27 avril 2005

Just do it!

Sean, le mari de Lumi, est un Américain comme les Européens les aiment: ni Républicain ni inculte ni obèse, mais svelte, brillant, polyglotte et doté d’un humour exquis très Côte Est. C’est aussi un as de la finance. Jusqu’à récemment, Sean bossait dans une banque privée pour un salaire mirobolant – qu’il estimait d’ailleurs parfaitement mérité. Et puis, il s’est produit un truc scandaleux, inexplicable à ses yeux: il a été viré.

Mais Sean ne s’est pas avoué vaincu et a fait honneur à ses origines: on est un self made man made in America ou on ne l’est pas. Son licenciement est devenu un «stimulant défi» et le chômage «une simple parenthèse» pendant laquelle il aurait «enfin plus de temps pour les enfants». Dans son fort intérieur, il était convaincu que ça lui prendrait six semaines à tout casser avant d’être réembauché. Car Sean est un adepte de la religion «Just do it!», dont la liturgie dit «Si on veut, on peut». Or lui, il se donne, il y croit et il en veut à mort. Donc ça ne peut que marcher. CQFD.

Mais les six semaines ont passé et rien. Malgré un dossier nickel et des entretiens béton. Après trois après-midi en forêt, ses enfants lui ont fait comprendre qu’ils en avaient marre de griller des saucisses. Et après trois après-midi de pluie passés avec eux chez Ikea, Sean a avoué à Lumi qu’il n’en pouvait plus, qu’il les aimait mais qu’il n’en pouvait plus, et qu’avec la lessive, il était dépassé.

«Il est un peu au fond du trou, conclut Lumi. Mais ça le rend meilleur: il ne dit plus just do it.» 

20 avril 2005

Héritage féministe

Lumi est Finlandaise et tente en Suisse une expérience qui lui vaudrait illico l’opprobre de ses compatriotes: elle est femme au foyer. Non qu’elle ait la fibre ménagère. Les fées du logis la laissent perplexe, ses talents culinaires se résument à suivre les indications qui figurent sur l’emballage des plats précuisinés et elle a trouvé ses études universitaires passionantes. Alors quoi?Eh bien Lumi est femme au foyer par protestation contre ce qu’elle appelle le «dogme féministe finlandais qui définit une femme exclusivement par son boulot». Elle est convaincue qu’on peut faire les choses «différemment». Le problème, c’est qu’elle n’a pas encore trouvé comment. Par exemple, ses enfants lui courent sur le fil avec la même régularité qu’ils courent sur celui de mères qui bossent au moins à temps partiel.

Mais Lumi est plus finlandaise qu’elle ne veut bien l’admettre. La preuve par la dernière party où je l’ai vue. Une soirée assez branchée où elle a débarqué sans make-up vêtue d’un velours côtelé stretch taille haute et d’un col roulé bûcheron. Il faut avoir reçu une éducation 100% féministe pour oser ça. Elle a gentiment salué l’assemblée incrédule avant d’aller raffler au bar une bouteille de Prosecco et une autre de Coca (elle aime bien boire les deux en alternance «pour équilibrer» dit-elle). On s’est assises et après quelques flûtes & Coke, elle m’a dit qu’elle tenait peut-être la solution: «Je crois qu’on va faire un troisième enfant. Il paraît que là, tu lâches totalement prise et que tu deviens définitivement cool.» 

13 avril 2005

Obsession substitution

C’est un truc que j’ai depuis petite: je découvre une recette, elle me fait envie et paf, me voilà limite obsessionnelle. C’est comme une urgence. Là, tout de suite, même si je n’ai pas les ingrédients, il faut que je cuisine, que je prépare ça.

A 11 ans déjà, je ne pouvais pas lire la recette de la tarte au citron par Freddy Girardet sans courir aussitôt à la cuisine pour la préparer en me contenant du contenu anti-cholestérol de notre frigo familial. Avec du séré maigre à la place de la double-crème, le résultat était granuleux, mais l’urgence apaisée.

Ça me reprend régulièrement. Dernière en date: la baguette fusion, dont je dois la recette au «Tages-Anzeiger». Le met témoigne, dixit l’auteur, de la «double empreinte culinaire laissée par les Français en Indochine: la baguette et la Vache-qui-rit». Il paraît qu’au Viêt-Nam – je dis il paraît parce que je n’y ai jamais mis les pieds – on en fait des tartines garnies de viande rôtie ou de saucisson, le tout parsemé d’herbes aromatiques hachées.

L’évocation de cette rencontre croustille-graisse-poivre m’a fait saliver illico. J’ai rongé mon frein toute la soirée en me repassant mentalement le contenu du frigo jusqu’au coucher des enfants. Et puis, j’ai attrapé le Pain Paillasse (pas de baguette sous la main), je l’ai copieusement enduit de Tartinette (j’avais pas de Vache-qui-rit), garni de saucisson fribourgeois (à la guerre comme à la guerre) et de menthe (coriandre décidément trop racornie)... Extraordinaire! Et vous savez quoi? Je trépigne à l’idée de recommencer.

4 avril 2005

Mères slims

La grossesse était jusqu’à récemment le seul épisode de la vie d’une femme où son corps avait le droit d’être enrobé et moelleux. Mais aujourd’hui, gynécologues et guides pour «Neuf mois en pleine forme» vous enjoignent à ne pas dépasser 12 kilos côté prise de poids. Heureusement, notre cerveau reptilien nous fait ignorer cette punition diététique. Si bien qu’en règle générale, on pèse plutôt 20 kilos de plus la veille d’un accouchement et presque autant le lendemain.

Mais les corps tendres et charnus des accouchées pourraient bien être une espèce en voie de disparition face à l’invasion des mères slims. Comme celle qui partageait ma chambre à la mat et qui deux jours après la naissance de sa fille enfilait avec désinvolture des jeans taille 36, alors que les vêtements de grossesse continuaient de m’aller presque comme un gant. Pourtant cette négation incarnée du bidon post-partum affirmait avoir «craqué sans arrêt» quand elle était enceinte. Là, je la suivais totalement – la grossesse, c’est fantastique et planant parce que justement n’arrête pas de craquer pour des choses délicieuses. Mais alors que moi j’avais craqué durant trente-huit semaines pour des spaghetti carbonara ou des pâtisseries, elle, elle avait régulièrement craqué… pour des pommes.

Comment peut-on «craquer» pour des pommes? Rien que l’énoncé est suspect et symptomatique d’un mensonge collectif. Ça me met d’ailleurs tellement en rogne que je vais me faire une carbonara archi-riche ce soir. Et tant pis pour le 36.