2 août 2008

Les doigts dans le nez

Cet été, Cora et Sam ne sont pas partis en vacances: Cora a du boulot par-dessus la tête et Sam fait un stage intensif de tennis. La crèche est fermée, mais ils ont réussi à organiser avec leurs voisins un système de garde tournante pour les enfants. Un coup de maître qui leur a coûté quatre après-midi café-cake diplomatiques à mourir d’ennui, mais qui a permis à Cora de sacrément bien bosser et à Sean d’améliorer considérablement son revers. Le concept les a d’ailleurs enthousiasmé au point de leur faire affirmer à au moins quatre reprises: «D’ailleurs, on se demande pourquoi on continue à payer des crèches, quand la solution est là, au coin de la rue!». Enfin ça, c’était jusqu’à ce que ce soit le tour de Cora de garder les six bambins – c’est-à-dire de devoir se dépatouiller seule sur la pelouse (Sam était au tennis, ce salaud) avec une hydre bambinesque à six têtes (Tessa-Victor-Mike-Ludo-Garance-Violette) qui se disputaient le droit d’aînesse sur le tuyau d’arrosage.

Les choses suivaient leur cours (c’est-à-dire que Ludo venait d’arracher le tuyau des mains de Garance qui protestait en le traitant de «gros derrière»), quand son portable a sonné. Un coup d’œil au display à suffi à Cora pour identifier qui l’appelait: son client phénoménal, celui qui lui assure les meilleurs mandats! Aaahrgh!!! Elle a longuement hésité, puis crié aux enfants «Soyez sages, je reviens!» et a couru s’enfermer dans son bureau.

Mais elle avait à peine eu le temps de dire au client phénoménal d’un ton flatteur «Mmh, c’est le genre de projet aussi ambitieux que prometteur…», que le petit Mike s’est mis à hurler. Cora a aussitôt fermé la fenêtre pour étouffer ses cris. Trop tard, Violette tambourinait déjà contre la vitre en articulant des trucs incompréhensibles. Cora a alors battu en retraite à la cuisine en continuant de déblatérer d’une voix exagérément posée: «Une autre option serait évidemment d’envisager une partition symétrique des contenus, ce qui aurait l’avantage de faciliter l’approche multiorientée que vous ambitionnez…». Peine perdue: Tessa a déboulé en criant: «Maman, y’a Maïke ki saigne!»

Cora s’est aussitôt ruée au dehors en s’exclamant à l’attention du client: «Mais le concept a l’air a-bso-lu-ment passionnant!» Puis elle a jeté son portable vers la cuisine, attrapé Mike, refoncé à la cuisine, crié vers le combiné au sol «Je vous entends mal là… Oui, le réseau!», avant d’ouvrir le congélateur et d’y pousser Mike pour qu’il se chope une glace. Sur quoi Garance a vociféré: «Moi aussi, j’veux une Coloretto!»

Cora a repêché son portable. «Vous avez dit quelque chose?», a demandé le client phénoménal. «Nooon, a assuré Cora en plaquant sa main sur la bouche de Garance qui a écarquillé des yeux scandalisés. Mais vous savez, je crois qu’il vaut mieux que je vous rappelle depuis un fixe!». Elle a raccroché, hors d’haleine, distribué les Colorettos à la ronde, fait semblant d’inspecter le ciel limpide et déclaré d’un ton sentencieux à l’hydre bambinesque à six têtes: «Vous savez quoi, les enfants, j’ai vraiment l’impression qu’il va y avoir de l’orage. Alors, une télé, ça vous dit?»

Résultat: Cora a eu le mandat. Mais la garde tournante a pris fin ce jour-là. Après que Violette a raconté à sa mère «Pis je tapais cont’la f’nêtre pis elle venait pas pis Maïke y pleurait!», Mike à la sienne «Elle m’a poussé pis chuis tombé dans l’congélateur!», et Ludo à son père «Pis on a regardé deux films et dans un, ben y’avait un robot cool ki f’sait peur!»