30 mai 2009

Des santiags et des hommes

Isabel et Juan sont ensemble depuis quinze ans et ils ont décidé de fêter ça à la sauce nostalgique: sur la plage carmaguaise où ils avaient passé leur premier week-end en amoureux. Tout un symbole, cette sublime langue de sable battue par les embruns, qu’à l’époque seuls de rares élus cool comme Juan connaissaient – «alors qu’aujourd’hui, c'est plein de campeurs et de familles, l'horreur, quoi», déplore Juan.

Mais pour leur week-end remember, la Providence s’est montrée clémente. Juan et Isabel ont pu se taper la cloche au resto gitan en ayant l’impression d’être seuls au monde. C’était tellement bon vieux temps que Juan s’est senti magiquement rajeunir et s’est félicité d’avoir emporté ses santiags – celles qu’il portait lors du fameux tour à cheval avec Isabel, il y a quinze ans, un tour à cheval chargé d’une tension sexuelle tellement insoutenable qu’il s’était terminé dans le premier bosquet de roseaux. Juan n’avait même pas eu le temps de retirer ses bottes.

Après le resto, ils ont regagné l’hôtel et Juan a tiré ses mythiques santiags de sa valise pour les brandir comme deux trophées. «Hé, hé!, a-t-il lancé. Tu les remets?» «Tu les as encore?», a fait Isabel. «Je veux!», a clamé Juan en les contemplant avec fierté. Isabel a réfléchi quelques secondes. Avant de dire: «Donc t’as toujours pas réalisé à quel point elles étaient grotesques, ces santiags?» Juan a ouvert la bouche, outré. Avant de dire: «Y’a quinze ans, tu crachais pas dessus!» «C’était le début! T’étais enthousiaste, je voulais pas te scier.» Juan était abasourdi. «Demain, je les mets pour le tour à cheval», a-t-il annoncé d’un air de défi. «Riche idée, a répondu Isabel. On aura tous les paparazzis aux fesses.» Juan l’a regardée sans comprendre. «Ben oui, a fait Isabel. Ils vont croire que Sarko est revenu jouer au cow-boy sur son camarguais!»

16 mai 2009

L’origan ne fait pas le printemps

Paolo a croisé Anke et ça l’a énervé parce que c’est chaque fois pareil et ça commence à bien faire. Ils se revoient depuis des mois. En toute décontraction. Sans ambiguïté. En amis. Et pourtant, ça ne loupe jamais. Chaque fois qu’Anke pénètre dans son champ de vision, Paolo la ressent, cette satanée morsure au ventre.

Donc quand Anke lui a fait signe depuis la terrasse du café, la morsure a fait son cinéma. Mais ça n'a pas empêché Paolo de feindre en pro l’air ravi de l’ami qui croise une amie pour laquelle il ne ressent «qu’une profonde affection». Il a pris place à côté d'elle, ils se sont commandé 3 décis avec des olives piment-origan et Anke a achevé de l’irriter en lui faisant comprendre que là, avec lui, le rosé et les olives, elle tuait juste le temps en attendant Dany. «Dany?», a demandé Paolo d’un air incrédule, comme si Dany était le prénom le plus débile de la Création. «Dany», a confirmé Anke en souriant de toutes ses dents.

En temps normal, Paolo aurait ressenti une haine sourde (effet secondaire de la morsure). Mais là, le large sourire qu’il lui a retourné était complètement sincère, parce qu’au coin de l'incisive d'Anke, le destin venait de lui faire signe – sous la forme d’une feuille d’origan. Et Dany qui allait débarquer! Qui ne pourrait plus détacher ses yeux de ce machin vert! Qui tenterait peut-être de faire comprendre à Anke le caractère embarrassant la situation… par exemple en commençant à se curer les dents! Ha Ha! Paolo s’est plongé avec délice dans la contemplation de la petite feuille d’origan. Elle était si mignonne! Si providentielle! Il aurait pu l’embrasser!

«Mais ça va pas?», s’est exclamée Anke tout à coup. Paolo a mis une seconde à réaliser que son visage n’était plus qu’à trois centimètres de celui d’Anke, ses lèvres juste en face des siennes. «Arrête de prendre tes désirs pour des réalités, a-t-il répliqué en se renversant dans son fauteuil d’un air dégagé. T’as un truc entre les dents et je voulais te... Mais bon, si tu tiens absolument à ce que Dany te découvre sous ton jour canine aromatique...»

2 mai 2009

Message In A Bottle

La scène représente deux copines (H et J) en voiture, en train d’écouter la chanson «No You Girls». H est au volant.

H et J (en chœur avec Alex Kapranos, groovy): Oooooh kiss me! Flick your cigarette and kiss me! H (forçant sur la basse): Kiss me where your eye won't met me! J: J’adooooore comme il dit ça…! H: Ouais, il est tellement… H accélère un coup. [CLONG CLONG] J: C’est quoi, ce bruit? H: Ah rien, juste une bouteille consignée qu’il faut que je ramène au magaze (balançant rythmiquement les épaules) Hit me! Hit me with your eyes so sweetly! J (enchaîne): Oh you know you know you know that… [CLONG] J: N’empêche que c’est chiant, ce bruit. H: Mais on s’en fout! (gutturale) I'd love to get to know you! J (paupières mi-closes): Mmmmmhh... Do you never wonder? J et H (en chœur, crescendo): Nooo Nooo Nooo... H prend un virage un peu sec. [CLONG CLONG] J: Hé non mais fais gaffe, quoi! Tu nous bousilles le chorus, là… H: T’as pas besoin de me regarder comme si je faisais exprès, tu sais! Coup de volant de H. [CLONG CLONG CLONG] J: Je veux pas être vache, mais là, froidement, tu nous niques une chanson d’enfer juste pour pas perdre… 50 centimes? H: C’est dégueulasse et mesquin, ce que tu dis. J: Mais c’est vrai, ça nous kille tout! H: Laisse tomber. H éteint l’autoradio. J: Oh, arrête de tout prendre de travers! H: Non, non, j’ai parfaitement pigé. Tu trouves que ma bagnole est une poubelle, que moi je suis râteau… J: Pas du tout. H plante sur les freins. [CLONG CLONG CLONG CLONG] H: Tu sais quoi? Descends de ma bagnole! J (stupéfaite): Mais ça va pas? H (fâchée): Dégage, j’ai dit! J: Quoi? H (très fâchée): DÉGAGE!!!

J descend de la voiture et évite de justesse la bouteille vide que H lui balance à la tête avant de redémarrer en trombe. De l'autre côté de la route, Alex Kapranos secoue la tête avec consternation.