«Je crois que Marc fait sa crise de la quarantaine, nous a confié Julie, l’autre jour sur une terrasse. Ça fait trois semaines qu’il me bassine avec un bilan de sa vie sauce nostalgie. Genre ‘En fait, quand j’y pense, je vivais des trucs vachement forts avant de te rencontrer’. C’est pas odieux, ça?» Anke et moi avons acquiescé vigoureusement.
«Mais ce qui craint le plus, a ajouté Julie, c’est qu’il a ressorti ses disques de l’époque berlinoise.» «Aïe!», a fait Anke. «Et il les écoute sans arrêt, a poursuivi Julie avec humeur. Il prend cet air extatique, bourré de sous-entendus, genre ‘tu peux pas comprendre’… (Julie s’est mise à imiter Marc) …Le Berlin de l’époque? In-croy-able…Il y a avait une énergie… Un désespoir... La chute du mur, il faut l’avoir vécue pour comprendre...» Puis ç’a été au tour d’Anke de «parler Marc»: «Nick Cave… Les clubs… Si vous aviez vu comme on vivait dans Kreuzberg… Ces appartes in-croy-ables à 7 mètres de plafond…» «…Et ça caillait tellement qu’on devait dormir avec nos Docs…», a enchaîné Julie.
«En fait, Marc est en train de devenir comme ton père», ai-je dit en me tournant vers Anke. «Y’a de ça», a admis Anke. Avant de se mettre à imiter son paternel: «Mai 68, à Paris, les filles, vous avez au-cune idée, vous pouvez pas i-ma-gin-er… L’élan…» «…Cette conscience politique dans tous nos gestes…», ai-je ajouté. «…Et la petite étudiante maoïste qui brûlait son soutien-gorge devant le Flore…», a rechéri Julie. «Et la fois où il a touché Cohn-Bendit…, a soupiré Anke d’un air douloureux. Non, pitié…»