On était le 1er janvier et Paolo sentait la sueur lui perler sur le front au fur et à mesure qu’il avançait dans la file au contrôle de sécurité de l’aéroport moscovite de Cherementievo. C’était une catastrophe! Et dire que tout ça, c’était de la faute de ce crétin de Nigérian qui voulait se taper des vierges au Paradis en faisant péter cet avion! Sans lui, Paolo n’aurait jamais été la proie de cette épouvantable angoisse, il aurait passé le contrôle de sécurité sans se poser de question. Mais là!
La nouvelle de l’attentat manqué sur Detroit, Paolo l’avait happée lors du séjour à Moscou qu'il s'était organisé sous prétexte de congrès pour retrouver la prodigieuse et délicieuse Irina, brillante PhD aux jambes irréellement longues qu'il avait rencontrée dans le cadre d'un autre congrès. Avec elle, il avait passé douze jours follement indescriptibles. Et c’était d’ailleurs entre deux machins follement indescriptibles et deux toasts vodka-concombre qu’Irina et lui avaient évoqué les fameux full body scanners et-que-je-te-mette-à-pélos qu’Obama voulait voir pousser dans tous les aéroports. Irina lui avait dit: «Chez nous, ça fait des mois qu’ils sont en service!» «Ah bon?», s’était étonné Paolo. Et puis il avait oublié cette discussion avec force baisouille et vodka. Et puis encore après, le moment était venu pour lui de cuver sa Saint-Sylvestre moscovite et de rentrer.
Le problème, c’était qu’entre-temps, Irina lui avait fait… ce fameux truc. Ce truc incroyable, extatique, indicible, supersonique, hyper russe, quoi. Mais qui avait indubitablement laissé des traces, Paolo le sentait bien au fond de son slip. Et c’était là, dans la file, alors qu’il s’était laissé allé au souvenir doloro-délice du fameux truc, qu’il s’était souvenu que ces Russes de ses noix, le scanner-et-que-je-te-mette-à-pélos, il l’avaient déjà! Donc, ça allait… se voir?! Seigneur! Paolo s’est discrètement épongé le front. Il fallait qu’il ait l’air souverain du chercheur de pointe. S’il continuait de suer, il allait passer pour un terroriste et là, ce serait pire, parce qu’il y aurait la fouille corporelle et… Paolo sentait le dard de l’impuissance lui labourer l’âme. Il imaginait déjà la grosse <em>security woman</em> en uniforme se pencher d’un air perplexe sur l’image livrée par le scanner, incliner la tête en fronçant les sourcils pour tenter de comprendre, d'interpréter cette… Oh mon Dieu! Plus que trois personnes avant lui… Plus que deux… Plus que…
Paolo s’est redressé d’un coup sur son séant en hurlant «Noooon!» Puis il a regardé en tremblant autour de lui, avant de comprendre enfin: il n’était pas à Moscou! Il n’avait pas fait le… truc avec Irina! Il était dans son lit! Tout simplement! Il avait juste bu comme un trou le 31, il avait juste un peu mal au crâne! C’était merveilleux!
«Ça va?» a demandé tout à coup une voix ensommeillée à côté de lui. Paolo a cru que le ciel lui tombait sur la tête: à sa gauche, dans le plumard, il y avait… Anke. ANKE?!?! C’était tellement incroyable que Paolo a posé carrément la mauvaise question: «Mais qu’est-ce que tu fous ici, toi?»
9 janvier 2010
18 décembre 2009
Aléas boutichambreurs - suite et fin
Bon, évidemment, en terme de planification commerciale, le fait que l’inauguration de la Boutichambre n’ait lieu qu’aujourd’hui est un désastre. Faut dire les choses comme elles sont, Sean n’est pas du genre à se voiler la face. Toutes les commandes passées arriveront en retard pour Noël. Il est six heures du matin et Sean scrute le noir de l’aube en récapitulant les portes de sortie qui lui restent.
Tout reporter à l’année prochaine ? No way. Essayer de convaincre les gens de ne pas offrir à Noël mais à Nouvel an seulement ? Même pour un as comme Sean, c'est mission impossible. Sean soupire et se sert de café. Face à lui, le petit matin d’hiver est plus noir que jamais. A moins que… Et s’il ciblait la clientèle orthodoxe qui fête Noël le 6 janvier? Sean sent l’intuition géniale lui chatouiller le bide et le mince trait rose de l’espoir venir ourler la nuit. Il porte son mug à ses lèvres et se concentre. Mais bien sûr! Pourquoi est-ce qu’il n’y a pas pensé avant? Il suffirait juste de tout faire traduire! En quoi d’ailleurs? Sean énumère: en russe, en bulgare, en grec, en serbe, en macédonien, en monténégrin, en roumain, en arménien, en géorgien, en abkhaze… Sean cesse de compter quand il n’a plus de doigts et sent le découragement l’envahir sous forme d’une multitude de mais. C’est que ça en fait des langues et des alphabets zarbes. N’empêche, contre-attaque Sean avec l’énergie du mec-qui-se-laisse-pas-abattre-comme-ça, ce serait sacrément novateur. A mort, même. Genre marché de niche et lui, Sean, serait le pionnier qui aurait saisi le potentiel avant tout le monde! Mais les mais reprennent le dessus. Comment on dit mégablurb en arménien? Et jediroomeur en bulgare? Est-ce qu’on réussirait à rendre dans toute leur subtilité les retorses «Questions pour un Chambreur» en roumain? Est-ce que Spreadshirt accepterait les postscipts pour l’alphabet géorgien?
Vaincu, Sean se rend à l’évidence: ça sent les combines à de nouveau rater l’échéance, même au 6 janvier. Le trait rose s’est fait rebouffer par la nuit. Philosophe, Sean pioche dans la boîte à biscuits un pipparkaku que les enfants ont fait l’autre jour au club finlandais où Lumi les abandonne tous les mercredis après-midi. Il le trempe dans son café et prend une grande résolution en scrutant le noir de l'aube par la vitre: dès janvier, il cherche du boulot. C’est trop dur d’être son propre chef.
Tout reporter à l’année prochaine ? No way. Essayer de convaincre les gens de ne pas offrir à Noël mais à Nouvel an seulement ? Même pour un as comme Sean, c'est mission impossible. Sean soupire et se sert de café. Face à lui, le petit matin d’hiver est plus noir que jamais. A moins que… Et s’il ciblait la clientèle orthodoxe qui fête Noël le 6 janvier? Sean sent l’intuition géniale lui chatouiller le bide et le mince trait rose de l’espoir venir ourler la nuit. Il porte son mug à ses lèvres et se concentre. Mais bien sûr! Pourquoi est-ce qu’il n’y a pas pensé avant? Il suffirait juste de tout faire traduire! En quoi d’ailleurs? Sean énumère: en russe, en bulgare, en grec, en serbe, en macédonien, en monténégrin, en roumain, en arménien, en géorgien, en abkhaze… Sean cesse de compter quand il n’a plus de doigts et sent le découragement l’envahir sous forme d’une multitude de mais. C’est que ça en fait des langues et des alphabets zarbes. N’empêche, contre-attaque Sean avec l’énergie du mec-qui-se-laisse-pas-abattre-comme-ça, ce serait sacrément novateur. A mort, même. Genre marché de niche et lui, Sean, serait le pionnier qui aurait saisi le potentiel avant tout le monde! Mais les mais reprennent le dessus. Comment on dit mégablurb en arménien? Et jediroomeur en bulgare? Est-ce qu’on réussirait à rendre dans toute leur subtilité les retorses «Questions pour un Chambreur» en roumain? Est-ce que Spreadshirt accepterait les postscipts pour l’alphabet géorgien?
Vaincu, Sean se rend à l’évidence: ça sent les combines à de nouveau rater l’échéance, même au 6 janvier. Le trait rose s’est fait rebouffer par la nuit. Philosophe, Sean pioche dans la boîte à biscuits un pipparkaku que les enfants ont fait l’autre jour au club finlandais où Lumi les abandonne tous les mercredis après-midi. Il le trempe dans son café et prend une grande résolution en scrutant le noir de l'aube par la vitre: dès janvier, il cherche du boulot. C’est trop dur d’être son propre chef.
5 décembre 2009
INT/NUIT Chambre à coucher d’enfants.
La scène représente deux garçons de 9 et 7 ans (J et K) cachés sous une couverture avec une lampe de poche et absorbés dans un conciliabule autour d’un sac de cochonneries en gomme acidulée.
J: Tu me files une langue de chat? K lui tend une langue de chat, J mastique longuement J: Bon alors, qu’est-ce qu’on leur dit? K: Qu’on y croit plus. On n’est plus des p'tits. Y a que les p'tits qui croient au saint Nicolas. J: Ouais, mais je veux dire, si on leur dit, ben on n’aura plus de cadeaux. K: Tu crois? Mais y vont quand même nous filer un homme de pâte, ou bien? J: Pas sûr… K (outré): Nooon...! J: Ben je veux dire peut-être qu’y diront ben pisske vous y croyez plus, ben on fête plus saint Nicolas et donc plus d’homme de pâte. Rien que des mandarines. K: Ah nooon!!! C’est vraiment pas juste! J: Ouais. En fait, on est puni passkon est grand. K: Passke je veux dire y a que les bébés et les vachement p’tits comme les p’tits à l’école enfantine qui croient que le saint Nicolas y peut venir avec son âne. Je veux dire, il a jamais le temps de faire tous ces mille kilomètres en une nuit… J: Tous ces mille millions de kilomètres!! K: Ouais, mille millions! J: Pis l’âne, je veux dire, c’est pas possible dans la cage d’escaliers! K: Ben nooon! J: N’empêche, un âne, ça grimpe super bien. K: Skia, c’est que j’ai vachement envie d’un Power Miner... J: C’est trop gros, t’as aucune chance, même si tu dis que tu crois au saint Nicolas. K: Alors un Space Police? J: Trop gros… K: Alors un Mars Mission? J: Même pas sûr… K: Alors on leur dit qu’on n'y croit plus. J: Tu crois? K: Ben ouais, à moins d’un Mars Mission, ça vaut pas le coup. J: T’as raison. On n'y croit plus. K: Il reste des langues de chat?
La scène représente deux garçons de 9 et 7 ans (J et K) cachés sous une couverture avec une lampe de poche et absorbés dans un conciliabule autour d’un sac de cochonneries en gomme acidulée.
J: Tu me files une langue de chat? K lui tend une langue de chat, J mastique longuement J: Bon alors, qu’est-ce qu’on leur dit? K: Qu’on y croit plus. On n’est plus des p'tits. Y a que les p'tits qui croient au saint Nicolas. J: Ouais, mais je veux dire, si on leur dit, ben on n’aura plus de cadeaux. K: Tu crois? Mais y vont quand même nous filer un homme de pâte, ou bien? J: Pas sûr… K (outré): Nooon...! J: Ben je veux dire peut-être qu’y diront ben pisske vous y croyez plus, ben on fête plus saint Nicolas et donc plus d’homme de pâte. Rien que des mandarines. K: Ah nooon!!! C’est vraiment pas juste! J: Ouais. En fait, on est puni passkon est grand. K: Passke je veux dire y a que les bébés et les vachement p’tits comme les p’tits à l’école enfantine qui croient que le saint Nicolas y peut venir avec son âne. Je veux dire, il a jamais le temps de faire tous ces mille kilomètres en une nuit… J: Tous ces mille millions de kilomètres!! K: Ouais, mille millions! J: Pis l’âne, je veux dire, c’est pas possible dans la cage d’escaliers! K: Ben nooon! J: N’empêche, un âne, ça grimpe super bien. K: Skia, c’est que j’ai vachement envie d’un Power Miner... J: C’est trop gros, t’as aucune chance, même si tu dis que tu crois au saint Nicolas. K: Alors un Space Police? J: Trop gros… K: Alors un Mars Mission? J: Même pas sûr… K: Alors on leur dit qu’on n'y croit plus. J: Tu crois? K: Ben ouais, à moins d’un Mars Mission, ça vaut pas le coup. J: T’as raison. On n'y croit plus. K: Il reste des langues de chat?
21 novembre 2009
Les poux de la colère
Cora aurait pu le gifler. «Sa mère vous l’a pas dit?» Non, elle l’avait pas dit. Ni en déposant la petite Noemi vendredi, ni en la récupérant dimanche soir. Et là, voilà que la papa de la petite Noemi lui annonçait ça, à la soirée de parents, entre les gobelets d’eau gazeuse et les mandoches: Noemi avait des poux, enfin, avait eu, elle était entre deux phases de traitement. Horrifiée, Cora revoyait Tessa et Noemi en train de pouffer sous la même couverture... Tessa et Noemi en train de regarder la télé blottie l’une contre l’autre sur le canapé... Tessa et Noemi roupillant sur le même matelas... Et Cora trouvant ça si mignon... Quelle saucisse!!!
A peine la soirée de parents terminée, Cora a couru à la pharmacie de service, exigé une «arme de destruction massive», foncé à la maison, chopé Tessa, lu à toute vitesse le mode d’emploi tout en mouillant les tifs de sa fille et découvert par la même occasion tout ce qu’il lui resterait à faire une fois qu’elle l’aurait huilée de paraffine asphyxiante et passée à la peignette: laver «l’ensemble du linge de maison» (Tessa et Noemi s’étaient roulées sur <em>tous </em>les lits) et «placer au congélateur» quarante kilos d’animaux en peluche, de doudous, de coussins pour cryogéner les parasites... Trois heures plus tard, Cora avait terminé son opération atomique et se récompensait en enfournant des poignées de chips, assez contente d’elle, somme toute: elle avait bien réagi, elle avait été systématique, elle avait été vachement à la hauteur, elle était une sacrée nana.
Le lendemain, Cora a raconté ses démêlées pouilleuses à Anke et Anke lui a dit: «Tu peux vider le congélo, ça sert à rien, les poux peuvent pas survivre sur les tissus.» «Tu rigoles?» «Non, y a des études qui ont montré que c’était un mythe. On a dû te filer un produit avec un mode d’emploi périmé.» Cora aurait pu la gifler. Mais elle est restée forte, une sacrée nana, vachement à la hauteur. Et sitôt rentrée chez elle, elle s'est récompensée en enfournant tout un paquet de chips. Familial, s'entend.
A peine la soirée de parents terminée, Cora a couru à la pharmacie de service, exigé une «arme de destruction massive», foncé à la maison, chopé Tessa, lu à toute vitesse le mode d’emploi tout en mouillant les tifs de sa fille et découvert par la même occasion tout ce qu’il lui resterait à faire une fois qu’elle l’aurait huilée de paraffine asphyxiante et passée à la peignette: laver «l’ensemble du linge de maison» (Tessa et Noemi s’étaient roulées sur <em>tous </em>les lits) et «placer au congélateur» quarante kilos d’animaux en peluche, de doudous, de coussins pour cryogéner les parasites... Trois heures plus tard, Cora avait terminé son opération atomique et se récompensait en enfournant des poignées de chips, assez contente d’elle, somme toute: elle avait bien réagi, elle avait été systématique, elle avait été vachement à la hauteur, elle était une sacrée nana.
Le lendemain, Cora a raconté ses démêlées pouilleuses à Anke et Anke lui a dit: «Tu peux vider le congélo, ça sert à rien, les poux peuvent pas survivre sur les tissus.» «Tu rigoles?» «Non, y a des études qui ont montré que c’était un mythe. On a dû te filer un produit avec un mode d’emploi périmé.» Cora aurait pu la gifler. Mais elle est restée forte, une sacrée nana, vachement à la hauteur. Et sitôt rentrée chez elle, elle s'est récompensée en enfournant tout un paquet de chips. Familial, s'entend.
7 novembre 2009
Halloween et le yeti
Samedi dernier, c’était Halloween et pour Chantal, cette date est le symbole du supplice absolu. D’abord, «parce que ça nous a été imposé par les Américains et leur mentalité mercantile»: les maquillages hideux, les hordes de gosses armées de sacs qui sonnent à sa porte et font la moue quand elle leur donne des friandises en pâte de fruit 100% naturelle. En plus, depuis que Chantal ne peut plus les enclaver dans un univers barbelé de feutrine faite à la main et de touchants bricolages de feuilles mortes, Hugo et Louis la tannent chaque année pour «faire Halloween comme les copains». Mais surtout, Chantal hait Halloween parce les sourires sardoniques des courges lui rappellent le film «About a Boy»: un nanar facile et commercial, estime Chantal. Mais qui l’a quand même marquée à cause de cette mère cinglée qui fait de son fils un paria mobbé parce qu’elle s’accroche à ses convictions new age et macrobiotiques. Bon, il faut dire que Patrick contribue de manière sadique et systématique à cette association: chaque fois qu’elle s’élève contre Halloween, il lui dit «T’as mis ta veste de yeti, là?», en allusion à la veste hirsute que la mère cinglée porte dans le film. Halloween l’immerge donc chaque fois dans un dilemme atroce: doit-elle mener envers et contre son combat contre le conformisme impérialiste, au risque de faire de ses enfants des Marcus? Ou céder?
Elle a bien tenté une échappatoire: «On devrait leur montrer que les Américains nous ont spoliés de notre fête des morts», a-t-elle suggéré à Patrick. «La Toussaint?» «Mais oui!» «T’as jamais fêté la Toussaint.» «Peu importe!» «Donc au lieu de les laisser s’éclater avec leurs copains, tu veux les emmener au cimetière mettre de la bruyères sur des tombes?» Chantal sentait plus que jamais les poils de yeti et des larmes de désespoir lui piquer les yeux. Alors Patrick a eu pitié d’elle. Il l’a prise dans ses bras et lui a demandé: «Si je trouve une solution culturelle, tu viens avec moi voir ‘Star Trek’? Il repasse le soir du 31.» Chantal a frissonné de dégoût, mais elle n’avait pas le choix, elle a dit oui.
«Où sont les enfants?», a-t-elle demandé le 31 au soir en rentrant du yoga. «Ils fêtent Halloween aux Etats-Unis», a répondu Patrick. Chantal l’a regardé sans comprendre. «Ils sont chez Sean, a précisé Patrick. Pour la monstre Halloween-party des expats américains. T’es prête? On va au ciné?»
Elle a bien tenté une échappatoire: «On devrait leur montrer que les Américains nous ont spoliés de notre fête des morts», a-t-elle suggéré à Patrick. «La Toussaint?» «Mais oui!» «T’as jamais fêté la Toussaint.» «Peu importe!» «Donc au lieu de les laisser s’éclater avec leurs copains, tu veux les emmener au cimetière mettre de la bruyères sur des tombes?» Chantal sentait plus que jamais les poils de yeti et des larmes de désespoir lui piquer les yeux. Alors Patrick a eu pitié d’elle. Il l’a prise dans ses bras et lui a demandé: «Si je trouve une solution culturelle, tu viens avec moi voir ‘Star Trek’? Il repasse le soir du 31.» Chantal a frissonné de dégoût, mais elle n’avait pas le choix, elle a dit oui.
«Où sont les enfants?», a-t-elle demandé le 31 au soir en rentrant du yoga. «Ils fêtent Halloween aux Etats-Unis», a répondu Patrick. Chantal l’a regardé sans comprendre. «Ils sont chez Sean, a précisé Patrick. Pour la monstre Halloween-party des expats américains. T’es prête? On va au ciné?»
24 octobre 2009
Faire péter le micro
Les garçons ont dit au chéri qu’ils voulaient danser «comme en boîte» et le chéri a été sympa. Il leur a branché la lampe Philipps Living Colors, que nous a offerte Chantal pour sauver le climat et qui (même si elle ne sauve pas le climat à cause de son transformateur bouffeur de watts) a fait un light show très passable. L’aîné et le cadet ont poussé des cris de joie en découvrant cette vertigineuse alternance de mauve, de rouge baffe et de jaune citron. Ils ont derechef lancé la miouze et se sont rués sur leur «piste» – entre le lit à étages et leur gratte-ciel de cartes Yu-Gi-Oh et d’autocollants Stickermania.
Je dois avouer qu’ils m’ont coupé la chique. Quand j’étais mouflette, tous les garçons détestaient danser. Alors que mes micro-gaillards, eux, se déchaînaient avec un plaisir évident, ondulant des hanches, claquant des doigts, virevoltant des guiboles. Incroyable! Une révolution avait eu lieu!
Emballé par tant de talent, le chéri a alors ajouté un micro à la sono, si bien que la séance <em>dance </em>s’est muée en <em>karaoke-session</em>. Les chérubins ne se le sont pas fait dire deux fois et se sont mis à crooner à gorge déployée «monimonimoni» et «teïnteud looove». L’ambiance chauffait un max. Et comme le cadet braillait de plus en plus fort dans le micro, le chéri a fini par lui dire: «Tu veux faire péter le micro?» «Parce que c’est possible?», a demandé l’aîné. «Bien sûr, a fait le chéri. C’est super sensib...» L’aîné ne lui a pas laissé le temps de finir sa phrase. Il s’est emparé du micro et a couru avec à la salle de bain, d’où il a hurlé à son frère: «Il est assez long, le fil?» «Ouais!», a fait le cadet. «Yes!», a clamé l’aîné. Le chéri et moi, on s’est regardé sans comprendre. Quand tout à coup, le haut-parleur a lâché un pet retentissant. Colossal. Eléphantesque.
Alors que le cadet pleurait de rire et que l’aîné revenait hilare de la salle de bain, j’ai compris que je m’étais fourré le doigt dans l’oeil: en réalité, les garçons n’ont pas changé d’un pet.
Je dois avouer qu’ils m’ont coupé la chique. Quand j’étais mouflette, tous les garçons détestaient danser. Alors que mes micro-gaillards, eux, se déchaînaient avec un plaisir évident, ondulant des hanches, claquant des doigts, virevoltant des guiboles. Incroyable! Une révolution avait eu lieu!
Emballé par tant de talent, le chéri a alors ajouté un micro à la sono, si bien que la séance <em>dance </em>s’est muée en <em>karaoke-session</em>. Les chérubins ne se le sont pas fait dire deux fois et se sont mis à crooner à gorge déployée «monimonimoni» et «teïnteud looove». L’ambiance chauffait un max. Et comme le cadet braillait de plus en plus fort dans le micro, le chéri a fini par lui dire: «Tu veux faire péter le micro?» «Parce que c’est possible?», a demandé l’aîné. «Bien sûr, a fait le chéri. C’est super sensib...» L’aîné ne lui a pas laissé le temps de finir sa phrase. Il s’est emparé du micro et a couru avec à la salle de bain, d’où il a hurlé à son frère: «Il est assez long, le fil?» «Ouais!», a fait le cadet. «Yes!», a clamé l’aîné. Le chéri et moi, on s’est regardé sans comprendre. Quand tout à coup, le haut-parleur a lâché un pet retentissant. Colossal. Eléphantesque.
Alors que le cadet pleurait de rire et que l’aîné revenait hilare de la salle de bain, j’ai compris que je m’étais fourré le doigt dans l’oeil: en réalité, les garçons n’ont pas changé d’un pet.
10 octobre 2009
Sputnik: connecting...
Ça va bientôt faire vingt ans que le Mur de Berlin est tombé et plus cet anniversaire approche, plus Marc se sent vieux et plus il pense avec émotion à Sputnik, l’ex-Deutsche Jugendradio DT64 made in RDA. Une station de génie que Marc avait réentendue pour la première fois après toutes ces années lors de son dernier week-end à Berlin chez Gerd. Sputnik! DT64! Son mythe à lui! Sa bande-son à lui! La radio qu’il écoutait sans arrêt quand le Mur était tombé.
Donc depuis quelques temps, Marc répétait soixante fois par jour: «T’as pas une radio ici, pas une, qui arrive à la cheville de Sputnik!» Au point que Julie s’est dit qu’elle préférait devoir écouter Sputnik plutôt que Marc lui parler de Sputnik. Or comme Sputnik sévit aussi sur le web, elle est allée lui acheter un poste de radio Internet «qui marche super avec un wifi», a assuré le vendeur.
Marc a été ravi. Il a embrassé Julie avec fougue, déballé la bête et procédé à l’installation. Le poste a aussitôt indiqué «Connecting…». Mais quarante minutes plus tard, il n’indiquait toujours rien d’autre. «Je vais aller demander au vendeur», a dit Julie. Et le vendeur a dit: «Ça doit venir de votre routeur. Faut une plus grosse antenne.» Et Julie a allongé 40 balles pour une nouvelle antenne. Mais même avec la nouvelle antenne, le poste indiquait toujours «Connecting…» Alors le vendeur a vendu a Julie une antenne encore plus grosse à 120 balles. En vain. «La radio est naze, a conclu Marc. Mais t’as toujours le ticket, non?» «Bien sûr», a dit Julie. Mais elle a eu beau fouiller: le ticket avait disparu. Il n’y avait plus qu’une issue si elle ne voulait pas que la thérapie Sputnik de Marc lui coûte une fortune: elle a revêtu son plus joli décolleté à dentelles avant d’aller trouver le vendeur. Qui a d’abord dit «non», mais fini par dire «okay» quand Julie s’est penchée très en avant par-dessus le comptoir.
Depuis, Marc va beaucoup mieux. Il écoute Sputnik et a pris son billet pour aller trouver Gerd à Berlin en novembre. «Ce qu’il ne sait pas encore, a avoué Julie à Anke, c’est que pendant qu’il écoutera Sputnik avec Gerd dans cet apparte pas chauffé, moi je me ferai enduire de boue par un masseur ayurvédique à Goa.» «C’est de bonne guerre, a dit Anke. On a tous besoin de réconfort pour encaisser les coups de boutoir de l’Histoire.»
Donc depuis quelques temps, Marc répétait soixante fois par jour: «T’as pas une radio ici, pas une, qui arrive à la cheville de Sputnik!» Au point que Julie s’est dit qu’elle préférait devoir écouter Sputnik plutôt que Marc lui parler de Sputnik. Or comme Sputnik sévit aussi sur le web, elle est allée lui acheter un poste de radio Internet «qui marche super avec un wifi», a assuré le vendeur.
Marc a été ravi. Il a embrassé Julie avec fougue, déballé la bête et procédé à l’installation. Le poste a aussitôt indiqué «Connecting…». Mais quarante minutes plus tard, il n’indiquait toujours rien d’autre. «Je vais aller demander au vendeur», a dit Julie. Et le vendeur a dit: «Ça doit venir de votre routeur. Faut une plus grosse antenne.» Et Julie a allongé 40 balles pour une nouvelle antenne. Mais même avec la nouvelle antenne, le poste indiquait toujours «Connecting…» Alors le vendeur a vendu a Julie une antenne encore plus grosse à 120 balles. En vain. «La radio est naze, a conclu Marc. Mais t’as toujours le ticket, non?» «Bien sûr», a dit Julie. Mais elle a eu beau fouiller: le ticket avait disparu. Il n’y avait plus qu’une issue si elle ne voulait pas que la thérapie Sputnik de Marc lui coûte une fortune: elle a revêtu son plus joli décolleté à dentelles avant d’aller trouver le vendeur. Qui a d’abord dit «non», mais fini par dire «okay» quand Julie s’est penchée très en avant par-dessus le comptoir.
Depuis, Marc va beaucoup mieux. Il écoute Sputnik et a pris son billet pour aller trouver Gerd à Berlin en novembre. «Ce qu’il ne sait pas encore, a avoué Julie à Anke, c’est que pendant qu’il écoutera Sputnik avec Gerd dans cet apparte pas chauffé, moi je me ferai enduire de boue par un masseur ayurvédique à Goa.» «C’est de bonne guerre, a dit Anke. On a tous besoin de réconfort pour encaisser les coups de boutoir de l’Histoire.»
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