18 décembre 2009

Aléas boutichambreurs - suite et fin

Bon, évidemment, en terme de planification commerciale, le fait que l’inauguration de la Boutichambre n’ait lieu qu’aujourd’hui est un désastre. Faut dire les choses comme elles sont, Sean n’est pas du genre à se voiler la face. Toutes les commandes passées arriveront en retard pour Noël. Il est six heures du matin et Sean scrute le noir de l’aube en récapitulant les portes de sortie qui lui restent.

Tout reporter à l’année prochaine ? No way. Essayer de convaincre les gens de ne pas offrir à Noël mais à Nouvel an seulement ? Même pour un as comme Sean, c'est mission impossible. Sean soupire et se sert de café. Face à lui, le petit matin d’hiver est plus noir que jamais. A moins que… Et s’il ciblait la clientèle orthodoxe qui fête Noël le 6 janvier? Sean sent l’intuition géniale lui chatouiller le bide et le mince trait rose de l’espoir venir ourler la nuit. Il porte son mug à ses lèvres et se concentre. Mais bien sûr! Pourquoi est-ce qu’il n’y a pas pensé avant? Il suffirait juste de tout faire traduire! En quoi d’ailleurs? Sean énumère: en russe, en bulgare, en grec, en serbe, en macédonien, en monténégrin, en roumain, en arménien, en géorgien, en abkhaze… Sean cesse de compter quand il n’a plus de doigts et sent le découragement l’envahir sous forme d’une multitude de mais. C’est que ça en fait des langues et des alphabets zarbes. N’empêche, contre-attaque Sean avec l’énergie du mec-qui-se-laisse-pas-abattre-comme-ça, ce serait sacrément novateur. A mort, même. Genre marché de niche et lui, Sean, serait le pionnier qui aurait saisi le potentiel avant tout le monde! Mais les mais reprennent le dessus. Comment on dit mégablurb en arménien? Et jediroomeur en bulgare? Est-ce qu’on réussirait à rendre dans toute leur subtilité les retorses «Questions pour un Chambreur» en roumain? Est-ce que Spreadshirt accepterait les postscipts pour l’alphabet géorgien?

Vaincu, Sean se rend à l’évidence: ça sent les combines à de nouveau rater l’échéance, même au 6 janvier. Le trait rose s’est fait rebouffer par la nuit. Philosophe, Sean pioche dans la boîte à biscuits un pipparkaku que les enfants ont fait l’autre jour au club finlandais où Lumi les abandonne tous les mercredis après-midi. Il le trempe dans son café et prend une grande résolution en scrutant le noir de l'aube par la vitre: dès janvier, il cherche du boulot. C’est trop dur d’être son propre chef.

5 décembre 2009

INT/NUIT Chambre à coucher d’enfants.
La scène représente deux garçons de 9 et 7 ans (J et K) cachés sous une couverture avec une lampe de poche et absorbés dans un conciliabule autour d’un sac de cochonneries en gomme acidulée.

J: Tu me files une langue de chat? K lui tend une langue de chat, J mastique longuement J: Bon alors, qu’est-ce qu’on leur dit? K: Qu’on y croit plus. On n’est plus des p'tits. Y a que les p'tits qui croient au saint Nicolas. J: Ouais, mais je veux dire, si on leur dit, ben on n’aura plus de cadeaux. K: Tu crois? Mais y vont quand même nous filer un homme de pâte, ou bien? J: Pas sûr… K (outré): Nooon...! J: Ben je veux dire peut-être qu’y diront ben pisske vous y croyez plus, ben on fête plus saint Nicolas et donc plus d’homme de pâte. Rien que des mandarines. K: Ah nooon!!! C’est vraiment pas juste! J: Ouais. En fait, on est puni passkon est grand. K: Passke je veux dire y a que les bébés et les vachement p’tits comme les p’tits à l’école enfantine qui croient que le saint Nicolas y peut venir avec son âne. Je veux dire, il a jamais le temps de faire tous ces mille kilomètres en une nuit… J: Tous ces mille millions de kilomètres!! K: Ouais, mille millions! J: Pis l’âne, je veux dire, c’est pas possible dans la cage d’escaliers! K: Ben nooon! J: N’empêche, un âne, ça grimpe super bien. K: Skia, c’est que j’ai vachement envie d’un Power Miner... J: C’est trop gros, t’as aucune chance, même si tu dis que tu crois au saint Nicolas. K: Alors un Space Police? J: Trop gros… K: Alors un Mars Mission? J: Même pas sûr… K: Alors on leur dit qu’on n'y croit plus. J: Tu crois? K: Ben ouais, à moins d’un Mars Mission, ça vaut pas le coup. J: T’as raison. On n'y croit plus. K: Il reste des langues de chat?

21 novembre 2009

Les poux de la colère

Cora aurait pu le gifler. «Sa mère vous l’a pas dit?» Non, elle l’avait pas dit. Ni en déposant la petite Noemi vendredi, ni en la récupérant dimanche soir. Et là, voilà que la papa de la petite Noemi lui annonçait ça, à la soirée de parents, entre les gobelets d’eau gazeuse et les mandoches: Noemi avait des poux, enfin, avait eu, elle était entre deux phases de traitement. Horrifiée, Cora revoyait Tessa et Noemi en train de pouffer sous la même couverture... Tessa et Noemi en train de regarder la télé blottie l’une contre l’autre sur le canapé... Tessa et Noemi roupillant sur le même matelas... Et Cora trouvant ça si mignon... Quelle saucisse!!!

A peine la soirée de parents terminée, Cora a couru à la pharmacie de service, exigé une «arme de destruction massive», foncé à la maison, chopé Tessa, lu à toute vitesse le mode d’emploi tout en mouillant les tifs de sa fille et découvert par la même occasion tout ce qu’il lui resterait à faire une fois qu’elle l’aurait huilée de paraffine asphyxiante et passée à la peignette: laver «l’ensemble du linge de maison» (Tessa et Noemi s’étaient roulées sur <em>tous </em>les lits) et «placer au congélateur» quarante kilos d’animaux en peluche, de doudous, de coussins pour cryogéner les parasites... Trois heures plus tard, Cora avait terminé son opération atomique et se récompensait en enfournant des poignées de chips, assez contente d’elle, somme toute: elle avait bien réagi, elle avait été systématique, elle avait été vachement à la hauteur, elle était une sacrée nana.

Le lendemain, Cora a raconté ses démêlées pouilleuses à Anke et Anke lui a dit: «Tu peux vider le congélo, ça sert à rien, les poux peuvent pas survivre sur les tissus.» «Tu rigoles?» «Non, y a des études qui ont montré que c’était un mythe. On a dû te filer un produit avec un mode d’emploi périmé.» Cora aurait pu la gifler. Mais elle est restée forte, une sacrée nana, vachement à la hauteur. Et sitôt rentrée chez elle, elle s'est récompensée en enfournant tout un paquet de chips. Familial, s'entend.

7 novembre 2009

Halloween et le yeti

Samedi dernier, c’était Halloween et pour Chantal, cette date est le symbole du supplice absolu. D’abord, «parce que ça nous a été imposé par les Américains et leur mentalité mercantile»: les maquillages hideux, les hordes de gosses armées de sacs qui sonnent à sa porte et font la moue quand elle leur donne des friandises en pâte de fruit 100% naturelle. En plus, depuis que Chantal ne peut plus les enclaver dans un univers barbelé de feutrine faite à la main et de touchants bricolages de feuilles mortes, Hugo et Louis la tannent chaque année pour «faire Halloween comme les copains». Mais surtout, Chantal hait Halloween parce les sourires sardoniques des courges lui rappellent le film «About a Boy»: un nanar facile et commercial, estime Chantal. Mais qui l’a quand même marquée à cause de cette mère cinglée qui fait de son fils un paria mobbé parce qu’elle s’accroche à ses convictions new age et macrobiotiques. Bon, il faut dire que Patrick contribue de manière sadique et systématique à cette association: chaque fois qu’elle s’élève contre Halloween, il lui dit «T’as mis ta veste de yeti, là?», en allusion à la veste hirsute que la mère cinglée porte dans le film. Halloween l’immerge donc chaque fois dans un dilemme atroce: doit-elle mener envers et contre son combat contre le conformisme impérialiste, au risque de faire de ses enfants des Marcus? Ou céder?

Elle a bien tenté une échappatoire: «On devrait leur montrer que les Américains nous ont spoliés de notre fête des morts», a-t-elle suggéré à Patrick. «La Toussaint?» «Mais oui!» «T’as jamais fêté la Toussaint.» «Peu importe!» «Donc au lieu de les laisser s’éclater avec leurs copains, tu veux les emmener au cimetière mettre de la bruyères sur des tombes?» Chantal sentait plus que jamais les poils de yeti et des larmes de désespoir lui piquer les yeux. Alors Patrick a eu pitié d’elle. Il l’a prise dans ses bras et lui a demandé: «Si je trouve une solution culturelle, tu viens avec moi voir ‘Star Trek’? Il repasse le soir du 31.» Chantal a frissonné de dégoût, mais elle n’avait pas le choix, elle a dit oui.

«Où sont les enfants?», a-t-elle demandé le 31 au soir en rentrant du yoga. «Ils fêtent Halloween aux Etats-Unis», a répondu Patrick. Chantal l’a regardé sans comprendre. «Ils sont chez Sean, a précisé Patrick. Pour la monstre Halloween-party des expats américains. T’es prête? On va au ciné?»

24 octobre 2009

Faire péter le micro

Les garçons ont dit au chéri qu’ils voulaient danser «comme en boîte» et le chéri a été sympa. Il leur a branché la lampe Philipps Living Colors, que nous a offerte Chantal pour sauver le climat et qui (même si elle ne sauve pas le climat à cause de son transformateur bouffeur de watts) a fait un light show très passable. L’aîné et le cadet ont poussé des cris de joie en découvrant cette vertigineuse alternance de mauve, de rouge baffe et de jaune citron. Ils ont derechef lancé la miouze et se sont rués sur leur «piste» – entre le lit à étages et leur gratte-ciel de cartes Yu-Gi-Oh et d’autocollants Stickermania.

Je dois avouer qu’ils m’ont coupé la chique. Quand j’étais mouflette, tous les garçons détestaient danser. Alors que mes micro-gaillards, eux, se déchaînaient avec un plaisir évident, ondulant des hanches, claquant des doigts, virevoltant des guiboles. Incroyable! Une révolution avait eu lieu!

Emballé par tant de talent, le chéri a alors ajouté un micro à la sono, si bien que la séance <em>dance </em>s’est muée en <em>karaoke-session</em>. Les chérubins ne se le sont pas fait dire deux fois et se sont mis à crooner à gorge déployée «monimonimoni» et «teïnteud looove». L’ambiance chauffait un max. Et comme le cadet braillait de plus en plus fort dans le micro, le chéri a fini par lui dire: «Tu veux faire péter le micro?» «Parce que c’est possible?», a demandé l’aîné. «Bien sûr, a fait le chéri. C’est super sensib...» L’aîné ne lui a pas laissé le temps de finir sa phrase. Il s’est emparé du micro et a couru avec à la salle de bain, d’où il a hurlé à son frère: «Il est assez long, le fil?» «Ouais!», a fait le cadet. «Yes!», a clamé l’aîné. Le chéri et moi, on s’est regardé sans comprendre. Quand tout à coup, le haut-parleur a lâché un pet retentissant. Colossal. Eléphantesque.

Alors que le cadet pleurait de rire et que l’aîné revenait hilare de la salle de bain, j’ai compris que je m’étais fourré le doigt dans l’oeil: en réalité, les garçons n’ont pas changé d’un pet.

10 octobre 2009

Sputnik: connecting...

Ça va bientôt faire vingt ans que le Mur de Berlin est tombé et plus cet anniversaire approche, plus Marc se sent vieux et plus il pense avec émotion à Sputnik, l’ex-Deutsche Jugendradio DT64 made in RDA. Une station de génie que Marc avait réentendue pour la première fois après toutes ces années lors de son dernier week-end à Berlin chez Gerd. Sputnik! DT64! Son mythe à lui! Sa bande-son à lui! La radio qu’il écoutait sans arrêt quand le Mur était tombé.

Donc depuis quelques temps, Marc répétait soixante fois par jour: «T’as pas une radio ici, pas une, qui arrive à la cheville de Sputnik!» Au point que Julie s’est dit qu’elle préférait devoir écouter Sputnik plutôt que Marc lui parler de Sputnik. Or comme Sputnik sévit aussi sur le web, elle est allée lui acheter un poste de radio Internet «qui marche super avec un wifi», a assuré le vendeur.

Marc a été ravi. Il a embrassé Julie avec fougue, déballé la bête et procédé à l’installation. Le poste a aussitôt indiqué «Connecting…». Mais quarante minutes plus tard, il n’indiquait toujours rien d’autre. «Je vais aller demander au vendeur», a dit Julie. Et le vendeur a dit: «Ça doit venir de votre routeur. Faut une plus grosse antenne.» Et Julie a allongé 40 balles pour une nouvelle antenne. Mais même avec la nouvelle antenne, le poste indiquait toujours «Connecting…» Alors le vendeur a vendu a Julie une antenne encore plus grosse à 120 balles. En vain. «La radio est naze, a conclu Marc. Mais t’as toujours le ticket, non?» «Bien sûr», a dit Julie. Mais elle a eu beau fouiller: le ticket avait disparu. Il n’y avait plus qu’une issue si elle ne voulait pas que la thérapie Sputnik de Marc lui coûte une fortune: elle a revêtu son plus joli décolleté à dentelles avant d’aller trouver le vendeur. Qui a d’abord dit «non», mais fini par dire «okay» quand Julie s’est penchée très en avant par-dessus le comptoir.

Depuis, Marc va beaucoup mieux. Il écoute Sputnik et a pris son billet pour aller trouver Gerd à Berlin en novembre. «Ce qu’il ne sait pas encore, a avoué Julie à Anke, c’est que pendant qu’il écoutera Sputnik avec Gerd dans cet apparte pas chauffé, moi je me ferai enduire de boue par un masseur ayurvédique à Goa.» «C’est de bonne guerre, a dit Anke. On a tous besoin de réconfort pour encaisser les coups de boutoir de l’Histoire.»

26 septembre 2009

Small World

Le SMS est arrivé dimanche sur le portable de Sam: «Maellys est née ce matin à 4h32! On vous embrasse, Ludo et Amalia». Ça alors!, s’est dit Sam. Ludo a une nana et il est papa! Puis il a réalisé qu'il n'avait pas revu Ludo depuis… vingt-deux ans. Et que Ludo ne lui avait jamais manqué. Quel salaud je suis, a pensé Sam. Et dire que Ludo, lui, s’était donné la peine de trouver son numéro de portable.

Sam a parlé de tout ça à Cora. Qui lui a rétorqué: «Maellys? Qu’est-ce que c’est que ce prénom débile?» «Arrête de juger, a dit Sam avec fermeté. Ce qui compte, c’est que Ludo ait trouvé quelqu’un qui apprécie sa loyauté à sa juste valeur.» «Donc on parle bien de ce mec un peu loose qui te collait aux basques quand on avait vingt ans?» «Ouais.» «Maigrichon, le nez de traviole?» «Exact.» «Hé bien ton Ludo si loyal, je l’ai aperçu hier soir au ciné. Et il tenait un autre mec par la main.» «Quoi! a fait Sam stupéfait. Non, t’as dû le confondre avec quelqu’un d’autre! Hier soir, Ludo il était avec sa femme qui accouchait et…» «C’est ça», a fait Cora d’un air entendu.

Sam a ruminé sa perplexité pendant deux jours. Ludo et… une double-vie? Ça paraissait si inconcevable! Sam a saisi son portable pour en avoir le cœur net. Il a tapé: «Au fait, Cora t’as vu samedi à Inglorious Basterds». Sur quoi Ludo a répondu: «Oui! Ai dû filer pendant séance pour chercher Amalia because contractions!» Nom de Dieu, a juré Sam. Alors Cora avait raison? Re-SMS de Ludo: «Qui est Cora?» «Ma femme. Tu te souviens pas d’elle?» «Tu sortais pas avec Muriel?» Sam a failli en lâcher son portable: Ludo savait pour Muriel!?! Sam s’est mis à réfléchir fébrilement: comment Ludo la tache pouvait être au courant de son aventure la plus secrète? Comme s’il lisait dans ses pensées, Ludo a smsé: «Cachotier!» Sam a senti la moutarde lui monter au nez. Il allait lui envoyer en retour un machin bien senti genre «Parle pour toi, pédale à mi-temps!», mais Ludo a été plus rapide avec son MMS. Sam a alors vu s’afficher sur son écran la photo d’un mec hilare qui tenait un bébé dans ses bras – et qu’il n’avait jamais vu de sa vie.

12 septembre 2009

Aléas boutichambreurs - double-suite

I. Tsss...

Sean s’était juré que la Boutichambre serait en ligne début septembre. Et il a foiré. Mais c’est vraiment pas faute d'avoir essayé. En fait, tout le monde s’est ligué contre lui. Il y a d’abord eu ce clash avec Juan qui a voulu se débiner – alors qu’il avait promis de s’occuper du layout, le fumier! Une occasion pareille, geignait Juan, il pouvait pas laisser passer: cinq jours sans Isabel ni Marion, nom d’un chien! Sean devait comprendre! Et surtout ne pas prendre personnellement. Parce que Juan allait enfin pouvoir retourner rouler des mécaniques et se rincer l’œil à la plage sans aucune arrière-pensée culpabilisatrice... Il lui suffirait de prendre une voix compréhensive le soir, au téléphone, quand Isabel appellerait, effondrée, depuis Barcelone, parce que Marion ne faisait aucun progrès en espagnol et refusait de manger avec sa famille d’accueil sous prétexte que c'était «un environnement obèsogène»…

«Entre nous, a confié Juan à Sean, moi je dis que Marion a raison. On n’est jamais trop prudent avec le gras.» «Mmh, a fait Sean. En fait, tu sais, quoi? Je m’en fous un peu.» «Pardon?», a crachoté Juan en avalant sa bière de travers. «Oh, le prends pas personnellement, a dit Sean. Je suis mono-orienté opportunités commerciales, en ce moment.» «Bien sûr, a dit Juan. C’est un sacré pari: se mettre en indépendant... à ton âge... avec ton passé... tsss...». «Tsss..., a fait Sean. C’est un peu comme toi à la plage, hein? Personne peut dire si t’arriveras à donner le change juste en rentrant le bide, pas vrai?»

Et hop, exit le layout: Juan a pris superpersonnellement.



II. Tope-là!

Il ne restait donc plus que Lumi, mais Lumi avait entamé les vacances en se faisant du souci pour Mati au lieu de se concentrer sur les accessoires boutichambreurs. «Il en va de la Finlande et de Pisa, geignait-elle. C’est la cata, il assure pas en lecture!» «Mais il est aussi à moitié Américain», a relativisé Sean. «Justement!, s’est exclamée Lumi. Il faut prendre le mal à la racine. Remets-lui la caboche en place et je te t’aide pour la Boutichambre!»

Or Sean avait aussitôt trouvé la bonne méthode avec Mati: quinze balles par bouquin lu, vingt pour les très gros, tope-là! Lumi n’était au courant de rien, évidemment, et avait vu avec stupéfaction Mati se mettre soudain à engloutir des livres de plus en plus volumineux, refusant même d’aller se baigner pour pouvoir continuer à lire... Incroyable!

Sean se frottait les mains: il la tenait! Mais au lieu d’arriver la bouche en cœur, avec une liste d’accessoires boutichambreurs, Lumi a fait irruption jeudi dans son bureau en vociférant: «Tu l’as... acheté?» «De quoi tu parles?» «De ton fils!» «Je l’ai motivé, a corrigé Sean. Pourquoi tu t’énerves?» «Parce que Mati vient de s’acheter avec tes ronds la Playstation que j’avais refusé de lui offrir à son anniversaire!» Sean a réprimé un sourire empli de fierté: sacré Mati! «Si tu m’aides à finir la Boutichambre, je négocie l’usage de la PS avec lui», a-t-il dit. Lumi a longuement plissé les paupières. Mais Sean a su qu’il avait gagné. Quand elle a fait volte-face et s’est barrée en claquant la porte, c’était comme si elle lui avait dit: «Tope-là!»

25 juillet 2009

Aléas boutichambreurs

Sean m’a appelé hier à cinq heures du matin pour hululer lugubrement à mon oreille: «J’abandonne!» «T’abandonnes quoi?» «Tout! Le brainstorming! La Boutichambre!» «Mais on compte tous sur toi…» «Tu parles! Personne n’en a rien à cirer! J’arrive pas à en joindre un seul! Anke s’est barrée à Bornéo avec son nouveau mec et…» «Quel mec?» «Dany, je crois…» «T’en es sûr?!» «Bon, tu peux laisser une seconde de côté tes instincts concierges et te concentrer sur l’essentiel?» «Pardon.» «Donc voilà. Anke est à Bornéo, injoignable! Paolo a foutu le camp je sais pas où avec une fille et…» «Quelle fille?» «Non mais tu vas arrêter, là?» «Pardon. Continue…» «Bon, où j’en étais, moi? Ah oui! Chantal et Patrick, maintenant. Ils gardent gratuitement des vaches en altitude dans un mayen sans eau courante ni réseau mobile pour soutenir les paysans de montagne et… Pirkko, retourne te coucher. Il est cinq heures et <em>Daddy</em> travaille… Oui… Non… Va au lit, je te dis… Okay... Euh, t'es toujours là?» «Bien sûr.» «Oui, donc, Chantal et Patrick, on oublie.» «Et Isabel? Elle était pas censée t'aider?» «Si et c'est justement pour ça qu'elle avait envoyé Marion en séjour linguistique en Espagne. Mais elle a dû partir la récupérer d’urgence parce que la gamine refuse de s’alimenter et qu’elle sort plus de sa chambre et que la famille d’accueil menace d’appeler les flics et…» «Mais c’est insensé cette histoire! Tu peux me…» «Non, je te donne pas plus de détails, sinon j’arriverai jamais au bout!» «D'accord. Et Marc et Julie, alors?» «Partis aux Etats-Unis pour étrenner leur nouveau passeport biométrique!» «C’était ça leur motivation?» «Mais on s’en fout de leur motivation! Ce qui compte, c’est que je me retrouve seul avec Lumi et Juan pour monter une boutique en ligne, donc autant dire avec les personnes les moins fiables que je connaisse! Jamais on va y arriver! Mon dernier espoir, c’est Sam. Tu sais où il est?» «Euh, avec Cora et les enfants sur leur île croate…» «Eh ben voilà! Le coup de grâce! On est cuit, je te dis, on est…»

C’est à ce moment que le chéri a émis un grognement contarrié. Avant de me prendre le téléphone des mains, de quitter la chambre et de revenir une heure plus tard pour m'annoncer: «C’est bon, Sean va la faire, la boutique en ligne.» «Comment tu t'y es pris pour le faire changer d’avis?» «Je l’ai convaincu de l’avantage commercial de faire travailler ses enfants.» «Comment ça?» «Tu verras bien. Et tu me dois une grasse mat!»

Avis à tous les Chambreurs: à la rentrée, votre soap SBF préféré ouvrira sur ce blog les portes d'une Boutichambre abondamment garnie d’accessoires plus must have les uns que les autres. D’ici là, tout le staff de «Chambre avec vie» vous souhaite un été carrément joli.

11 juillet 2009

Dans la peau du mégablurb

La scène représente un compartiment CFF. Face à face: un homme d’affaires (en train de parler dans son téléphone mobile) et une jeune mère (en train d’allaiter son bébé).

Dans la peau de l’homme d’affaires: «Non, mais je rêve? Elle allaite! Elle se croit tout permis, ou quoi? Hé ho, y a des gens qui bossent, ici! C’est typique! Les médias ont tellement victimisé les mères qu'elles ratent pas une occase de nous balancer leur lactation à la tronche! Astrid aussi faisait ça, quand elle allaitait Clément, et déjà là, avec ma propre femme, ça me rendait dingue, ce dégainage de nichon. C’est tellement agressant. Alors qu’on voudrait juste bosser, nous. Histoire d'assurer la masse salariale et les congés maternités. Qu'est-ce que ça fait de vivre seize semaines aux crochets de l’employeur en temps de crise, hein? En plus, ça crève les yeux qu’elle a aucune idée de l’allaitement, elle aligne toutes les erreurs de la débutante! Non mais regardez comme elle le tient, son bébé! Il va lui faire un de ces renvois… Et voilà! Le mégablurb! Je l’avais pas dit?»

Dans la peau de la jeune mère: «Non, mais je rêve? C’est son cinquième appel! Il se croit tout permis, ou quoi? Hé ho, y en qui aimeraient avoir la paix, ici! C’est typique! Les médias ont tellement porté aux nues ces requins de managers qu’ils ratent pas une occase de nous balancer leur arrogance à la tronche! Qu'est-ce ça fait d'être responsable de la crise et de vampiriser l'Etat, hein? Dire qu'Eric a les même boutons de manchette que cet incapable... Allez, tais-toi, à la fin! T’as déjà aligné tellement de conneries que tout le wagon a compris que t’y connaissais rien, aux plans d’investissement. Non mais écoutez-le parler d'<em>input</em>! Y a de quoi se taper les cuisses! Et puis cette voix! Je suis sûre que ça va faire régurgiter le petit, toute cette négativité… Et voilà! Le mégablurb! Je l’avais pas dit?»

Dans la peau du bébé: «Je déteste le train: ça penche... ça me donne mal au coeur... ça fait tout remonter... et... Et voilà! Le mégablurb! Je l’avais pas dit?»

27 juin 2009

Un prénom pour la vie

Julie était sous le choc. Il était là, juste quelques tables plus loin, derrière l’épaule de Cora. Toujours craquant, en plus... C'était insoutenable... D’une main tremblante, elle a cherché son verre de rouge.

«Ça va pas?», a demandé Cora en levant les yeux de son steak. Julie a descendu une maxigoulée de pinard avant de réussir à articuler: «C’est ce type, là-bas…» Cora s’est retournée pour voir: «Il est canon! Qui c’est?» «J’ai failli sortir avec lui il y a vingt ans.» «Juste failli?» «Oui.» «Il était pris?» «Non.» «Il était gay?» «Non!» «Il te draguait pas?» «Si, j’étais dingue de lui! Mais ça aurait jamais marché. A cause de ma mère.» «Elle pouvait pas l’encadrer?» «Pire: c’est elle qui a choisi mon prénom», a répondu Julie, la voix lourde de sous-entendus. Cora l'a regardée sans comprendre: «Je vois pas bien le...» Mais Julie lui a coupé la chique en gémissant «Oooh là là!» Motif: le mec sublime venait de se matérialiser près de leur table. Il s'est penché pour embrasser Julie, puis s'est tourné vers Cora: «Enchanté! Moi, c’est Julien!» Julie a cru mourir sur place et Cora est restée bouche bée trois secondes avant de coasser: «Julien?! Ah ben ça alors! Donc toi... et Julie... vous...»

Tandis que Julie la foudroyait du regard, Cora a passé fébrilement en revue les éventuels équivalents masculins du prénom de sa fille. Elle triomphait déjà («Tessa, c'est 100% nana! Je suis une bonne mère! J'ai pas foiré sa future vie amoureuse!»), quand Julien leur a annoncé: «Je viens de devenir papa! Une petite Victoria!» Effarée, Cora a compris que c'était maintenant ou jamais! «Et puis quoi encore!, a-t-elle rugi. Tu vas me changer ce prénom et que ça saute! Sinon qu'est-ce qu'on fera dans vingt ans quand mon Victor s'amourachera de ta fille, hein?»

13 juin 2009

Tout est sous contrôle

S’il est une caractéristique de notre époque que Chantal trouve haïssable, c’est notre «obsession du contrôle aliénante et bassement motivée par la radinerie», qui nous pousse à tout vouloir faire nous-mêmes. A ne plus faire confiance, à ne rien déléguer. Résultat, affirme Chantal: des corps de métiers disparaissent, notre tissu social déjà pourri périclite, etc.

A cette dérive, Chantal oppose volontiers l'époque («pas si lointaine!») où le laitier livrait à domicile tous les matins, où les dames au guichet de la poste avaient la haute-main sur vos virements et où seules les agences de voyage pouvaient émettre des billets d’avion. Or que reste-t-il de cet ordre civilisationnel de juste répartition des tâches où chacun savait où était sa place? «Rien! Juste l’anonymat du guichet virtuel et des kyrielles de chômeurs!», dénonce Chantal lorsqu’elle se jette dans la sociologie racourcie.

Le dernier emblème en date de ce cataclysme, à ses yeux, c’est la tondeuse à tifs dont Patrick a fait l’acquisision pour égaliser le pourtour de sa calvitie et «cesser de dépenser des fortunes chez cette arnaqueuse de coiffeuse». Histoire de bien signaler sa réprobation et son profond respect du savoir-faire, Chantal a aussitôt pris rendez-vous chez ladite coiffeuse. Qui le jour venu, lui a demandé si ça la dérangeait que ce soit l’apprentie qui lui coupe les pointes. «J'en serais ravie!», s’est écriée Chantal - aux anges à l'idée de soutenir à la fois les métiers menacés et la relève! L’apprentie s’est donc déchaînée dans sa chevelure, donnant libre cours à des inclinations... asymétriques.

Alors qu’elle rasait les murs sur le chemin du retour, Chantal s’est jurée de solliciter les services de Patrick, la prochaine fois. Lui au moins, elle pourrait l’engueuler. Gratuitement.

30 mai 2009

Des santiags et des hommes

Isabel et Juan sont ensemble depuis quinze ans et ils ont décidé de fêter ça à la sauce nostalgique: sur la plage carmaguaise où ils avaient passé leur premier week-end en amoureux. Tout un symbole, cette sublime langue de sable battue par les embruns, qu’à l’époque seuls de rares élus cool comme Juan connaissaient – «alors qu’aujourd’hui, c'est plein de campeurs et de familles, l'horreur, quoi», déplore Juan.

Mais pour leur week-end remember, la Providence s’est montrée clémente. Juan et Isabel ont pu se taper la cloche au resto gitan en ayant l’impression d’être seuls au monde. C’était tellement bon vieux temps que Juan s’est senti magiquement rajeunir et s’est félicité d’avoir emporté ses santiags – celles qu’il portait lors du fameux tour à cheval avec Isabel, il y a quinze ans, un tour à cheval chargé d’une tension sexuelle tellement insoutenable qu’il s’était terminé dans le premier bosquet de roseaux. Juan n’avait même pas eu le temps de retirer ses bottes.

Après le resto, ils ont regagné l’hôtel et Juan a tiré ses mythiques santiags de sa valise pour les brandir comme deux trophées. «Hé, hé!, a-t-il lancé. Tu les remets?» «Tu les as encore?», a fait Isabel. «Je veux!», a clamé Juan en les contemplant avec fierté. Isabel a réfléchi quelques secondes. Avant de dire: «Donc t’as toujours pas réalisé à quel point elles étaient grotesques, ces santiags?» Juan a ouvert la bouche, outré. Avant de dire: «Y’a quinze ans, tu crachais pas dessus!» «C’était le début! T’étais enthousiaste, je voulais pas te scier.» Juan était abasourdi. «Demain, je les mets pour le tour à cheval», a-t-il annoncé d’un air de défi. «Riche idée, a répondu Isabel. On aura tous les paparazzis aux fesses.» Juan l’a regardée sans comprendre. «Ben oui, a fait Isabel. Ils vont croire que Sarko est revenu jouer au cow-boy sur son camarguais!»

16 mai 2009

L’origan ne fait pas le printemps

Paolo a croisé Anke et ça l’a énervé parce que c’est chaque fois pareil et ça commence à bien faire. Ils se revoient depuis des mois. En toute décontraction. Sans ambiguïté. En amis. Et pourtant, ça ne loupe jamais. Chaque fois qu’Anke pénètre dans son champ de vision, Paolo la ressent, cette satanée morsure au ventre.

Donc quand Anke lui a fait signe depuis la terrasse du café, la morsure a fait son cinéma. Mais ça n'a pas empêché Paolo de feindre en pro l’air ravi de l’ami qui croise une amie pour laquelle il ne ressent «qu’une profonde affection». Il a pris place à côté d'elle, ils se sont commandé 3 décis avec des olives piment-origan et Anke a achevé de l’irriter en lui faisant comprendre que là, avec lui, le rosé et les olives, elle tuait juste le temps en attendant Dany. «Dany?», a demandé Paolo d’un air incrédule, comme si Dany était le prénom le plus débile de la Création. «Dany», a confirmé Anke en souriant de toutes ses dents.

En temps normal, Paolo aurait ressenti une haine sourde (effet secondaire de la morsure). Mais là, le large sourire qu’il lui a retourné était complètement sincère, parce qu’au coin de l'incisive d'Anke, le destin venait de lui faire signe – sous la forme d’une feuille d’origan. Et Dany qui allait débarquer! Qui ne pourrait plus détacher ses yeux de ce machin vert! Qui tenterait peut-être de faire comprendre à Anke le caractère embarrassant la situation… par exemple en commençant à se curer les dents! Ha Ha! Paolo s’est plongé avec délice dans la contemplation de la petite feuille d’origan. Elle était si mignonne! Si providentielle! Il aurait pu l’embrasser!

«Mais ça va pas?», s’est exclamée Anke tout à coup. Paolo a mis une seconde à réaliser que son visage n’était plus qu’à trois centimètres de celui d’Anke, ses lèvres juste en face des siennes. «Arrête de prendre tes désirs pour des réalités, a-t-il répliqué en se renversant dans son fauteuil d’un air dégagé. T’as un truc entre les dents et je voulais te... Mais bon, si tu tiens absolument à ce que Dany te découvre sous ton jour canine aromatique...»

2 mai 2009

Message In A Bottle

La scène représente deux copines (H et J) en voiture, en train d’écouter la chanson «No You Girls». H est au volant.

H et J (en chœur avec Alex Kapranos, groovy): Oooooh kiss me! Flick your cigarette and kiss me! H (forçant sur la basse): Kiss me where your eye won't met me! J: J’adooooore comme il dit ça…! H: Ouais, il est tellement… H accélère un coup. [CLONG CLONG] J: C’est quoi, ce bruit? H: Ah rien, juste une bouteille consignée qu’il faut que je ramène au magaze (balançant rythmiquement les épaules) Hit me! Hit me with your eyes so sweetly! J (enchaîne): Oh you know you know you know that… [CLONG] J: N’empêche que c’est chiant, ce bruit. H: Mais on s’en fout! (gutturale) I'd love to get to know you! J (paupières mi-closes): Mmmmmhh... Do you never wonder? J et H (en chœur, crescendo): Nooo Nooo Nooo... H prend un virage un peu sec. [CLONG CLONG] J: Hé non mais fais gaffe, quoi! Tu nous bousilles le chorus, là… H: T’as pas besoin de me regarder comme si je faisais exprès, tu sais! Coup de volant de H. [CLONG CLONG CLONG] J: Je veux pas être vache, mais là, froidement, tu nous niques une chanson d’enfer juste pour pas perdre… 50 centimes? H: C’est dégueulasse et mesquin, ce que tu dis. J: Mais c’est vrai, ça nous kille tout! H: Laisse tomber. H éteint l’autoradio. J: Oh, arrête de tout prendre de travers! H: Non, non, j’ai parfaitement pigé. Tu trouves que ma bagnole est une poubelle, que moi je suis râteau… J: Pas du tout. H plante sur les freins. [CLONG CLONG CLONG CLONG] H: Tu sais quoi? Descends de ma bagnole! J (stupéfaite): Mais ça va pas? H (fâchée): Dégage, j’ai dit! J: Quoi? H (très fâchée): DÉGAGE!!!

J descend de la voiture et évite de justesse la bouteille vide que H lui balance à la tête avant de redémarrer en trombe. De l'autre côté de la route, Alex Kapranos secoue la tête avec consternation.

18 avril 2009

Barbie pascale

Chantal a souvent gardé Tessa ces derniers temps et au début, Cora trouvait que c’était une excellente chose pour empêcher sa fille de filer du mauvais coton: Tessa est en effet de plus en plus rose&Barbie addict et Cora trouve cette évolution atroce. Rien de tel, s’est-elle donc dit, que de l’envoyer rouler un bon coup dans la gadoue avec Louis et Hugo, «ces petites brutes crasseuses qui passent leur temps à se flanquer sur le citron» – Cora n’a évidemment pas formulé les choses comme ça devant Chantal.

Au début, tout se passait merveilleusement: chaque fois qu’elle allait la récupérer, Tessa semblait avoir oublié toute inclination coquette et ses compétences de boxeuse étaient en nette progression. Seule ombre au tableau, Tessa s’est mise à parler comme Chantal: «Maman, c’est des MSC, nos sticks de poisson?» ou «Des fraises! Mais ça va pas! Les camions qui puent, ils ont fait puer tout le paysage pour les amener ici et c’est des pauvres monsieur africains qu’on a forcé à les planter sous des tentes en plastique dans de la terre qui est pas de la vraie terre!» Cora a d’abord pensé que ça allait lui passer. Mais Tessa a définitivement viré fliquette du panier de la ménagère, allant jusqu’à refuser de colorier les œufs de Pâques à l’école sous prétexte qu’ils n’étaient pas bio.

Heureusement, dimanche dernier, le Lapin de Pâques a remis les pendules à l’heure dans le jardin de Cora et Sam: en y cachant pour Tessa une somptueuse Barbie en robe de soirée rose à paillettes – et en glissant le bon d’échange dans le portefeuille de Sam, au cas où Tessa préférerait la tenue Sissi.

4 avril 2009

Ich bin ein Berliner...

Depuis plusieurs semaines, Marc était en proie à une nostalgie berlinoise à peine soutenable. Alors quand sa belle-mère a proposé d’emmener Leo à Euro Disney, Marc a aussitôt clamé: «Quelle excellente idée!». Puis il s’est rué sur son ordi afin de commander deux billets pour Berlin et de skyper Gerd, son ancien coloc végétalien de Kreuzberg, lequel leur a proposé illico une chambre dans la WG pour le week-end. Aucun doute: Berlin l’attendait! En atterrissant à Tegel, Marc a d’ailleurs senti monter en lui quelque chose comme une prise de conscience: Ich bin ein Berliner… C’était si profondément euphorisant que dès son arrivée à Kreuzberg, Marc s’est enfermé avec Julie dans la piaule de la WG et lui a arraché ses vêtements avec une ardeur remarquable.

Ils étaient déjà bien lancés quand tout à coup, quelque chose a fait boum au plafond. Ça leur a un peu coupé la chique, mais ils n’ont pas tardé à reprendre avec enthousiasme là où ils en étaient restés. Re-boum. Marc: «On s’en fout…» Julie: «Ouais…» Bruits intimes. Boum-boum. Marc n’en revenait pas: c’était tellement anti-Berlin cette manière de faire comprendre aux gens qu’ils dérangeaient. Ils devaient résister, brandir leur bulle érotique comme un statement. Mais quatre tentatives de reconstituer ladite bulle et sept boum plus tard, Julie et Marc ont fini par se rhabiller.

Le soir, ils ont pris l’apéro sur le toit de l’immeuble et Marc a demandé à Gerd qui étaient les voisins du dessus. «Un couple hypertolérant, avec un humour hyperberlinois», a répondu Gerd. Marc n’y comprenait plus rien. Est-ce que Berlin était toujours Berlin? Finalement, lesdits voisins, Dieter et Ursula, les ont rejoints sur le toit. Quelques bières plus tard, Dieter soufflait à Marc: «Au fait, pourquoi vous vous êtes arrêtés, ta femme et toi? Vous aviez pas compris qu’on plaisantait?»

21 mars 2009

Selfconfidence à l’épreuve

Mes enfants ont commencé le foot et remis aux calendes grecques l’éventuelle pratique d’un instrument de musique. Cette situation est le résultat d’un chef d’œuvre de manipulation. Extraits: «Tu sais, ce qu’il y a de bien avec le foot, maman, c’est qu’on est dehors. Ceux qui jouent d’un instrument, ils sont toujours enfermés.» «Et puis tu vois, si en plus on fait la musique, ça va faire trop, ça va nous stresser, comme ces enfants que les parents bourrent avec des tas d’activités et que toi tu dis que ces parents, ils sont cinglés.» «Moi, je veux faire de la musique, mais je veux jouer de la guitare électrique et y’a pas de guitare électrique pour les enfants. Alors je pourrai commencer seulement quand je serai grand.»

Bon, donc une fois le foot adopté et les carrières de violoncellistes envolées, il a fallu s’occuper des tenues. L’aîné et le cadet voulaient absolument revêtir les maillots polyester couverts de sponsors et les baskets dorées que leur a achetés ma belle-mère. Mais j’ai aussitôt mis le holà en leur assurant qu’à l’entraînement, <em>personne</em> n’était habillé comme ça. Le jour venu, mes enfants étaient les seuls sur le terrain à ne pas porter de tenues polyester – même les trois filles alibi en avaient avec dans le dos le nom d’un dieu shooteur en majuscules (une Frei, une Torres, une Hakin). Heureusement, les baskets dorées qu’ils avaient enfilées à mon insu leur ont sauvé la mise (Ronaldinho et Torres numéro 2 avaient les mêmes).

Bref, ma selfconfidence parentale est au plus bas et ça doit se voir. L’aîné m’a annoncé que la prochaine fois chez la coiffeuse, c’est lui qui donnerait les instructions. «Je lui dirai que je veux court devant et sur les oreilles, mais long derrière, avec des mèches.» J’ai dix jours pour déjouer ses plans tifs à la sauce Opel Manta.

7 mars 2009

En toute honnêteté

Tout le monde a beau le considérer comme un salaud, Paolo, lui, s'est toujours vu comme un mec réglo. Ça ne veut pas dire, bien sûr, qu’il n’ait jamais fait de coup bas. Mais il les a toujours perpétrés en toute honnêteté.

Par exemple il n'a jamais caché à Anke qu'il la plaquait parce qu’il avait envie de se taper d’autres nanas. C’était vache, d’accord, mais c’était réglo parce que c’était honnête. Autre exemple plus récent, son coup de maître professionnel: l’éviction de Jim le Néo-Zélandais du poste de directeur de l’institut. Paolo avait toujours dit à Jim qu’il voulait le poste. Pas hargneusement, bien sûr, mais en riant et en lui tapant sur l’épaule autour de quelques bières. C’était peut-être tordu, mais il n’avait rien dissimulé. Ça n’avait pas empêché Jim de faire celui qui tombait des nues quand il avait appris qu'au dernier congrès, Paolo avait séduit Hillary, l'experte américaine, ET June, la fiancée de Jim. Okay, sa stratégie de déstabilisation était discutable, Paolo l’admettait volontiers. Mais c’était réglo parce qu'il avait agi en toute honnêteté.

«Ça tient pas, ce que tu dis, affirme Sam en vidant sa chope. Tu cherches une excuse pseudo-noble pour te dire que t’es pas un salaud. Alors que t’es un salaud.» «Moi je trouve que ça tient parfaitement», estime Sean. «Forcément, t’es Amércian et t’es un requin, rétorque Sam. Ton avis ne compte pas.» Mais Sean persiste: «En fait, je dirais même que t’es maladivement honnête. Il t’est déjà arrivé de resquiller?» Paolo réfléchit avant de lâcher: «Non, en fait jamais.» «J’en étais sûr!, exulte Sean. Et tu veux que je te dise pourquoi? Parce que ça te fait moins mal de payer ton ticket que d’être incapable de raconter un bobard au contrôleur.» «T’as raison, dit Paolo, stupéfait. C’est exactement ça. Comment t’as fait pour savoir?» «C’est l’avantage d’être Américain, fait Sean. On a chacun son analyste.»

21 février 2009

La fin, la tarte et les moyens

Chantal, Patrick et les jumeaux passent les relâches de février en Engadine. Alors que Patrick, Louis et Hugo s’éclatent lattes aux pieds dans des portions de paysage hérissées de skilifts, Chantal proteste «contre la violence aveugle des remontées mécaniques et du sport de masse» en pratiquant la raquette à neige et en prenant acte avec consternation de l’enthousiasme que son mari et ses fils nourrissent pour les télésièges chauffants. Et l’effort vrai, alors? Et la magnificence d’une nature intacte? Et le CO2? Incroyable qu’il suffise d’un hiver à peine plus rude pour que tout le monde oublie que la planète est au bord du gouffre. D’autant plus que tout ce froid et toute cette neige prouvent le réchauffement!

Bref, c'est la débandade. Patrick dit de plus en plus de mal de la Prius et a atteint des sommets de mauvaise foi pendant les quatre petites heures durant lesquelles ils ont dû patienter (moteur éteint) aux portes du tunnel de la Vereina. «Je t’avais dit qu’on aurait mieux fait d’aller en Autriche!, a-t-il fulminé. Mais non! Avec ton obsession de consommer local, on se retrouve bloqués avec tous les cons!» Quant à Hugo et Louis, c’est une catastrophe: ils ne pensent plus qu’à la compète et à éclaffer au slalom «les taches qui skient pas parallèle».

Pourtant, Chantal ne s’avoue pas vaincue. Et comme elle n’a pas trouvé d’école de ski alternative susceptible de transmettre de vraies valeurs à ses fils, elle a empoigné le problème à sa façon. En les menaçant pendant que Patrick était aux toilettes de les priver de slalom et de «torta di nusch» pour le reste de la semaine. Ça a marché: depuis mercredi, Louis a dit deux fois «Ce qui compte, c’est de participer» et Hugo a renchéri «Pis tout le monde, il a des qualités».

7 février 2009

Signs…

Isabel a emmené Marion aux bains thermaux pour «une sortie entre filles». Mais Marion lui a d’emblée fait comprendre qu’elle trouvait cette perspective craignos et se l’est jouée 100% évitement tout au long de la barbote – genre «Je me barre vers les buses dès que tu me rejoins au bain à remous» ou «Si tu fais mine de te pointer aux buses pendant que j'y suis, je fous le camp à la cascade». Isabel sentait planer sur elle le spectre ado. Fini, les câlins, les échanges tendres: d’ici peu, il faudrait parler soutien-gorges, contraception…

Histoire de rompre avec ces pensées déprimantes, Isabel a quitté les bassins pour l’aire de repos. Elle était en train d’attraper sa serviette lorsqu’une voix d’homme a chuchoté derrière elle: «Excusez-moi…» Isabel s’est retournée pour découvrir un trentenaire très craquant qui tenait dans les bras un bébé encore plus craquant. C’était un signe! Le destin venait à son secours, consolateur! «Vous pourriez garder mon fils pendant que je vais aux…, a demandé le trentenaire à voix basse, en désignant d’un geste éloquent le couloir qui menait aux toilettes. Ma femme est au massage, et là, vraiment…» «Mais bien sûr!», s’est exclamée Isabel. Et elle a tendu les bras vers l’adorable bébé, qui, tandis que son papa détalait aux waters, l’a gratifié d’un lumineux sourire avant de s’abandonner contre elle, de tout son petit corps. Indicible, cette émotion... Et si Juan et elle s’étaient trompés, avec leur idée d’enfant unique? Si le bonheur, c’était ça? Isabel défaillait. C’était un signe! Il fallait qu’elle parle à Juan! Qu’ils reconsidèrent la question!

Elle était encore en proie à sa bouffée maternante, lorsque le papa est réapparu, déclenchant inopinément une violente crise de gigote chez l’adorable bébé, dont mimines et petons ont rageusement bataillé en quête d’appui. Pour finir par se contenter du bikini d’Isabel, qui s’est retrouvée publiquement dépoitraillée et déculottée sans avoir eu le temps de dire ouf. Un autre signe? Sans aucun doute.

24 janvier 2009

Téléportation, interprétation, révélation

Le cadet est un être paradoxal. Il déteste qu’on l’embrasse et si on s’y risque, il s’essuie la joue derechef d'un air dégoûté. En revanche, il pratique avec assiduité la câlin-téléportation: lorsqu’il est saisi d’une pulsion contact, vous le retrouvez tout à coup araldité à vos genoux ou à votre flanc, sans l'avoir vu venir ni bondir. Or récemment, le cadet a découvert qu’il maîtrisait aussi la téléportation dorsale, une variante qui lui permet de se retrouver coincé comme par enchantement entre mon dos et le dossier de la chaise. Action qu'il ponctue systématiquement d'un «Mmh…» extatique, comme si mon seul contact représentait du concentré de délice. Avis à tous ceux qui hésitent encore à faire des enfants, c’est le genre de moment où le grand «Pourquoi?» de la condition parentale trouve une résolution définitive: là, c’est ontologique, indéfectible, vous savez.

Mais je reprends: j'ai le le cadet téléporté blotti dans mon dos, puis tout à coup, ses doigts se mettent à pianoter sur ma taille... et semblent vouloir me dire quelque chose. Genre la stupéfaction qu'ils éprouvent à pouvoir s'enfoncer aussi profondément sans rencontrer la moindre résistance - musculaire ou osseuse - alors que de mon côté, j'essaie désespérément de bander mes muscles pour leur en boucher un coin. Peine perdue, le cadet est en train de m’objectiver le lard. Et il en rajoute: «Dis, Maman, comment ça se fait que ce soit si mou, là?»

Ça y est, je suis Bridget Jones, la loose qui désespère de jamais devenir une sylphide et à qui on vient d’asséner le coup de grâce en lui ronronnant «Mmh, tu es si moelleuse…» Avis à tous ceux qui se demandent quand on abandonne définitivement toute perspective sylphidique: là, c’est ontologique, indéfectible, vous savez.

3 janvier 2009

Soupçons et caneton

Lumi a emmené toute la famille en Finlande pour le Nouvel An. Ils crèchent dans une cabane lapone perdue dans la neige, avec trois autres cabanes autour. Dans les deux premières, il y a des copains de Lumi et dans la troisième un sauna. Pendant la journée (qui dure deux heures), ils font du ski ou du traîneau et sifflent du café. Le soir (qui dure tout le reste), ils guettent les aurores boréales, font des saunas et quand les enfants sont couchés, sifflent de l’alcool, regardent des séries ou s'adonnent au karaoké... Sean trouve ces vacances fantastiques – si l’on passe sous silence les faces hilares des potes de Lumi qui ont pleuré de rire en l'écoutant rocker «Wild Thing».

Enfin ce bilan très positif, c’était avant la discussion de tout à l'heure. Depuis, Sean est rongé de doutes. Lumi a-t-elle des soupçons? Tout a commencé alors qu'ils mataient «Deadwood». Al Swearengen se livrait à un nouveau coup tordu quand Lumi a dit: «Tu sais, ce caneton que tu as ramené de Hong Kong à Pirkko, je me pose des questions…» Ça y’est, s’est dit Sean, elle sait! «Il est bizarre, ce machin, a poursuivi Lumi. T'es sûr qu'il n'y a rien de nocif, là-dedans?» «Absolument», a répondu Sean. Oh My God! Je suis foutu... Jouer le tout pour le tout: «Bon, on le regarde cet épisode ou on fixe toute la nuit sur le caneton?» Lumi a attrapé un rollmops et redirigé son regard vers l'écran, déclenchant chez Sean un soupir intérieur de soulagement: il n'aurait pas à avouer ce soir que le «caneton» était en réalité un présent érotique de la très troublante Miss Ming... Un présent que Pirkko avait extirpé toute seule de sa valise et aussitôt baptisé «Mon cadeau!»

Conscient que ce n'était qu'un sursis, Sean a chapardé le «caneton» pendant que tout le monde dormait et est sorti dans la nuit, bien décidé à le faire disparaître à tout jamais dans la neige lapone. Il était en train de creuser lorsqu'une aurore boréale a irisé le ciel. Et derrière son voile mordoré, il y avait Al Swearengen qui lui souriait d'un air complice.