29 novembre 2005

Deux ans?!

Juan a fait une rencontre au Kieser Trainging qui lui a sapé le moral: il a croisé son voisin Frank, un maigrichon incurable dont la valeur muscle est proche de zéro. Juan a donc été stupéfait, choqué, outré d’appendre que ce dernier fréquente régulièrement le Kieser depuis… deux ans. Il a failli glapir comme un mari cocu: «Deux ans? Et c’est tout?»

Le truc, c’est que Juan soulève de la fonte au Kieser depuis un mois pour freiner l’atrophie musculaire et l’avancée du gras, typiques des années qui passent. C’est un fan: il vénère comme autant de gages d’efficacité le concept Kieser, son personnel austère et ses machines numérotées façon «technologie santé». Avant de voir Frank, Juan était persuadé d’avoir trouvé avec Kieser le bon plan pour restituer leur galbe «naturel» à ses muscles dans un laps de temps raisonnable. Alors découvrir ce Frank encore et toujours maigrichon après DEUX ans de musculation au Kieser Training, ça a été pour lui comme la cruelle mise à nu d’une scandaleuse imposture. Surtout que Juan avait vraiment l’impression d’avoir sensiblement regonflé ses triceps grâce à la machine D5. Une illusion? Il fallait qu’il en ait le cœur net.

Aux grands maux les grands remèdes: Juan est allé discrètement voler dans la carterie Kieser le programme de Frank. Il n’a pu y jeter qu’un bref coup d’œil à cause d’une monitrice en débardeur de laine qui venait dans sa direction. Mais il a quand même eu le temps de repérer une info décisive: Frank ne fait pas la D5.

Pour Juan, c’est une raison d’espérer. 

22 novembre 2005

Diagnostic BBQ

Sean nous a invité pour un «dernier BBQ avant l’hiver». Nous l’avons trouvé à 18 heures (il faisait déjà nuit noire) dans son jardin noyé de brume, avec col roulé, bonnet et moufles, en train de s’affairer au-dessus de son grill et de cinquante spare ribs qui rissolaient dans le faisceau lumineux de sa lampe frontale. Le chéri, pourtant transi de froid, a décidé de tenir compagnie à Sean en dansant d’un pied sur l’autre, histoire de comprendre comment Lumi et lui avaient fait pour ne pas mourir entre «Katrina» et «Rita» lors de leurs dernières vacances au bord du Golfe du Mexique. J’ai rejoins Lumi qui était à la cuisine en train de popoter – c’est-à-dire de sortir la bouteille de «garlic dressing» du frigo.

Lumi est terriblement enceinte: elle a le ventre colossal, le souffle court, les chevilles gonflées et l’accouchement qui menace. «J’en peux plus, m’a-t-elle dit en s’écroulant sur son tabouret. Heureusement, c’est pour vendredi: j’ai pris rendez-vous pour une césarienne.» Ça m’a coupé la chique. Pour moi, Lumi et son mètre 85 avaient toujours incarné cette archaïque puissance de la femme nordique qui accouche comme elle enfile une paire de chaussures et allaite en faisant du ski.

«Il y a juste Sean que ça perturbe à mort, a ajouté Lumi d’un air préoccupé. Il ne dit rien mais je suis sûre que s’il allait bien, il n’aurait jamais organisé ce barbecue moufles et lampe frontale. Je sais pas, il aurait fait un truc de saison.» «Comme une raclette?» ai-je hasardé. «Par exemple», a dit Lumi d’un air éloquent. 

15 novembre 2005

Desperate T-shirt

Les Romands qui ont Canal+ sont des veinards qui se délectent chaque semaine de la série «Desperate Housewives».

Les héroïnes désopilantes de cette saga, ce sont quatre femmes au foyer parquées en banlieue américaine chicos (entre nous, un peu trop bien conservées pour être crédibles, mais bon): Susan, divorcée, un concentré de maladresse abonné au débol; Lynette, anciennement cadre et aujourd’hui mère constamment débordée; Gabrielle, ex-top-model accro à tout ce qui est cher, qui trompe son mari et son ennui avec son jardinier de 16 ans; et enfin Bree, bourgeoise obsédée de perfection et championne des révélations qui tuent («Rex, mon mari, sanglotte lorsqu’il éjacule»).

J’avoue avoir un faible pour Lynette, qui court toute la journée après ses gosses et n’a jamais le temps de se laver les cheveux. Gabrielle a trop le fric dans l’ADN, Susan est trop tarte et même si je trouve la monstruosité de Bree touchante, j’abonde dans le sens de Rex qui dit: «Elle vit dans une pub pour détergent.»

En vraie fan je suis aussi allée voir sur le Net. Et j’ai découvert qu’on peut acheter des T-shirts avec les inscriptions «I’m a Susan», «I’m a Bree», etc. J’étais sur le point de commander un «I’m a Lynette» quand j’ai décidé de faire le test «Quelle desperate housewive êtes-vous?» Rien de bien méchant, me suis-je dit. Sauf que le web m’a finalement affiché un triomphant «You’re a Bree!». Entre nous, ça m’a ébranlée. Et je crains le pire: le chéri, qui regardait par-dessus mon épaule au moment fatidique, m’a d’ores et déjà promis un «desperate T-shirt» pour Noël. 

8 novembre 2005

Chute de civilisation?

Une consœur a constaté récemment avec humour – mais aussi pas mal de condescendance réprobatrice – que les parents frais sortis du four développent une tendance prononcée à l'exhibitionnisme. Elle appelle d’ailleurs «chute de civilisation» cette période durant laquelle ces derniers se laissent complètement aller et oublient d’avoir des égards pour autrui.

A priori, des millions de faits lui donnent raison. Par exemple ces couples que le choc, l’émotion, l’euphorie (ou le traumatisme) désinhibent totalement et qui détaillent par le menu la mise au monde («Là on voyait la tête, mais ça rentrait et ça ressortait») ou les efforts digestifs de la petite merveille («Son caca est un peu granuleux, tu vois»). Tout ça en vous servant une tranche de cake.

Il y a aussi toutes ces accouchées et mères allaitantes, qui auparavant n’auraient jamais imaginé enlever le haut à la plage et qui maintenant se dépoitraillent hardiment. Que ce soit pour présenter à l'ensemble de leur carnet d'adresse électronique leur minuscule bébé blotti contre leurs nénés en format *.JPG. Ou pour sustenter sur-le-champ la petite chose qui réclame sa tétouille, peu importe où elles se trouvent (dans le bus, au bistrot…)

Il y a évidemment de quoi se sentir un peu perplexe – surtout lorsqu’on n’est pas encore passé par là. Mais c’est étrange que notre civilisation craigne de chuter à cause d’un nouveau-né qui repose entre deux seins. Surtout si l’on songe que tous les nichons publicitaires dont ladite civilisation est constellée ne l’ont pas encore fait couler. 

1 novembre 2005

Mâle malade

Le chéri est malade depuis samedi, ce qui est pire que nos deux enfants flirtant simultanément avec une fièvre à 39,8, la toux glaireuse et le sommeil genre délire Dogma filmé caméra à l’épaule. Parce que les enfants, eux, sont francs de collier quand ils sont la proie des virus. Ils se sentent mal et ne demandent qu’à se sentir mieux – par exemple en regardant le DVD de «Spirit». Leur père, lui, se sent d’abord obligé de jouer au héros qui souffre en silence – mais quand même ostensiblement.

Et puis chez les enfants, les symptômes sont sans équivoque: c’est croûté de moque, ça vomit, ça hurle «naaaan!» à la vue du suppositoire. Alors que le mal du chéri se présente comme un insondable désert des Tartares d’où menace de débouler le pire. Car le chéri n’a ni rhume, ni toux, ni fièvre, juste «le crâne qui va exploser», «une sensation étrange au fond de la gorge» et «les jambes tellement douloureuses qu’elles me portent à peine». Mais il refuse de prendre du paracétamol, préférant «laisser faire le corps» - et me laisser faire seule avec les enfants. Puis, après 24 heures, il endosse le rôle du mâle anéanti qui zone en training, lampe d’un air souffreteux de la tisane Sidroga, goûte à peine aux spaghettis de l’air du mourant qui a perdu tout appétit (avant d’aller une heure plus tard se tailler de belles tranches de salami).

Mais ce matin, comme il ne se sentait toujours «un peu faible et frissonnant», le chéri a décidé que ça suffisait. Il a pris 500 mg de Dafalgan et regardé le DVD de «Kill Bill 2». Sûr que demain, il sera guéri.