22 novembre 2008

Le riz de l’adversité

Sam a attrapé la crève, ce qui doit lui arriver tous les douze ans. Mais cette fois, c’est la bonne, il est hors circuit: le cerveau en bouillie, le nez patateux, les yeux larmoyants. Cora lui a même décoché un regard apitoyé ce matin, comme s’il avait cessé d’être Super-Sam, l’homme de toutes les situations, le seul mâle capable de faire 3 trucs en même temps, comme 1) surveiller la cuisson du repas, 2) raconter une histoire palpitante aux enfants, 3) imaginer un concept stratégique de génie pour le boulot. L’horreur, quoi. Tellement l’horreur que Sam a ingéré une dose massive d’ibuprofène et au bout d’une petite heure, il s’est senti mieux. Mieux et même carrément prêt: 1) à apporter la poubelle au container, 2) à rentrer la bagnole au garage, 3) à aller acheter une paella chez le traiteur. Cora allait voir ce qu'elle allait voir!

Sam a enfilé pompes et manteau, attrapé le sac à ordures, le trousseau de clés et est sorti de la maison, la démarche cool et altière. Un Super-Sam pur beurre, qui, arrivé au container, a balancé le sac d’un geste leste... et réalisé, en entendant un lugubre <em>bling-blang-blong</em>, qu’il avait balancé en même temps son trousseau de clés. Mais Sam n'a pas craqué: après s’être assuré que personne ne le regardait, il s’est hissé dans le container où il a farfouillé avec opiniâtreté. Vingt minutes d’effort et de puanteur plus tard, il récupérait ses clés dans un sac crevé d’où s’échappait du riz moisi. Saloperie d’adversité! Mais il l’avait emportée!

Sam était en train de s’extraire triomphalement du container quand il s’est retrouvé nez à nez avec Cora. Le regard qu’elle lui a décoché était encore plus apitoyé que ce matin. «Seigneur a-t-elle murmuré. Rentre vite.» «Je pensais aller nous chercher une paella», a suggéré Sam. «C’est ça, une paella, a fait Cora en désignant les grains de riz moisis collés à son manteau. J’ose pas imaginer combien t’as de fièvre.»