30 mars 2005

Sexe, re-sexe et cinéma

Marc Forster a raconté pendant la promo de son film «Finding Neverland» qu’il s'était repassé toutes les scènes de sexe de l’histoire du cinéma. Il a évidemment omis de dire dans quel état ça l’avait mis. Mais on connaît aujourd’hui son tiercé gagnant: «Don’t Look Now» de Nicolas Roeg, «Out of Sight» de Steven Soderbergh et «Jungle Fever» de Spike Lee. Pas mal, mais j’ai deux outsiders.

D’abord «The Piano» de Jane Campion, où tout n’est que jeu subtil, détail affolant du grain de peau, effleurements, violence contenue… un monument. Ensuite, il y a «8 Mile» de Curtis Hanson, le film où Eminem rappe et a les tifs désoxygénés, que j’ai vu récemment lors d’une séance de rattrapage DVD. Je sais, ça fait des lustres qu’il est sorti. Mais alors que j’ai pu lire partout le dossier de presse recopié («C’est un peu la vraie vie d’Eminem mais pas vraiment…», «Le tabou du Blanc dans l’univers hip-hop…») assorti de dithyrambes sur l’«étonnant charisme» du rappeur-acteur, personne ne semble avoir remarqué que Curtis Hanson a tourné dans ce film une scène de sexe prodigieuse et bouleversante. Je veux parler de celle où Eminem et Brittany Murphy font l’amour à la sauvette dans une usine. La scène dure 115 secondes à peine, 115 secondes d’une extraordinaire intensité où Hanson réussit à filmer l’abandon de soi dans une proximité à peine soutenable. C’est à couper le souffle.

Au point que je me demande si Marc Forster ne raconte pas des salades quand il affirme qu’il les a toutes vues…

23 mars 2005

La force du Chi

Anke est infirmière et adore dépenser l’argent qu’elle n’a pas. Lasse des intrigues hospitalières, elle a décidé l’an dernier d’ouvrir un cabinet d’esthéticienne. Elle a loué à cet effet des locaux pas chers, s’est fait faire un joli logo gratuit par une copine graphiste. Et puis, elle a pété les plombs et euphoriquement dépensé la quasi-totalité de sa caisse de pension en équipements, en déco, en cartes de visites, en prospectus, en Smart porte-enseigne et surtout en consultations feng shui – histoire de placer tout ça sous les meilleurs auspices.Le jour de l’inauguration, flûte de champagne à la main, Anke rayonnait dans son cabinet flambant neuf et totalement feng shui. Sauf que les clientes ont presque toutes oublié de venir. Si bien qu’elle a fini par mettre la clé sous la porte et est redevenue infirmière.

Voici son bilan: «Je sais ce qui a foiré et ma conseillère feng shui est totalement d’accord. Niveau circulation d’énergies, les locaux étaient catastrophiques et le rayonnement du logo tellement négatif que ça bloquait le Chi. Bref, ça ne pouvait pas fonctionner.»

Le problème, ce n’est donc pas que son quartier était déjà maximalement saturé en esthéticiennes, ce n’est pas qu’elle n’avait pas de business plan, ce n’est pas sa phénoménale aptitude à se faire baratiner par les décorateurs, les imprimeurs, les garagistes et les consultants ésotériques: c’est qu’elle a commis l’impardonnable erreur de ne pas se ruiner totalement tout de suite. C’en était trop pour le Chi. Et il s’est vengé.

9 mars 2005

Un mec impeccable

Julie a accouché il y a quinze jours de son premier bébé. Par voie naturelle sans péridurale ni épisiotomie en 4 heures 30 chrono. Sur les photos prises dans les minutes qui ont suivi la naissance, elle a à peine l’air fatigué. Une vraie pub pour l’enfantement que scrutent avec incrédulité celles qui ont enduré un calvaire de 15 heures qui s’est achevé par une césarienne en urgence et quatre côtes luxées.

Quand Julie a regagné ses pénates avec son bout de chou, Marc, son mec, a été impeccable. Il disait d’ailleurs à qui voulait l’entendre qu’il ne «comprenait pas» ces mecs qui se débinent. Il a langé et baigné le petit, fait les commis, la lessive, préparé à manger – et sans doute fait baver d’envie toutes celles dont le compagnon avait vite battu en retraite au boulot dès leur retour de la mat. Julie était en extase, folle de lui et de leur bébé. Elle se faisait jolie et mettait du rouge à lèvres.

Et puis peu à peu, Marc a remarqué qu’on avait «besoin de lui» au travail. Et comme le petit l’avait réveillé la nuit, il a dit le lendemain que «ouh là là», il avait été «KO» toute la journée et que s’il ne voulait pas «verser», mieux valait désormais qu’il ne se lève pas plus d’une fois.

Alors maintenant, Julie le laisse dormir. Elle et le petit font la sieste serrés l’un contre l’autre. Elle pleure trois fois pas jour et son apparte n’est plus un loft de catalogue. Il est 17 heures, elle est toujours en pyjama et n’a pas mis de rouge à lèvres. Elle est superbe, elle sent le bébé et le lait. Elle est maman. Pour de vrai. 

6 mars 2005

Vêtements traumatiques

Chaque fois que je vois des photos de moi quand j’étais petite, je lâche des «Regarde-moi ça!» apitoyés, comme si j’étais en train de contempler des illustrations de maltraitance infantile. Les clichés qui m’indignent le plus sont ceux qui portent indubitablement la patte de ma mère. Comme celui qui me montre à 9 ans à l’anniversaire de mon cousin en plein mois de juillet, vêtue de l’atroce petite robe de laine turquoise qui grattait et que ma mère m’avait obligée à porter pour l’occasion. Ma mère, cet être tyrannique et aliénant qui avait refusé que je mette mon dos-nu Barbie à paillettes et mes baskets orange.

En grandissant, je me suis jurée comme tant d’autres: jamais je n’imposerai ça à mes enfants. Et pourtant.

Les fringues préférées de mes garçons, celles qui leur arrachent des sourires extatiques, sont précisément celles qui me laissent le plus perplexe et que je leur ai achetées la mort dans l’âme après force supplications: le pull bolide de formule 1, le slip Power Ranger, l’horrible casquette Spiderman... Alors que moi, je les trouve à croquer dans ces adorables vêtements d’inspiration vintage totalement hypes façon faux second hand - vous voyez ce que je veux dire? La preuve que leur goût est encore immature, c’est qu’ils ont l’air de se résigner à les porter.

Quand je dis ça au chéri, il acquiesce. Et me brandit sous le nez la photo de moi à 9 ans en robe turquoise qui gratte. Histoire sans doute de me rappeller qu’il ne suffit pas de bonnes intentions pour rompre une chaîne névrotique. 

3 mars 2005

Comestibles

Cora vit en ce moment l’épreuve suprême du post-partum allaitant: la mastite. Car outre le fait que cette «inflammation de la glande mammaire» (Petit Robert) est abominablement douloureuse, elle a le don de faire basculer sa victime au rang de bidoche à apprêter.

C’est le gynécologue de Cora qui s’est laissé aller le premier en découvrant sa poitrine souffrante et enflammée: «Bonté divine! a-t-il lâché avec tact. Mais on dirait du coulis de tomate. Et c’est tellement chaud qu’on pourait faire cuire des œufs au plat là-dessus!» La sage-femme, appelée à la rescousse pour accélérer la décongestion des nénés souffrants, a aussitôt pris le relais en expliquant que la règle d’or pour traiter une mastite, c’est «vider et mettre au frais». Or comme le cold pack de Cora, qui aurait dû favoriser la «mise au frais», était bien au chaud dans son armoire à pharmacie au lieu de se pétrifier au congélo, la sage-femme lui a conseillé de mettre des petits pois surgelés dans un sachet en plastique et de glisser le tout dans son soutien-gorge après chaque tétée. Elle lui a également recommandé d’appliquer sur ses seins des gazes enduites de séré maigre et des feuilles de chou glacées. Un vrai menu thérapeutique.

Si bien que depuis quatre jour, entre chaque tétée, Cora endure un décoleté qui embaume la jardinière de légumes (quand son traitement comestible dégèle) ou marine dans du petit suisse. Mais elle tient le coup. Et encaisse stoïquement quand son gynécologue soupire: «Ah oui, le coup du fromage blanc. Vous verrez: après, on n’a plus envie d’en manger.»