26 septembre 2009

Small World

Le SMS est arrivé dimanche sur le portable de Sam: «Maellys est née ce matin à 4h32! On vous embrasse, Ludo et Amalia». Ça alors!, s’est dit Sam. Ludo a une nana et il est papa! Puis il a réalisé qu'il n'avait pas revu Ludo depuis… vingt-deux ans. Et que Ludo ne lui avait jamais manqué. Quel salaud je suis, a pensé Sam. Et dire que Ludo, lui, s’était donné la peine de trouver son numéro de portable.

Sam a parlé de tout ça à Cora. Qui lui a rétorqué: «Maellys? Qu’est-ce que c’est que ce prénom débile?» «Arrête de juger, a dit Sam avec fermeté. Ce qui compte, c’est que Ludo ait trouvé quelqu’un qui apprécie sa loyauté à sa juste valeur.» «Donc on parle bien de ce mec un peu loose qui te collait aux basques quand on avait vingt ans?» «Ouais.» «Maigrichon, le nez de traviole?» «Exact.» «Hé bien ton Ludo si loyal, je l’ai aperçu hier soir au ciné. Et il tenait un autre mec par la main.» «Quoi! a fait Sam stupéfait. Non, t’as dû le confondre avec quelqu’un d’autre! Hier soir, Ludo il était avec sa femme qui accouchait et…» «C’est ça», a fait Cora d’un air entendu.

Sam a ruminé sa perplexité pendant deux jours. Ludo et… une double-vie? Ça paraissait si inconcevable! Sam a saisi son portable pour en avoir le cœur net. Il a tapé: «Au fait, Cora t’as vu samedi à Inglorious Basterds». Sur quoi Ludo a répondu: «Oui! Ai dû filer pendant séance pour chercher Amalia because contractions!» Nom de Dieu, a juré Sam. Alors Cora avait raison? Re-SMS de Ludo: «Qui est Cora?» «Ma femme. Tu te souviens pas d’elle?» «Tu sortais pas avec Muriel?» Sam a failli en lâcher son portable: Ludo savait pour Muriel!?! Sam s’est mis à réfléchir fébrilement: comment Ludo la tache pouvait être au courant de son aventure la plus secrète? Comme s’il lisait dans ses pensées, Ludo a smsé: «Cachotier!» Sam a senti la moutarde lui monter au nez. Il allait lui envoyer en retour un machin bien senti genre «Parle pour toi, pédale à mi-temps!», mais Ludo a été plus rapide avec son MMS. Sam a alors vu s’afficher sur son écran la photo d’un mec hilare qui tenait un bébé dans ses bras – et qu’il n’avait jamais vu de sa vie.

12 septembre 2009

Aléas boutichambreurs - double-suite

I. Tsss...

Sean s’était juré que la Boutichambre serait en ligne début septembre. Et il a foiré. Mais c’est vraiment pas faute d'avoir essayé. En fait, tout le monde s’est ligué contre lui. Il y a d’abord eu ce clash avec Juan qui a voulu se débiner – alors qu’il avait promis de s’occuper du layout, le fumier! Une occasion pareille, geignait Juan, il pouvait pas laisser passer: cinq jours sans Isabel ni Marion, nom d’un chien! Sean devait comprendre! Et surtout ne pas prendre personnellement. Parce que Juan allait enfin pouvoir retourner rouler des mécaniques et se rincer l’œil à la plage sans aucune arrière-pensée culpabilisatrice... Il lui suffirait de prendre une voix compréhensive le soir, au téléphone, quand Isabel appellerait, effondrée, depuis Barcelone, parce que Marion ne faisait aucun progrès en espagnol et refusait de manger avec sa famille d’accueil sous prétexte que c'était «un environnement obèsogène»…

«Entre nous, a confié Juan à Sean, moi je dis que Marion a raison. On n’est jamais trop prudent avec le gras.» «Mmh, a fait Sean. En fait, tu sais, quoi? Je m’en fous un peu.» «Pardon?», a crachoté Juan en avalant sa bière de travers. «Oh, le prends pas personnellement, a dit Sean. Je suis mono-orienté opportunités commerciales, en ce moment.» «Bien sûr, a dit Juan. C’est un sacré pari: se mettre en indépendant... à ton âge... avec ton passé... tsss...». «Tsss..., a fait Sean. C’est un peu comme toi à la plage, hein? Personne peut dire si t’arriveras à donner le change juste en rentrant le bide, pas vrai?»

Et hop, exit le layout: Juan a pris superpersonnellement.



II. Tope-là!

Il ne restait donc plus que Lumi, mais Lumi avait entamé les vacances en se faisant du souci pour Mati au lieu de se concentrer sur les accessoires boutichambreurs. «Il en va de la Finlande et de Pisa, geignait-elle. C’est la cata, il assure pas en lecture!» «Mais il est aussi à moitié Américain», a relativisé Sean. «Justement!, s’est exclamée Lumi. Il faut prendre le mal à la racine. Remets-lui la caboche en place et je te t’aide pour la Boutichambre!»

Or Sean avait aussitôt trouvé la bonne méthode avec Mati: quinze balles par bouquin lu, vingt pour les très gros, tope-là! Lumi n’était au courant de rien, évidemment, et avait vu avec stupéfaction Mati se mettre soudain à engloutir des livres de plus en plus volumineux, refusant même d’aller se baigner pour pouvoir continuer à lire... Incroyable!

Sean se frottait les mains: il la tenait! Mais au lieu d’arriver la bouche en cœur, avec une liste d’accessoires boutichambreurs, Lumi a fait irruption jeudi dans son bureau en vociférant: «Tu l’as... acheté?» «De quoi tu parles?» «De ton fils!» «Je l’ai motivé, a corrigé Sean. Pourquoi tu t’énerves?» «Parce que Mati vient de s’acheter avec tes ronds la Playstation que j’avais refusé de lui offrir à son anniversaire!» Sean a réprimé un sourire empli de fierté: sacré Mati! «Si tu m’aides à finir la Boutichambre, je négocie l’usage de la PS avec lui», a-t-il dit. Lumi a longuement plissé les paupières. Mais Sean a su qu’il avait gagné. Quand elle a fait volte-face et s’est barrée en claquant la porte, c’était comme si elle lui avait dit: «Tope-là!»