L’hostilité est devenue carrément palpable: C’est quand que ça va enfin s’arrêter, ce temps pourave? On aimerait bien quitter nos impers! Et enfin pouvoir se mettre en t-shirt! Et enfin pouvoir faire des grillades! C’est le printemps le plus dégueu que j’aie jamais vu!
Que d’ingratitude, se dit le printemps en glissant mélancoliquement dans la fraîcheur de la bruine. D’abord ils geignent: Avril était beaucoup trop sec! Et pis la nappe phréatique! Et pis les grenouilles! Et pis y a plus d’saison! Alors je leur envoie la flotte et voilà qu’ils geignent de plus belle. Mais le printemps n’est pas rancunier pour une primevère. Il a fait sienne la philosophie abnégative de son ami Jésus («Pardonne-leur, car ils ne savent pas ce qu’ils font…»). Et puis, après tout, peut-être bien que l’humanité est vraiment prête pour un changement de météo, avec toutes les conséquences que ça implique. Allons faire le point!
Le printemps prend son élan et entre chez Anke. Anke se tient face à la glace, elle tente en vain de fermer son jeans et crie à Paolo qui est dans la salle de bain: «Je te hais! Comment tu as pu me laisser devenir comme ça sans rien dire? J’ai l’air d’une baleine blanche! Pire que Cora après la naissance de Victor!». Le printemps claque des doigts et fait jaillir Paolo de la salle de bain. Paolo plaque ses mains sur les hanches d’Anke et fait voluptueusement «Mmmh…» avant de lui souffler: «On s’en fout de ton jeans, il fait moche, on retourne au lit et on y reste tout le week-end…»
Le printemps ferme pudiquement les yeux et rejoint Chantal et Patrick dans le bus. «J’ai honte, confie Chantal à Patrick. Mais l’idée de devoir les encourager le long du parcours de cross sous cette pluie battante, c’est au-dessus de mes forces.» «Ah non, dit Patrick en fronçant sévèrement les sourcils. Tu peux pas leur faire ça! Ils se réjouissent tellement de jouer les héros dans la boue! Et puis c’est toi qui leur as seriné les bienfaits du grand air, par tous les temps!» «T’as raison, gémit Chantal, mais là, j’ai juste envie de cocooner en mangeant des chips.» «Bio, au moins?», tonne Patrick. «Bien sûr! Mais je me sens coupable et…» «Je crois que j’ai une idée», dit Patrick. Et le printemps entend distinctement sa prière muette («Pourvu qu'il continue de faire moche!»)
Alors le printemps quitte le bus et relance la minuterie flotte pour la fin de la journée, avant de débarquer une heure plus tard dans la chambre des jumeaux. Patrick est avec eux. «Et alors, qu’est-ce que tu lui as dit?», demande Louis, les yeux enfiévrés. «Qu’elle pouvait vous acheter des Nintendo DS pour que vous soyiez pas trop tristes», répond Patrick. «Et?» glapit Hugo, n’y tenant plus. «Elle a dit non. C’était pas négociable.» «J’en étais sûr», lâche Hugo, écoeuré. «Alors, enchaîne Patrick, je lui ai dit qu’elle pouvait vous acheter l’album Panini et la maxi-boîte de vignettes…» «Et?» glapit Louis, n’y tenant plus. «Tataaaa!», clame Patrick en tirant les deux trésors de son sac. Les jumeaux hurlent de joie. «Et ce qu’il y a de bien, leur glisse Patrick à voix basse, c’est que comme il va flotter tout le dimanche, vous avez les droit d’ouvrir quinze packsons chacun. J’ai dit à Maman que c’était le minimum pour vous occuper tout l’après-midi.»
Le printemps sourit. Et essore à fond deux méganuages pour se féliciter.
8 mai 2010
23 avril 2010
iDog
Leo, en train de raconter à son grand-père maternel: Donc quand Papa est rentré de Nouyork, il avait des ronds noirs autour des yeux. Maman a dit qu’il était djètelagué et que c’était pour ça qu’il parlait très très vite en disant des trucs que chkomprenais rien. J’me rappelle ki disait toujours aïepade ouaaah! aïepade incroyable! aïepade rébolutionnaire! et puis de nouveau aïepade ouaah! et Maman, ç’avait l’air de lui casser le pied...
Pour le protocole: Marc vénère Apple, Marc vénère Steve Jobs. Quand il veut faire forte impression, il porte les mêmes cols roulés noirs. Et lorsqu’il a su qu’il serait au nombre des premiers propriétaires d’iPad parce qu’il ferait tzak-tzak l’aller-retour vers New York le jour J, Marc a même décidé de se laisser pouser la barbe. Depuis son retour de Big Apple, Marc Apple-touch à tire-larigot. Tout le temps. Il ne quitte plus son iPad. Il dort même avec lui.
Leo: Et pis Maman, ça l’énerve et elle lui dit tout le temps que si y continue komsa, elle va l’appeler Stiv et que si y continue komsa ben elle, elle prendra César pour dormir…
Protocole: Marc va sur Youtube regarder tous ce que ses frères visionnaires ont téléchargé comme vidéos édifiantes mettant en scène la nouvelle révélation. Il tombe notamment sur les séquences qui montrent des chats en train de jouer sur l’iPad – tennis, keyboard, la ficelle virtuelle… Fantastique! Même le monde animal est passé dans la nouvelle dimension! Pour ricaner et prouver à Julie qu’en s'entichant de César le clébard, elle s’est entiché de l’animal le plus sot de la Création, il lui passe le clip qui montre un clébard «totalement dépassé» en train d’aboyer contre l’iPad.
Leo: Et ça, ben se moquer de César, ben il aurait pas dû, passke Maman, elle l’aime vachement, César, et elle déteste l’aïepade, alors…
Protocole: «Là, on a la preuve définitve que les chiens sont cons», dit Marc. «Ah ouais?», fait Julie en plissant les yeux d’un air mauvais. «Ouais», fait Marc en se lissant sa nouvelle barbe. «C’est ce qu’on va voir», siffle Julie, l’air encore plus mauvais qu’avant. Elle cherche le clébard des yeux et pointe à son attention le doigt vers la table de chevet où Marc vient de poser l’iPad…
Leo: Pis Maman elle a crié à César «Jeter en bas du balcon!» en montrant l’aïepade et ça, César, il sait vachement bien faire, même kil est super vite, il obéit toujours à Maman quand elle lui dit de jeter mes PoouèreMaïnerse en bas du balcon. Alors César a attrapé l’aïpade et il a couru vers le balcon…
Protocole: Marc, pétrifié, n’en croit pas ses yeux en voyant détaler le clébard avec son iPad dans la gueule. Il se rue sur le balcon et fouille la pénombre d’un regard affolé en contre-bas dans l'espoir d'apercevoir son trésor. En vain. La nuit est d’un noir insondable. Marc se précipite en pantoufles et en pyjama dans la cage d'escaliers pour aller voir.
Léo: Ha ha ha! Mais ski savait pas, Papa, c’est que Maman, elle fait ça pour rigoler! tout l'temps! Bon, n’empêche que la première fois qu’elle m’a fait le coup avec les PoouèreMaïnerse, moi aussi, je suis descendu en courant l’escalier et en pleurant dans la cour. Ha ha ha! Pépé, t’aurais dû voir sa tête, à Papa, quand il est remonté et qu'il était tout blanc et qu’il répétait: «Il a disparu... On me la volé… J'ai cherché partout…»! Ha ha! Qu'il est bête, Papa! Passke César, il sait trèèès bien qu’il doit planquer sous les coussins du banc du balcon ske Maman lui dit de jeter! Là, je crois plus que Papa, il osera redire que César il est con! Oui, Pépé, je sais, c'est un vilain mot...
Pour le protocole: Marc vénère Apple, Marc vénère Steve Jobs. Quand il veut faire forte impression, il porte les mêmes cols roulés noirs. Et lorsqu’il a su qu’il serait au nombre des premiers propriétaires d’iPad parce qu’il ferait tzak-tzak l’aller-retour vers New York le jour J, Marc a même décidé de se laisser pouser la barbe. Depuis son retour de Big Apple, Marc Apple-touch à tire-larigot. Tout le temps. Il ne quitte plus son iPad. Il dort même avec lui.
Leo: Et pis Maman, ça l’énerve et elle lui dit tout le temps que si y continue komsa, elle va l’appeler Stiv et que si y continue komsa ben elle, elle prendra César pour dormir…
Protocole: Marc va sur Youtube regarder tous ce que ses frères visionnaires ont téléchargé comme vidéos édifiantes mettant en scène la nouvelle révélation. Il tombe notamment sur les séquences qui montrent des chats en train de jouer sur l’iPad – tennis, keyboard, la ficelle virtuelle… Fantastique! Même le monde animal est passé dans la nouvelle dimension! Pour ricaner et prouver à Julie qu’en s'entichant de César le clébard, elle s’est entiché de l’animal le plus sot de la Création, il lui passe le clip qui montre un clébard «totalement dépassé» en train d’aboyer contre l’iPad.
Leo: Et ça, ben se moquer de César, ben il aurait pas dû, passke Maman, elle l’aime vachement, César, et elle déteste l’aïepade, alors…
Protocole: «Là, on a la preuve définitve que les chiens sont cons», dit Marc. «Ah ouais?», fait Julie en plissant les yeux d’un air mauvais. «Ouais», fait Marc en se lissant sa nouvelle barbe. «C’est ce qu’on va voir», siffle Julie, l’air encore plus mauvais qu’avant. Elle cherche le clébard des yeux et pointe à son attention le doigt vers la table de chevet où Marc vient de poser l’iPad…
Leo: Pis Maman elle a crié à César «Jeter en bas du balcon!» en montrant l’aïepade et ça, César, il sait vachement bien faire, même kil est super vite, il obéit toujours à Maman quand elle lui dit de jeter mes PoouèreMaïnerse en bas du balcon. Alors César a attrapé l’aïpade et il a couru vers le balcon…
Protocole: Marc, pétrifié, n’en croit pas ses yeux en voyant détaler le clébard avec son iPad dans la gueule. Il se rue sur le balcon et fouille la pénombre d’un regard affolé en contre-bas dans l'espoir d'apercevoir son trésor. En vain. La nuit est d’un noir insondable. Marc se précipite en pantoufles et en pyjama dans la cage d'escaliers pour aller voir.
Léo: Ha ha ha! Mais ski savait pas, Papa, c’est que Maman, elle fait ça pour rigoler! tout l'temps! Bon, n’empêche que la première fois qu’elle m’a fait le coup avec les PoouèreMaïnerse, moi aussi, je suis descendu en courant l’escalier et en pleurant dans la cour. Ha ha ha! Pépé, t’aurais dû voir sa tête, à Papa, quand il est remonté et qu'il était tout blanc et qu’il répétait: «Il a disparu... On me la volé… J'ai cherché partout…»! Ha ha! Qu'il est bête, Papa! Passke César, il sait trèèès bien qu’il doit planquer sous les coussins du banc du balcon ske Maman lui dit de jeter! Là, je crois plus que Papa, il osera redire que César il est con! Oui, Pépé, je sais, c'est un vilain mot...
3 avril 2010
C’est pas tes oignons
Au fil des révélations quasi quotidiennes de nouveaux cas de pédophilie qui défraient la chronique, Isabel ne cesse de se féliciter d’être sortie de l’Eglise catholique il y a quelques années – même si, paix à son âme, sa yaya qui vénérait Jean-Paul II comme Marion vénère Tokyo Hotel a dû se retourner plus d’une fois dans sa tombe en apprenant la nouvelle depuis l’au-delà. Mais Isabel n’est pas dupe: en mère avertie, elle sait bien que la menace qui plane sur les enfants est partout – à l’école, à la gym, au camp de ski... Alors plutôt que de céder à sa première impulsion et de rejoindre le groupe Facebook «Pendre les pédophiles par les couilles», Isabel a préféré se concentrer sur l’essentiel, le durable, quoi: rendre sa fille forte et lui montrer que Juan et elle prenaient ça très au sérieux. Marion a donc été sommée en dépit de ses protestations (elle voulait faire de la natation synchronisée), de commencer des cours de karaté.
Et Isabel a de son côté traîné Juan à une rencontre de parents qu’organisait un comité de quartier avec une certaine Silvia, «spécialisée dans la prévention des abus et des violences sur les mineurs». Dans son for intérieur, Isabel l’a trouvée formidable. Dans son for intérieur, Juan l’a trouvée «flic en camouflage anthroposophe», rapport à ses bijoux d’inspiration tellurique, mais surtout à l’épais questionnaire que Silvia a fait remplir aux paternels présents «pour faire honnêtement le point sur la relation père-enfants».
De retour à la maison, Juan a lâché ce qu’il avait sur le cœur: «Non mais qu’est-ce que c’est que ce bordel? Comme si ça la regardait que j’en colle une à Marion quand elle va à l’école avec le string qui dépasse! Alors que ça, je t’assure, c’est de la prévention!» «Marion n’a pas de string», lui a rappelé Isabel. «Mais ça ne saurait tarder, a rétorqué Juan en allant chercher le tire-bouchon. Et en père responsable, j’anticipe!»«Je vois pas ce qui te hérisse à ce point, l’a interrompu Isabel. Après tout, tu l’as rempli, ton questionnaire, et t’avais même l’air de trouver ça intéressant.» «C’est vrai, a admis Juan en lui servant un verre de rouge avec un sourire satisfait. Je me demande ce que ça va lui faire, au flic anthroposophe, de voir que j’ai répondu à toutes ses questions par ‘C’est pas tes oignons!’»
Et Isabel a de son côté traîné Juan à une rencontre de parents qu’organisait un comité de quartier avec une certaine Silvia, «spécialisée dans la prévention des abus et des violences sur les mineurs». Dans son for intérieur, Isabel l’a trouvée formidable. Dans son for intérieur, Juan l’a trouvée «flic en camouflage anthroposophe», rapport à ses bijoux d’inspiration tellurique, mais surtout à l’épais questionnaire que Silvia a fait remplir aux paternels présents «pour faire honnêtement le point sur la relation père-enfants».
De retour à la maison, Juan a lâché ce qu’il avait sur le cœur: «Non mais qu’est-ce que c’est que ce bordel? Comme si ça la regardait que j’en colle une à Marion quand elle va à l’école avec le string qui dépasse! Alors que ça, je t’assure, c’est de la prévention!» «Marion n’a pas de string», lui a rappelé Isabel. «Mais ça ne saurait tarder, a rétorqué Juan en allant chercher le tire-bouchon. Et en père responsable, j’anticipe!»«Je vois pas ce qui te hérisse à ce point, l’a interrompu Isabel. Après tout, tu l’as rempli, ton questionnaire, et t’avais même l’air de trouver ça intéressant.» «C’est vrai, a admis Juan en lui servant un verre de rouge avec un sourire satisfait. Je me demande ce que ça va lui faire, au flic anthroposophe, de voir que j’ai répondu à toutes ses questions par ‘C’est pas tes oignons!’»
20 mars 2010
When Your Chips Are Down...
«Et tu avais l’intention de m’en parler quand, de ce deal du siècle?», a grondé Lumi, hors d'elle, en se dirigeant vers le canapé, un saladier de chips à la main. «Dès que tout aurait été réglé», a répondu Sean, qui était déjà assis et occupé à décapsuler deux bières. «Mais est-ce que tu te rends compte de ce à quoi tu nous aurais exposés?» Lumi s’est affalée dans les coussins et a posé le saladier sur ses genoux.
«J’avais tout prévu, a assuré Sean en lui tendant une bouteille. Non seulement on aurait rétabli un peu de justice, mais en plus on aurait raflé assez pour plus avoir besoin de travailler. J’aurais enfin pu mettre mes skills à disposition de fondations humanitaires, par exemple et…» «Tu es barge!, l’a interrompu Lumi. Tu te serais retrouvé avec des dizaines de milliers de plaintes au fesses, on aurait dû disparaître et…» «Mais ç’aurait été excitant, non?», a fait Sean en lui décochant un clin d’œil et en tétant sa bière. Lumi s’est contentée de soupirer et d’enfourner des chips. «En plus, c’était parfaitement réaliste», a insisté Sean. «Comme quand tu avais déposé ta candidature sur Facebook pour devenir agent secret du MI6?» «J’avais réussi les premiers tests sur Internet, a protesté Sean. Tu me passes les chips, s'il te plaît?» Mais Lumi a poursuivi: «Tu voulais devenir agent secret du MI6...» Sean a senti venir le sarcasme et répété plus fort: « Tu me passes les chips?» «...alors que t’avais déjà dix ans de trop par rapport à l’âge limite de recrutement!» «Gary m’avait dit que ça pouvait s’arranger», s’est défendu Sean, en tendant ostentatoirement le bras vers les chips. Mais Lumi serrait toujours le saladier contre elle. «Gary est un débile!» «Passe-moi les chips, nom d’un chien!» «Tu mérites pas que je t’en donne!» «Ce sont autant mes chips que les tiennes!» Sean s’est jeté sur le saladier et l’a tiré à lui de toutes ses forces en faisant «Han!». Le saladier a fait un vol plané et s’est brisé sur le plancher dans une averse de chips.
«Bien joué!!», a braillé Sean hargneusement en se levant pour aller vers le placard à balais. «Excuse-moi, a dit Lumi. Mais ça me stresse, cette affaire de CD. Donc t’es vraiment sûr, là, que c’est fini pour de bon?» «Oui», a dit Sean en se rembrunissant et en commençant à balayer les chips. «Sûr de sûr?» «Ouiii!, a glapi Sean. Puisque je te dis qu’ils m’ont ri au nez et qu’ils m’ont pas cru quand je leur ai dit que j’avais des noms à leur vendre!»
«J’avais tout prévu, a assuré Sean en lui tendant une bouteille. Non seulement on aurait rétabli un peu de justice, mais en plus on aurait raflé assez pour plus avoir besoin de travailler. J’aurais enfin pu mettre mes skills à disposition de fondations humanitaires, par exemple et…» «Tu es barge!, l’a interrompu Lumi. Tu te serais retrouvé avec des dizaines de milliers de plaintes au fesses, on aurait dû disparaître et…» «Mais ç’aurait été excitant, non?», a fait Sean en lui décochant un clin d’œil et en tétant sa bière. Lumi s’est contentée de soupirer et d’enfourner des chips. «En plus, c’était parfaitement réaliste», a insisté Sean. «Comme quand tu avais déposé ta candidature sur Facebook pour devenir agent secret du MI6?» «J’avais réussi les premiers tests sur Internet, a protesté Sean. Tu me passes les chips, s'il te plaît?» Mais Lumi a poursuivi: «Tu voulais devenir agent secret du MI6...» Sean a senti venir le sarcasme et répété plus fort: « Tu me passes les chips?» «...alors que t’avais déjà dix ans de trop par rapport à l’âge limite de recrutement!» «Gary m’avait dit que ça pouvait s’arranger», s’est défendu Sean, en tendant ostentatoirement le bras vers les chips. Mais Lumi serrait toujours le saladier contre elle. «Gary est un débile!» «Passe-moi les chips, nom d’un chien!» «Tu mérites pas que je t’en donne!» «Ce sont autant mes chips que les tiennes!» Sean s’est jeté sur le saladier et l’a tiré à lui de toutes ses forces en faisant «Han!». Le saladier a fait un vol plané et s’est brisé sur le plancher dans une averse de chips.
«Bien joué!!», a braillé Sean hargneusement en se levant pour aller vers le placard à balais. «Excuse-moi, a dit Lumi. Mais ça me stresse, cette affaire de CD. Donc t’es vraiment sûr, là, que c’est fini pour de bon?» «Oui», a dit Sean en se rembrunissant et en commençant à balayer les chips. «Sûr de sûr?» «Ouiii!, a glapi Sean. Puisque je te dis qu’ils m’ont ri au nez et qu’ils m’ont pas cru quand je leur ai dit que j’avais des noms à leur vendre!»
6 mars 2010
La belle, le vampire et le repentant
Sean a ramené des Etats-Unis la dernière saison de True Blood, sa nouvelle série fétiche. Il raffole de ses vampires et de son atmosphère très moiteurs du Sud, chargée de crime, d’alcool et de sexe… Et puis, il y a l’exquise Sookie qui vit la grande passion avec Bill le vampire: Sean ne se lasse pas de sa queue de cheval, de ses délicates rondeurs et de ses petites robes à volants. Mais depuis qu’il regarde cette nouvelle saison, Sean a accédé à une dimension supérieure. Il a enfin réussi à mettre un nom sur ce truc confus qui l’avait toujours troublé chez Sookie: l’intégrité. Cet émouvant sens du bien et du mal qui s’exprime quand elle remonte les bretelles de son incapable de frangin, mais surtout quand elle se dresse pour défendre son amant de vampire contre tous ceux qui lui cherchent des crosses: l’humanité (veule, pochtrone, pourrie de préjugés) qui le hait, les dopés qui veulent lui piquer son sang pour planer, la clique de vampires very bad qui refusent de lui lâcher la bride pour qu’il puisse enfin mordre Sookie comme il l’entend…
Au fil de ses réflexions, Sean a aussi réalisé qu’il avait franchi une étape décisive dans le développement de lui-même. A l’époque où il spéculait jusqu’au vertige pour ses clients, l’intégrité, c’était un machin informe qui suintait la faiblesse et faisait fuir le bonus. Alors que maintenant, tout lui apparaît si différent: il comprend que les vrais gagnants seront ceux qui miseront sur l’intégrité. Après la grosse fiesta, c’est la gueule de bois: le monde a soif d’un double Alka Seltzer qui effervesce la justice et la probité. Le fric facile, l’adrénaline des risques de bas étage, terminés. Le monde appartient à ceux qui mouillent leur chemise pour le bien.
Sean met True Blood sur pause. L’image se fige sur un gros plan de Sookie qui fronce les sourcils et ouvre les lèvres d’un air de défi. Il n’en fallait pas plus pour le galvaniser. Il va vers son coffre et fixe le CD qui miroite au fond. Il est temps qu’il appelle son contact au gouvernement allemand pour allécher Angela avec un nouveau packson d’évadés fiscaux.
Au fil de ses réflexions, Sean a aussi réalisé qu’il avait franchi une étape décisive dans le développement de lui-même. A l’époque où il spéculait jusqu’au vertige pour ses clients, l’intégrité, c’était un machin informe qui suintait la faiblesse et faisait fuir le bonus. Alors que maintenant, tout lui apparaît si différent: il comprend que les vrais gagnants seront ceux qui miseront sur l’intégrité. Après la grosse fiesta, c’est la gueule de bois: le monde a soif d’un double Alka Seltzer qui effervesce la justice et la probité. Le fric facile, l’adrénaline des risques de bas étage, terminés. Le monde appartient à ceux qui mouillent leur chemise pour le bien.
Sean met True Blood sur pause. L’image se fige sur un gros plan de Sookie qui fronce les sourcils et ouvre les lèvres d’un air de défi. Il n’en fallait pas plus pour le galvaniser. Il va vers son coffre et fixe le CD qui miroite au fond. Il est temps qu’il appelle son contact au gouvernement allemand pour allécher Angela avec un nouveau packson d’évadés fiscaux.
20 février 2010
La barbe molle et le schuss
Chaque année, Juan déteste l’hiver un peu plus. Parce que cette saison lui rappelle avec une cruautée consommée que la vie s’écoule toujours plus vite autour de lui. Que sa démarche sur le verglas s’apparente toujours davantage à celle d’un pépé. Qu’il devient vieux. Inexorablement. Et ça, c’est horrible.
Juan en a eu avant-hier la preuve définitive, lorsqu’il a croisé le regard empli de commisération que Marion a dardé sur lui à travers ses lunettes alpines, alors qu’il fonçait dans le schuss aussi vite que Lindsey Vonn (merde, lui aussi, il porte des lattes de mec!): pour sa fille, il avait basculé du côté des débris pathétiques, elle lui préférerait à tout jamais les clones de Shaun White qui hantent les half-pipe, barbe molle sous le casque et froc à ras-le-cul.
Pour se remonter le moral, Juan a donc proposé hier à Tonio, le cousin catalan d’Isabel qui passe les vacances avec eux, «un ski-day entre hommes». Comme Tonio skie vachement mal, à côté de lui, Juan se sent spectaculaire et viril comme Bode Miller. De plus, Tonio a inventé l’excellente tradition du vin chaud de la presque dernière descente à 13h20 – ce qui laisse le temps d’en écluser encore une dizaine avant la vraie dernière de 16h15. Rien de tel pour se refaire une santé.
Ils en étaient au cinquième quand Tonio lui a montré en pleurant de rire les photos qu’il avait téléchargées l’an dernier sur son téléphone et qui montraient un mec suspendu au télésiège la tête en bas par ses skis, déculotté jusqu’aux mollets, ses fesses (poilues? c’était dur à dire avec cette résolution…) à l’air. Apparemment, lui a raconté Tonio, c’était arrivé dans le Colorado. Le gars avait voulu prendre le télésiège, mais il manquait la banquette, si bien qu’il avait basculé dans le trou tandis que le télésiège l’emportait, la tête en bas, tenu rien que par ses skis. Les fixations avaient tenu bon, mais son pantalon et son slibard étaient restés coincés en haut, d'où la derche-exhibition. «T’imagines?, a fait Tonio en commandant le sixième vin chaud. La zique à l’air par moins sept pendant douze minutes?» Juan en a frissonné d’épouvante.
Est-ce que c’était la faute du vin? Du pouvoir subliminal de l’image? C’était dur à dire avec cette gueule de bois. Mais ce matin, dans la file d’attente, Juan s’est senti paralysé, incapable de monter sur le télésiège. La mort dans l’âme, il a fait demi-tour. Regardé Marion s’éloigner avec Shaun White. Et il aurait sombré à tout jamais s'il n'avait pas distinctement entendu Lindsey et Bode lui murmurer à l’oreille: «T’inquiète, on lui fera bouffer sa barbe molle dans le schuss.»
Juan en a eu avant-hier la preuve définitive, lorsqu’il a croisé le regard empli de commisération que Marion a dardé sur lui à travers ses lunettes alpines, alors qu’il fonçait dans le schuss aussi vite que Lindsey Vonn (merde, lui aussi, il porte des lattes de mec!): pour sa fille, il avait basculé du côté des débris pathétiques, elle lui préférerait à tout jamais les clones de Shaun White qui hantent les half-pipe, barbe molle sous le casque et froc à ras-le-cul.
Pour se remonter le moral, Juan a donc proposé hier à Tonio, le cousin catalan d’Isabel qui passe les vacances avec eux, «un ski-day entre hommes». Comme Tonio skie vachement mal, à côté de lui, Juan se sent spectaculaire et viril comme Bode Miller. De plus, Tonio a inventé l’excellente tradition du vin chaud de la presque dernière descente à 13h20 – ce qui laisse le temps d’en écluser encore une dizaine avant la vraie dernière de 16h15. Rien de tel pour se refaire une santé.
Ils en étaient au cinquième quand Tonio lui a montré en pleurant de rire les photos qu’il avait téléchargées l’an dernier sur son téléphone et qui montraient un mec suspendu au télésiège la tête en bas par ses skis, déculotté jusqu’aux mollets, ses fesses (poilues? c’était dur à dire avec cette résolution…) à l’air. Apparemment, lui a raconté Tonio, c’était arrivé dans le Colorado. Le gars avait voulu prendre le télésiège, mais il manquait la banquette, si bien qu’il avait basculé dans le trou tandis que le télésiège l’emportait, la tête en bas, tenu rien que par ses skis. Les fixations avaient tenu bon, mais son pantalon et son slibard étaient restés coincés en haut, d'où la derche-exhibition. «T’imagines?, a fait Tonio en commandant le sixième vin chaud. La zique à l’air par moins sept pendant douze minutes?» Juan en a frissonné d’épouvante.
Est-ce que c’était la faute du vin? Du pouvoir subliminal de l’image? C’était dur à dire avec cette gueule de bois. Mais ce matin, dans la file d’attente, Juan s’est senti paralysé, incapable de monter sur le télésiège. La mort dans l’âme, il a fait demi-tour. Regardé Marion s’éloigner avec Shaun White. Et il aurait sombré à tout jamais s'il n'avait pas distinctement entendu Lindsey et Bode lui murmurer à l’oreille: «T’inquiète, on lui fera bouffer sa barbe molle dans le schuss.»
6 février 2010
Fond sonore à 18 degrés
Chantal a été tellement émue par le rabibochage ankepaolique qu’elle n’en revient toujours pas. «Tu te rends compte?», a-t-elle dit à Patrick l’autre soir, pour la millième fois, alors que Patrick se brossait les dents en caleçons longs super isolants – rapport à la température glaciale qui règne dans leur apparte parce que Chantal refuse de monter le chauffage au-delà de 18 degrés. Bruits de Patrick qui a broborygmé une réponse incompréhensible pleine de dentifrice végétal riche en huiles essentielles. «Qu’est-ce que tu dis?» a demandé Chantal depuis la chambre à coucher.
Mais Patrick n'a pas eu besoin de répéter: Louis et Hugo ont fait irruption dans la pièce à cet instant et se sont aussitôt jetés sous les couvertures du plumard – rapport aux glacials 18 degrés. Chantal adore quand ils surgissent comme ça, sans crier gare, avec leurs petites laines péruviennes par-dessus leur pyjama! Elle est donc allée se pelotonner contre eux. Et les jumeaux se sont aussitôt mis à geindre. «Anke, elle est pas venue UNE SEULE FOIS me faire les énergies depuis Nouvel An», s’est plaint Hugo – il arrive qu’Anke vienne «rééquilibrer le chi» à Hugo quand Chantal trouve qu’il flatule plus que de raison. «Je comprends, mon chéri», a dit Chantal d’un ton compréhensif. «Et Paolo, il m’avait PROMIS avant Noël qu’on jouerait au Wii, a enchaîné Louis, et je l’ai déjà téléphoné TROIS fois et il répond JAMAIS et il a TOUJOURS son retondeur automatique et…» «Son répondeur», a rectifié Chantal «C’est bien skejdis, a répliqué Louis. Son re-ton-deur.» Bruits de Patrick qui s'enduisait maintenant énergiquement les gencives de gel gingival à la sauge.
«Pourquoi c’est comme ça, maman, hein?», a demandé Hugo. «Eh bien… c’est parce que Paolo et Anke s’aiment de nouveau très fort, a répondu Chantal. Ils ont besoin de passer du temps ensemble.» «Et y font quoi, ensemble, hein?» Bruit de Chantal qui s’est éclairci la gorge. «Eh bien, tu vois, quand une femme… et un homme…» «Pfffh, l’a interrompu Louis, tout en déception. Alors ça y est. Alors c’est vraiment comme papa y dit.» «Qu’est-ce qu’il dit, papa?» a demandé Chantal, pleine d’espoir – Patrick avait-il eu la merveilleuse idée d’empoigner avant elle le délicat chapitre de l’éducation sexuelle? Comme elle l’aimait! Bruit de Patrick qui a craché son gel et rincé le lavabo – pas trop, pour ne pas gaspiller l’eau.
«Ben papa, y dit que maintenant, c’est Paolo qui nénergétise le chi d'Anke et que c’est Anke qui tient le djoïstik», a répondu Hugo. Bruits de Patrick qui s’est gargarisé avec le bain de bouche à la myrrhe. Longuement. Trèèès longuement.
Mais Patrick n'a pas eu besoin de répéter: Louis et Hugo ont fait irruption dans la pièce à cet instant et se sont aussitôt jetés sous les couvertures du plumard – rapport aux glacials 18 degrés. Chantal adore quand ils surgissent comme ça, sans crier gare, avec leurs petites laines péruviennes par-dessus leur pyjama! Elle est donc allée se pelotonner contre eux. Et les jumeaux se sont aussitôt mis à geindre. «Anke, elle est pas venue UNE SEULE FOIS me faire les énergies depuis Nouvel An», s’est plaint Hugo – il arrive qu’Anke vienne «rééquilibrer le chi» à Hugo quand Chantal trouve qu’il flatule plus que de raison. «Je comprends, mon chéri», a dit Chantal d’un ton compréhensif. «Et Paolo, il m’avait PROMIS avant Noël qu’on jouerait au Wii, a enchaîné Louis, et je l’ai déjà téléphoné TROIS fois et il répond JAMAIS et il a TOUJOURS son retondeur automatique et…» «Son répondeur», a rectifié Chantal «C’est bien skejdis, a répliqué Louis. Son re-ton-deur.» Bruits de Patrick qui s'enduisait maintenant énergiquement les gencives de gel gingival à la sauge.
«Pourquoi c’est comme ça, maman, hein?», a demandé Hugo. «Eh bien… c’est parce que Paolo et Anke s’aiment de nouveau très fort, a répondu Chantal. Ils ont besoin de passer du temps ensemble.» «Et y font quoi, ensemble, hein?» Bruit de Chantal qui s’est éclairci la gorge. «Eh bien, tu vois, quand une femme… et un homme…» «Pfffh, l’a interrompu Louis, tout en déception. Alors ça y est. Alors c’est vraiment comme papa y dit.» «Qu’est-ce qu’il dit, papa?» a demandé Chantal, pleine d’espoir – Patrick avait-il eu la merveilleuse idée d’empoigner avant elle le délicat chapitre de l’éducation sexuelle? Comme elle l’aimait! Bruit de Patrick qui a craché son gel et rincé le lavabo – pas trop, pour ne pas gaspiller l’eau.
«Ben papa, y dit que maintenant, c’est Paolo qui nénergétise le chi d'Anke et que c’est Anke qui tient le djoïstik», a répondu Hugo. Bruits de Patrick qui s’est gargarisé avec le bain de bouche à la myrrhe. Longuement. Trèèès longuement.
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